C’est “comme si quelqu’un avait passé une éponge sur un portrait à l’huile du XVIIe siècle”, décrit The New York Times. Ce 25 octobre, à New York, la maison d’enchères Christie’s met en vente une toile intitulée Edmond de Bellamy, from La Famille de Bellamy. Un portrait étonnant, qui peut laisser une impression d’inachevé au premier regard. Mais le rendu final compte peu dans cette affaire, l’œuvre tire son intérêt du processus de création qui l’a vu naître, précise le quotidien américain : “Il n’a fallu ni peinture ni pinceaux, juste un algorithme qui apprend à imiter les lots d’images que lui servent des humains – dans ce cas précis, des milliers de portraits réalisés entre le XIVe et le XXe siècle.”

C’est la première fois qu’un portrait généré par intelligence artificielle est mis aux enchères. Estimé à un prix compris entre 7 000 et 10 000 dollars, l’œuvre est le fruit d’un collectif appelé Obvious, “un trio français composé d’un étudiant en apprentissage automatique (machine learning) et de deux diplômés d’écoles de commerce, aucun d’entre eux n’ayant un profil artistique”, écrit encore The New York Times. Dans un coin, en bas de ce qui est en fait une impression numérique, une fonction mathématique remplace la signature habituellement de rigueur : c’est l’algorithme qui a été utilisé pour la produire.

Évidemment, cette mise en vente, présentée comme un événement mondial par Christie’s, n’a pas manqué de soulever des questions. The New York Times les passe en revue dans son article :

  • Est-ce de l’art ?

Interrogée par le quotidien, Frédérique Baumgartner, historienne de l’art à l’université Columbia, fait valoir que les doutes sur la paternité de l’œuvre ou “l’intention” qui a présidé à sa création ne suffisent pas à la disqualifier en tant qu’objet d’art. Après tout, nombre d’artistes ont déjà été confrontés à de pareilles objections, comme Marcel Duchamp avec son célèbre urinoir. Elle-même avoue trouver une certaine ressemblance entre le portrait d’Obvious et ceux réalisés par le grand Rembrandt – “quand je le regarde en fermant à moitié les yeux”, s’empresse-t-elle de préciser.

  • Est-ce une œuvre novatrice ?

Da façon surprenante, comme le relève le journal, les critiques les plus véhémentes sont venues, non pas du cercle des galeristes et des conservateurs d’art, mais de la petite communauté des artistes qui travaillent avec l’intelligence artificielle. La technologie utilisée ici, appelée Generative Adversarial Networks (GAN), est utilisée par les artistes depuis 2015. Autant dire le siècle dernier, pour les initiés. “Ce collectif est totalement dépassé”, lâche à propos d’Obvious Ahmed Elgammal, directeur du laboratoire art et intelligence artificielle à l’université Rutgers, dans le New Jersey.

  • Pourquoi ce portrait est-il mis en vente chez Christie’s ?

“Cette vente inédite est révélatrice de la difficulté qu’éprouvent les maisons d’enchères traditionnelles à rester pertinentes face à une culture qui évolue à la vitesse permise par le Wi-Fi”, commente The New York Times. L’événement a valeur de test, pour le dire autrement. Le 25 octobre, quand le marteau tombera, une indication sera donnée sur l’intérêt que nourrit le marché de l’art à l’égard des œuvres générées par intelligence artificielle. Jusqu’à présent, Christie’s et ses rivales “ont été réticentes à accepter l’art qui explore les nouvelles technologies”, à commencer par les œuvres incluant vidéos numériques et réalité virtuelle, souligne le quotidien. Si la vente est un succès, on pourrait voir les collections privées ouvrir grand leurs portes aux artistes férus d’intelligence artificielle.