On ne plaisante pas avec les symboles religieux au Liban
La statue de Saint-Charbel, au Liban.
Photo : The Associated Press / Hamza Hendawi
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Au Liban, un jeune homme qui s'est moqué d'un saint local sur les réseaux sociaux a été harcelé, menacé et a même été convoqué au bureau de la cybercriminalité du pays, alors que ses accusateurs ont été épargnés de toute conséquence.
Il s’élève sur les hauteurs de Hammana, petit village du Mont-Liban, et surplombe Beyrouth et la mer Méditerranée. Saint Charbel, un des premiers saints libanais, aurait le pouvoir de guérison, selon la croyance.
Un jeune homme du nom de Charbel Khoury ne se doutait probablement pas qu’une blague publiée sur sa page Facebook se moquant d’un Roumain qui a cru que sa femme était tombée enceinte grâce à l’intervention de saint Charbel lui vaudrait les foudres de certains Libanais.
Inondé de menaces et sommé par les autorités de fermer son compte Facebook, sa blague lui a valu une convocation chez les enquêteurs de la cybercriminalité du Liban, alors que les centaines de personnes qui l'ont menacé de mort n'ont jamais été ennuyées par les autorités.
« Il a été victime d’une campagne de harcèlement et de menaces », raconte Wadih Al-Asmar, président du Centre libanais des droits humains.
Wadih Al Asmar, président du Centre libanais des droits humains
Photo : Radio-Canada / Sylvain Castonguay
En plus des menaces de mort, le jeune homme a été molesté à son travail pour s’être moqué de saint Charbel.
Puis est arrivé le moment où il a été convoqué au bureau de la cybercriminalité.
« Là où ça m’a choqué en tant que défenseur des droits de l’homme, c’est que lui a été interpellé, alors qu’il est pour moi une victime de harcèlement, et non les gens qui l’ont harcelé », déplore M. Al-Asmar.
C’est le porte-parole du Centre catholique d’information du Liban, le père Abou Kassam, qui a déposé la plainte contre Charbel Khoury. S’il n’appuie pas les propos menaçants qu’ont tenus certains à l’égard du jeune homme, il s’agit pour lui de liberté d’expression.
Le père Abdo Abou Kassam, du Centre catholique d'information du Liban
Photo : Radio-Canada / Sylvain Castonguay
« Ce sont seulement des menaces, elles ne sont pas mises à exécution, dit-il en souriant. Les gens ont le droit de s’exprimer librement. »
Mais cette liberté d’expression ne s’étend pas jusqu’à faire de l’humour sur le dos d’un saint, croit-il.
On ne peut pas se moquer de saint Charbel, ce n’est pas permis.
Un dangereux précédent, préviennent les défenseurs des droits de la personne
La statue de Saint-Charbel érigée sur les hauteurs de Hammana, un village du Mont-Liban.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Castonguay
En guise de protestation et de soutien au jeune homme, Wadih Al-Asmar s’est empressé de republier la blague, ainsi que les menaces qui ont suivi, sur sa propre page Facebook. De son côté, Charbel Khoury s'est vu forcé par les enquêteurs du bureau de la cybercriminalité de tout effacer.
« Ce garçon a été obligé de supprimer son compte Facebook […] Il a perdu presque 10 ans d’activité sur Facebook avec des photos, des vidéos, avec énormément d’informations, et il a été obligé, par une décision du procureur, de ne pas s’enregistrer sur Facebook pendant un mois », raconte le président du Centre libanais des droits humains.
« À mon avis, c’est une des premières décisions de cette nature au Liban », poursuit-il.
Pour lui, l’Église a usé de son influence sur l’actuel président du pays, Michel Aoun, pour forcer la justice à intervenir dans cette affaire. « Il y a une volonté d’utiliser la justice pour faire taire les critiques », dénonce-t-il.
De son côté, le père Abdo Abou Kassam, du Centre d’information catholique du Liban, qui est à l’origine de la plainte contre le jeune internaute, nie catégoriquement avoir cherché à influencer qui que ce soit dans cette affaire.
Wadih Al-Asmar se retrouve aujourd’hui à son tour devant la justice pour avoir republié la blague du jeune Khoury sur sa page. Son cas a été envoyé à la cour pénale.
La liberté d'expression perd sans cesse du terrain
Jad Chahrour, Fondation Samir Kassir
Photo : Radio-Canada / Sylvain Castonguay
Cette histoire est de moins en moins inusitée au Liban, considéré comme un des rares États de droit au Moyen-Orient. Les interpellations, la censure, les actes d’intimidation et les restrictions s'y font en effet de plus en plus fréquents.
« Au cours des deux dernières années, nous voyons que la répression est en hausse au Liban, alors que la liberté d’expression et la liberté de la presse accusent un recul », dénonce Jad Chahrour, de la Fondation Samir Kassir.
Nous avons répertorié pas moins de 35 violations du genre contre des intellectuels, des journalistes et des activistes. Ce genre d’intimidation ne surgit pas de nulle part. C’est une stratégie politique pour faire craindre la liberté aux gens.
Selon plusieurs témoignages, les personnes interpellées sont régulièrement contraintes de signer un document dans lequel elles promettent de cesser toute activité militante ou l’expression d’opinions semblables à ce qui leur a valu une convocation.
L’érosion graduelle de l’espace de liberté s’accélère, rapportent des ONG comme Amnistie internationale et Human Rights Watch.
Le Liban, classé parmi les 42 pays les plus corrompus dans l'indice de Transparency International, est toujours sans gouvernement et en proie à des crises et des paralysies de ses institutions.
Jad Chahrour décrit la situation comme une guerre qui est loin d’être gagnée entre les défenseurs de la liberté et une classe politique qui se comporte de plus en plus comme à l’époque de l’occupation du Liban par la Syrie.