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Soupçons d’emplois fictifs et comptes de campagne : les deux informations judiciaires qui visent Mélenchon

La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon se trouve au cœur de deux enquêtes que les perquisitions du 16 octobre ont remises en lumière.

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Publié le 23 octobre 2018 à 15h02, modifié le 09 novembre 2018 à 17h40

Temps de Lecture 7 min.

Jean-Luc Melenchon, leader des députés de La France insoumise, lors d’une conférence de presse, le 19 octobre.

Les enquêtes visant les comptes de campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et les assistants des eurodéputés de La France insoumise (LFI) ont été confiées à des juges d’instruction, a indiqué le parquet de Paris, vendredi 9 novembre.

Le 16 octobre les officiers de police judiciaire avaient mené une quinzaine de perquisitions dans les locaux de LFI, du Parti de gauche (PG), de Mediascop, ainsi qu’aux domiciles d’une dizaine de cadres du parti, dont celui de Jean-Luc Mélenchon. Une intervention que ce dernier a qualifiée d’« acte politique » orchestré par le pouvoir exécutif macroniste, bien qu’elle ait été autorisée par un juge des libertés et de la détention, qui n’est pas soumis au ministère de la justice et donc indépendant des pressions politiques.

Ces perquisitions avaient été menées dans le cadre de deux enquêtes distinctes :

Enquête n° 1 : soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen

La première concerne les assistants parlementaires de Jean-Luc Mélenchon au Parlement européen. La justice a initialement ouvert une enquête en mars 2015, visant le seul Front national (FN, désormais Rassemblement national) avant de l’élargir au MoDem le 9 juin 2017 et à Jean-Luc Mélenchon le 17 juillet de la même année, à la suite des signalements de l’eurodéputée FN Sophie Montel.

La justice soupçonne ces formations d’avoir employé des assistants parlementaires au Parlement européen en les faisant en réalité travailler pour elles-mêmes. Ce qui revient, in fine, à détourner l’argent du Parlement, en fabriquant des emplois fictifs. D’autres eurodéputés et ex-eurodéputés sont concernés par l’enquête, comme Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie (Les Républicains), Edouard Martin (élu sur la liste du Parti socialiste, désormais dans la délégation Génération.s) ou encore Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts).

L’enquête est plus avancée côté RN, dont le siège avait également été perquisitionné en février 2017 : elle a abouti à quinze mises en examen, dont celle de Marine Le Pen, pour « détournements de fonds publics ». Le siège du MoDem a également été perquisitionné en octobre 2017, mais le parti s’est fait plus discret sur ce sujet, évoquant son envie de coopérer avec la justice, là où Mme Le Pen avait réservé un accueil plutôt hostile aux policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), en filmant, à l’instar de M. Mélenchon, la perquisition. Les juges d’instruction, indépendants du parquet, n’ont pour le moment pas prononcé de mises en examen à l’endroit des cadres du MoDem, malgré plusieurs auditions.

Même situation concernant Jean-Luc Mélenchon, qui n’a pas été auditionné ni mis en examen par les juges d’instruction. Celui-ci a assuré que « jamais aucun de [ses] assistants parlementaires n’a eu de responsabilité politique au sein du Parti de gauche ou de La France insoumise » lorsqu’il siégeait au Parlement européen.

Au moins quatre des assistants parlementaires déclarés par M. Mélenchon pour l’aider dans ses tâches d’eurodéputé de 2009 à 2017 ont eu des activités militantes structurantes pour le compte du parti de celui-ci. Les juges d’instruction auront à déterminer si ces assistants occupaient bien leur poste en accord avec les heures de travail stipulées dans leur contrat.

Enquête n° 2 : irrégularités des comptes de campagne de LFI

La seconde enquête concerne les comptes de la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2017. Après l’examen des documents comptables communiqués par LFI, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a, comme le prévoit la loi, publié lesdits comptes et les a validés le 13 février, ouvrant le droit à un remboursement par l’Etat.

Mais, dans le même temps, la CNCCFP a noté plusieurs irrégularités et a dû retrancher 434 000 euros de dépenses qu’elle a considérées comme non liées à « la sollicitation des suffrages des électeurs ». Un élément qu’on retrouve dans beaucoup de comptes de campagne. Mais la commission a estimé cette fois que ces irrégularités constituaient des infractions pénales. Le président a donc transmis, le 16 mars, comme la loi le lui oblige, le dossier à la justice.

Le parquet de Paris a pris la suite et ouvert une enquête préliminaire en avril pour « escroquerie et tentative d’escroquerie », « abus de confiance », « infraction à la législation sur le financement des campagnes électorales » et « travail dissimulé aggravé ». Le procureur de Paris, François Molins, a saisi l’OCLCIFF afin d’enquêter sur une « éventuelle violation des prescriptions du code électoral relatives au financement des campagnes électorales ».

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Plusieurs éléments posent des questions dans les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon, provenant de deux structures extérieures à la campagne : la société Mediascop, qui s’occupait des opérations de communication et qui a facturé 1,161 million d’euros de prestation à l’association de campagne de Jean-Luc Mélenchon, et l’association l’Ere du peuple, qui a facturé 440 027 euros de prestations diverses (conception de site, régie de meetings, communication, gestion des événements) :

  • onze prestations de Mediascop ont été jugées surfacturées par la CNCCFP pour un surcoût de 35 000 euros, retoqué par la commission ;

  • presque la moitié des factures de l’Ere du peuple a été jugée non remboursable par la commission (190 000 euros sur 440 000 euros dépensés).

L’information judiciaire devra déterminer si La France insoumise et les responsables de sa campagne électorale ont tenté de se faire rembourser par l’Etat des sommes qui, soit n’ont pas de lien avec la sollicitation des électeurs, soit ont été artificiellement gonflées dans un but d’enrichissement.

Un soupçon renforcé par la double casquette de Sophia Chikirou, l’une des personnes au centre des questions des enquêteurs. Sophia Chikirou, qui a rejoint Jean-Luc Mélenchon en 2008, a été lors de la campagne à la fois la directrice de la communication du candidat insoumis… et l’unique actionnaire et présidente de Mediascop, la société qu’elle a cofondée en 2012 et qui a été la principale prestataire de la communication de la campagne. Sophia Chikirou, en tant que directrice de la communication, pilotait donc des opérations qu’elle facturait principalement à Mediascop, sa propre société.

Un conflit d’intérêts manifeste qui est accrédité par le témoignage d’un ancien employé de la société interrogé par Radio France :

« A la fin de la campagne, Sophia est venue nous voir. Elle nous a demandé de faire la liste de toutes nos réalisations, jusqu’au moindre visuel, il fallait absolument tout lui lister. Ensuite, elle a appliqué des tarifs pour chaque opération que nous donnions. »

En parallèle de ces possibles surfacturations, la société de Mme Chikirou a attiré l’attention des enquêteurs par sa rentabilité bien au-dessus des chiffres habituels pour ce genre de prestataire. Inactive depuis 2013, Mediascop retrouve son activité au moment où sa présidente intègre la campagne de Jean-Luc Mélenchon, en septembre 2016. Durant quatre mois, Mediascop réalise un chiffre d’affaires de 162 900 euros pour un bénéfice net après impôt de 76 000 euros, soit une marge nette exceptionnelle de 47 %. Si Mediascop a réussi à dégager de telles marges, c’est parce que la société a de très faibles charges : elle n’a pas de locaux (tous ses employés travaillent au QG de la campagne) et refacture toutes ses charges de fonctionnement à l’association de financement de la campagne, une pratique inhabituelle qui a permis à la société d’engranger de gros bénéfices, et à sa présidente de se verser 64 000 euros de dividendes et 6 750 euros de rémunération de dirigeante pour les quatre derniers mois de l’année 2016.

Ce sont les derniers chiffres disponibles de la comptabilité de l’entreprise, Mme Chikirou ayant changé le 31 mars 2017 le statut légal en société par actions simplifiées, ce qui ne la contraint plus à publier ses comptes annuels. Mais les nombreuses factures communiquées à la CNCCFP permettent d’estimer à environ 15 000 euros mensuels, en moyenne, la rémunération du travail de Sophia Chikirou pendant les huit mois de la campagne, là où les employés de Mediascop émargeaient pour beaucoup entre 1 500 et 2 000 euros par mois. D’autres membres de la campagne, en découvrant les factures, ont affirmé à Radio France avoir travaillé bénévolement à des tâches qui ont été facturées par Mediascop.

Des informations qui pourraient prendre une dimension nouvelle depuis que Mediapart a révélé le 19 octobre que Sophia Chikirou entretient de longue date une relation « extra-professionnelle » avec Jean-Luc Mélenchon. De fait, note Mediapart, les sommes perçues par Mme Chikirou l’auraient été « à l’occasion d’une campagne présidentielle dirigée par un homme politique avec lequel elle partage une relation intime régulière ».

Quant à l’association l’Ere du peuple, la CNCCFP a noté que la rémunération des salariés comportait une majoration variable selon qui était mobilisé, sans que la commission trouve de justification à ces majorations inégalitaires dont elle estime le surcoût à 152 000 euros. L’association ayant eu un rôle réellement structurant dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon, la logique aurait commandé que l’Ere du peuple ait le statut de parti politique, comme l’observe Mediapart, avec toutes les obligations de transparence financière qui vont avec.

 

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