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A la barre

Contrôles au faciès : des pratiques qui révèlent un «racisme conscient ou inconscient»

Ce lundi, l'Etat était en procès, accusé par trois élèves de délit de faciès. Ceux-ci estiment avoir fait l'objet d'un contrôle de police discriminatoire, il y a un an à la gare du Nord, au retour d'un voyage de classe.
par Ismaël Halissat
publié le 22 octobre 2018 à 20h22

Pour le procureur, la question est «simple». Elle renvoie pourtant à une crispation récurrente quand les rapports entre la police et la population affleurent. Mamadou C., Ilyas H. et Zakaria H. ont-ils subi un contrôle d'identité discriminatoire ? Le 1er mars 2017, une classe de terminale du lycée Louise-Michel, à Epinay-sur-Seine, arrive à la gare du Nord après un séjour bruxellois. Leur voyage était consacré à la découverte des institutions européennes. A la sortie du train, les trois lycéens, d'origine malienne, comorienne et marocaine, sont contrôlés par deux équipages de police devant leurs camarades de classe.

Ce lundi, l’Etat était poursuivi par les trois jeunes hommes devant l’une des chambres civiles du tribunal correctionnel de Paris. Dans le public, plusieurs personnalités sont présentes, comme l’ancien ministre socialiste et ex-candidat à la présidentielle Benoît Hamon, ou encore le député de La France insoumise Eric Coquerel.

Noirs et arabes vingt fois plus contrôlés que les autres

Palpation, fouille des sacs, tutoiement, humiliation. Une «panoplie» classique des contrôles d'identité pour leur avocat Slim Ben Achour. «Mes clients sont l'incarnation d'une réalité incontournable», poursuit l'avocat, au moment de rappeler les statistiques du Défenseur des droits. Cette autorité administrative indépendante estime que les jeunes hommes perçus comme noir ou arabe ont une probabilité vingt fois plus élevée d'être contrôlés que les autres.

Lors du contrôle, la justification apportée est «nous faisons notre travail, tonne Slim Ben Achour. Mais ça n'existe pas dans le code de procédure pénale !» A posteriori, l'un des policiers a rédigé un rapport pour expliquer les contrôles, dans lequel il évoque le «contexte actuel», à savoir les «actes terroristes» et le «trafic de stupéfiants». «L'Etat n'apporte aucun élément crédible, circonstancié, permettant de dire qu'il n'y a pas de discrimination», estime pour sa part Slim Ben Achour, pour qui ces contrôles révèlent un «racisme conscient ou inconscient». D'un sanglot dans la voix, il conclut : «Ces jeunes sont venus me voir en me disant qu'ils voulaient changer le monde, en appliquant le droit.»

Une discrimination qui reste à prouver

C'est autour de la question de la preuve d'une éventuelle discrimination exercée par la police que l'audience s'est cristallisée. C'est dans un premier temps au plaignant d'apporter des éléments «qui laissent présumer l'existence d'une discrimination», estimait la Cour de cassation dans un arrêt rendu en décembre 2016. Ensuite, charge à l'administration de démontrer soit une absence de discrimination, soit une différence de traitement «justifiée par des éléments objectifs». Le Défenseur des droits a justement demandé à l'Etat un certain nombre de pièces pour comprendre quelles sont les personnes qui ont été contrôlées ce jour-là. Mais la préfecture de police de Paris a botté en touche. Une surdité que regrette Nicolas Demard, conseil du Défenseur des droits à l'audience : «Nous n'avons pas pu savoir si les contrôles ont visé toutes les personnes de façon indifférenciée. Les seuls qui étaient en mesure de présenter cette preuve, c'était l'administration.»

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Aux yeux du ministère public, cet argumentaire signifierait un renversement de la charge de la preuve. Le parquet estime que ce n'est pas à l'administration d'apporter «la preuve qu'elle ne discrimine pas» : «Dans un Etat de droit, il y a une présomption de légalité de l'action d'un agent qui est dépositaire de l'autorité publique.» Pour le procureur, l'action entreprise repose uniquement «sur le sentiment d'avoir été victime d'une discrimination». Or, «aucun élément n'a été apporté», estime-t-il.

Une position qui sied à Alexandre Grard, l'avocat de l'agent judiciaire de l'Etat : «Les statistiques ne peuvent à elle seule, établir un fait discriminatoire. Les seuls éléments mis en avant sont des témoignages des autres élèves de la classe et de la professeure.» Selon lui, le tribunal est seulement saisi d'une «question sociétale globale» et «l'on tente d'extrapoler des statistiques générales». La décision sera rendue le 17 décembre.

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