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Torture et persécution : la face sombre de l’Autorité palestinienne et du Hamas

L’ONG Human Rights Watch dénonce le climat de violence, de répression et d’impunité instauré en Cisjordanie et à Gaza.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 23 octobre 2018 à 09h09, modifié le 23 octobre 2018 à 10h45

Temps de Lecture 4 min.

Rassemblement des membres du Hamas à Gaza, le 5 octobre 2015.

« Nous allons te dévorer. » C’est la phrase qu’entendit le journaliste Sami As-Sai, en février 2017, peu après son transfert dans les locaux des services de renseignement de l’Autorité palestinienne (AP), à Jéricho. Interrogé sur ses liens supposés avec le Hamas, Sami As-Saï a été traîné avec une corde, les mains attachées, dans un couloir. Les policiers ont accroché la corde à une porte avant de la pousser lentement, pour étirer les membres. Il s’est évanoui. A son réveil, il a été frappé à la plante des pieds une vingtaine de fois. La douleur était si forte qu’après avoir été conduit aux toilettes, il n’était plus capable de remonter son pantalon seul.

Lors d’un autre interrogatoire, il a été menotté dans le dos, puis suspendu ainsi au plafond. Les policiers ont menacé de l’accuser publiquement d’adultère, de l’empêcher de revoir son son fils de 10 ans, gravement malade. Au bout de treize jours de détention, Sami As-Sai a plaidé coupable pour « incitation au conflit sectaire » et « blanchiment ». La peine prononcée de quinze mois fut ramenée à trois, puis supprimée, dès lors que l’accusé accepta de payer une simple amende. Il a donc été remis en liberté à la fin de sa garde à vue.

Rapport glaçant

Cette histoire, une parmi tant d’autres, figure dans un rapport glaçant, fouillé, implacable, publié mardi 23 octobre par l’organisation Human Rights Watch (HRW). Intitulé « Deux autorités, une voie, zéro contestation », ce document est le fruit de deux ans d’enquête, de 147 entretiens avec essentiellement d’anciens détenus, leurs proches, des avocats et des représentants de la société civile palestinienne. Le rapport insiste sur la face sombre et méconnue de l’Autorité palestinienne et du Hamas, engagés depuis 2007 dans une lutte acharnée dont la politique n’est qu’un volet.

Chacun sur son territoire applique des méthodes répressives au mépris du droit et des engagements pris, afin de contraindre les voix critiques au silence, persécuter les militants de l’adversaire, ou bien extorquer des aveux. Le paradoxe est le suivant : les services de sécurité palestiniens commettent à l’égard de leurs citoyens les mêmes abus dont ils accusent régulièrement leurs homologues israéliens. « La torture pratiquée à la fois par l’AP et le Hamas peut constituer un crime contre l’humanité, étant donné sa pratique systématique au cours de nombreuses années », note HRW.

Les officiers palestiniens placent les détenus « dans des positions douloureuses pendant de nombreuses heures à la suite, en utilisant un mélange de techniques qui laissent peu ou pas du tout de traces corporelles. » Appelé « shabeh », ce procédé de torture est le plus fréquent. Ces mêmes méthodes ont été dénoncées dans le passé par l’ONG israélienne B’Tselem, notamment en 1998, à propos des services de sécurité intérieure israéliens.

A Gaza, les forces du Hamas placent les détenus dans une pièce appelée « le bus », où ils sont obligés de rester debout pendant des heures voire des jours, ou bien de s’asseoir dans une chaise d’enfant. C’est ce qui arriva par exemple à certains manifestants en janvier 2017 qui protestaient contre la crise énergétique aiguë. En Cisjordanie, des jeunes du camp de Balata, à Naplouse, connu pour son opposition à Mahmoud Abbas, ont subi un sort encore plus violent. Zaïd – un pseudonyme – a décrit des chocs électriques de plusieurs dizaines de secondes aux épaules. Il a aussi expliqué qu’on avait attaché une corde à son pénis pendant huit heures environ, jusqu’à ce qu’il devienne bleu.

« Crimes numériques »

Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, le 6 octobre.

L’engagement politique n’est pas le seul motif possible pour ces traitements abusifs. Ils sont aussi appliqués dans des enquêtes criminelles, par exemple pour possession de drogue, afin d’arracher des aveux. La torture s’accompagne souvent d’autres moyens de pression. De façon systématique, les enquêteurs exigent que leur soient communiqués les codes secrets des téléphones portables, des comptes sur les réseaux sociaux.

L’Autorité palestinienne prête une grande attention à Facebook et aux autres plates-formes, en profitant d’une législation très décriée sur les « crimes numériques ». Dans un courrier à HRW, la Sécurité préventive de l’AP a précisé qu’elle avait détenu, en 2016 et 2017, 220 personnes pour des messages sur les réseaux sociaux, 65 étudiants et 2 journalistes. La plupart du temps, il s’agissait de sympathisants supposés du Hamas. Pendant que les factions palestiniennes prétendaient œuvrer à la réconciliation, l’espace d’expression se rétrécissait de façon spectaculaire, à Gaza comme en Cisjordanie.

En annexe du rapport de HRW figurent les réponses écrites des différents services palestiniens sollicités, à Gaza et à Ramallah. Ils se surpassent en garanties de transparence et promesses éthiques. Comme le note l’ONG, des centaines de plaintes ont été déposées ces dernières années auprès de ces services. « Human Rights Watch ne connaît pas le moindre cas dans lequel un membre d’une force de sécurité aurait été condamné pour arrestation arbitraire ou mauvais traitement de détenu », souligne le rapport.

Dans ce contexte d’impunité, HRW en appelle aux Etats-Unis, à l’Union européenne et aux pays européens qui fournissent financements et assistance à ces forces de sécurité palestiniennes. L’organisation les appelle à s’émouvoir publiquement de cette situation et à suspendre leurs aides.

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