Écho de presse

Quand Le Figaro lançait les premières petites annonces amoureuses

le 20/04/2019 par Marina Bellot
le 19/10/2018 par Marina Bellot - modifié le 20/04/2019
« Le diable amoureux », estampe représentant une scène de théâtre, 1844 - source : Gallica-BnF

En 1875, Le Figaro lance une rubrique révolutionnaire pour l'époque : intitulée la « Petite correspondance », elle est entièrement dédiée à la publication de messages amoureux. Le succès est immédiat.

En janvier 1875, Le Figaro décide de lancer dans son supplément littéraire du dimanche une nouvelle rubrique, totalement inédite : la « Petite correspondance ». 

Les petites annonces existent alors déjà dans Le Figaro, mais celles-ci sont bien particulières puisqu’elles sont uniquement dédiées à la publication de messages amoureux.

Le succès est rapide. À une époque où le téléphone commence à peine à fonctionner et où le courrier est encore lent, les lecteurs du quotidien s’emparent de ce moyen de « communiquer » en toute discrétion.

Signés par des pseudonymes ou de simples initiales, dans un langage parfois codé et souvent fleuri, ces courts messages – la ligne de 60 lettres vaut 3 francs – expriment avec une étonnante liberté les sentiments de leurs auteurs, amoureux transis ou déçus, prétendants pleins d'espoirs ou éconduits.

Ils en disent aussi parfois long sur l’époque, de la solitude des « rentiers » et « femmes du monde » qui recherchent désespérément des correspondants avec qui échanger des lettres et plus si affinités, aux récriminations maritales en passant bien sûr, par l’adultère – dont on s’aperçoit, au passage, qu’il n’est alors pas l’apanage des hommes.
 
Ainsi, la mystérieuse Marquise des H.F. a des exigences bien particulières :

« UNE FEMME DU MONDE, distinguée et spirituelle, quoique sans bas de couleur, mais très triste par suite de circonstances néfastes, désire entretenir une correspondance intellectuelle avec un vieux savant, un homme de lettres ou une célébrité du jour.

Honni soit qui mal y pense. Inutile de répondre si l'on n'a pas un nom connu.

Marquise des H. F.

Écrire par correspondance du dimanche au Figaro. »

« L’infirme du Luxembourg » a été éconduit par l’élue de son cœur, mais plein d’équanimité, il écrit à « Mlle LAURE DE T. » :

« Votre refus me désole, ma chère enfant, mais il me confirme encore l'excellente opinion que j'ai conçue de vous.
 
Vous avez raison, jeunesse est plus précieuse que fortune, et vous êtes plus riche de vos 20 ans que moi de mes 80 000 fr. de rente, faites-moi donc l'aumône : 
épousez de suite votre heureux cousin, sans vous préoccuper davantage des économies à réaliser, cette question me concernera, venez dans ma maison vide me tenir lieu de famille.

En vous traitant, sur tous les plans, comme mes enfants, je vous devrai encore de la reconnaissance, car vous m'aurez préservé de voir : 

“​… L'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, La ruche sans abeilles, La maison sans enfants”​. »

Tandis que certains messages laissent assez clairement deviner des relations extraconjugales :

« Petite amie chérie ! Trouveras parfois “Figaro” à 9 heures dans ta boite, ce sera correspondance sans danger. Merci de tes lettres et surtout du contenu de la première.

Tu es tout plein gentille. Mais beaucoup trop de considération et manque total de ce que moi je t'envoie toujours ! Méchante ! Écris-moi donc quelques lignes gracieuses. Petite chaise magnifique. Quand puis-je venir ? Rien encore de IL. »

D'autres sont moins sibyllins :

« V. Il a trouvé le gant... sa petite pointure a détourné ses soupçons. Remerciez le ciel de vous avoir donné une main d'enfant. »

Magie de ces petites annonces et preuve de leur popularité, elles permettent parfois à ceux dont les regards se sont croisés de se retrouver :

« La personne qui demande à faire une communication à la dame, montée dans le train, à Asnières, jeudi dernier 2 septembre, n'avait-elle pas un chapeau gris marqué de deux initiales sous une couronne marquise ? Réponse par Figaro de dimanche.

 La dame en question. » 

Plus étonnant, la Petite correspondance semble également le lieu des réclamations maritales :

« Henri.- Je veux t'écrire ce que je n'ose te dire. Pendant que tu risques à ton cercle des sommes considérables, je raccommode le linge des enfants en grelottant, car je n'ai pas de quoi payer la note du chantier et il fait froid la nuit. »

Le succès de cette rubrique devenue incontournable est tel qu'à partir du mois de mai, la rubrique paraît également le jeudi, comme l’annonce Le Figaro

« Les personnes qui font usage de notre petite correspondance du dimanche lui reprochent de ne paraître que tous les huit jours et se plaignent du trop long intervalle de ses apparitions.

À partir du 6 mai, on trouvera tous les jeudis, à la suite de notre programme des spectacles, un cadre dans lequel nous insérerons une petite correspondance d'une forme et d'un tarif identiques. Ces correspondances seront reçues au Figaro, le jeudi jusqu'à cinq heures. »

Si la Petite correspondance est le lieu des déclarations d'amour et du badinage, le désespoir poussent aussi certains au chantage et à la malveillance :

Bonjour. Un mot ou je casse les vitres, comprends-moi. 

 ÉPOUSE et mère indigne, si je suis fautif, c'est de v. avoir trop aimée, aujourd'hui je v. hais de toutes les forces de mon âme et je saurai bien v. découvrir.
 

FRÉDÉGONDE. — Tu t'amuses, toi, à Deauville ! On m'écrit que tu la coules douce, que tu es tout le temps en noces et festins ! C'est du joli. Tu m'avais promis d’être sage comme une image. Tu me revaudras ça. — Henri.

Des mots parfois violents que Le Figaro prend très au sérieux, au point qu'il se fend d’une mise au point en mai 1875 :

« Nous prévenons les personnes qui usent de notre Petite Correspondance comme moyen de “chantage ou d'intimidation” que nous conservons la copie de leurs lettres et de leurs avis, en sorte que nous les pourrons produire le jour où un agent autorisé nous en demandera la livraison.

Nous n'entendons pas que notre Petite Correspondance serve à des manœuvres déloyales et à de mauvaises actions. À bon entendeur, salut ! »

La Petite correspondance disparaîtra des pages du journal après une seule année d'existence, en janvier 1876, car comme l'écrit Le Figaro, qui ne s'attendait manifestement pas à susciter tant d'audace et de passion, « le supplément du dimanche peut et doit être un journal de famille, il faut qu'on puisse le laisser sans inconvénient sur la table de chaque salon ». 
 
La rubrique des petites annonces de particuliers se verra définitivement supprimée à la fin des années 1880, laissant toute la place aux annonces immobilières, aux offres d'emploi ou de services...  et de mariage, institution majeure et toujours prise très au sérieux en cette fin de XIXe siècle.
 
Les petites annonces de cœur auront néanmoins encore de beaux jours devant elle, notamment au cours du siècle suivant.

Pour en savoir plus : 

Claire Blandin, Le Figaro, deux siècles d'histoire, éditions Armand Colin, 2007