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Mutuelles et reste à charge zéro : "A l'heure actuelle, c'est un système qui punit les pauvres"
Le reste à charge zéro a été présenté le 13 juin dernier à Montpellier.

Mutuelles et reste à charge zéro : "A l'heure actuelle, c'est un système qui punit les pauvres"

Fausse bonne idée ?

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Une étude concernant l'impact du "reste à charge à zéro" sur les tarifs des complémentaires santé pointe une hausse des tarifs pour les usagers, surtout pour les seniors. De manière générale, les plus vulnérables risquent aujourd'hui d'en pâtir. Explications.

La crainte était apparue dès l'annonce de la mesure, malgré les assurances du gouvernement. Ce mardi 23 octobre, alors que l'Assemblée examinait la réforme du reste à charge zéro dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, une étude du comparateur Santiane a dévoilé l'évidence : cette dernière a grandes chances de s'accompagner d'une hausse des cotisations des usagers. Les professionnels de santé s'accordent à dire que les plus touchés seront les seniors, supposés être parmi les premiers bénéficiaires du reste à charge zéro.

Dans les faits, ce dispositif est pourtant censé redonner du pouvoir d'achat aux plus vulnérables. Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, le reste à charge zéro doit permettre d'augmenter la prise en charge de la Sécurité sociale et des complémentaires santé pour les dépenses concernant l'optique, le dentaire et l'auditif. D'ici au 1er janvier 2021, ces équipements doivent être remboursés à 100% aux assurés. Le but est de proposer des offres d'entrée de gamme de qualité, accessibles sans condition de revenu à tous les Français dotés d'une complémentaire santé… sans pour autant augmenter les frais des mutuelles !

Une promesse "intenable"

Cette promesse est "intenable" pour Santiane. Le cabinet prédit une hausse moyenne des tarifs des complémentaires de 6,8% trois ans après le déploiement du dispositif. Dans le détail, ce seront les plus âgés qui accuseront le coup : "Pour les seniors, gros consommateurs de soins dentaires et d’appareils auditifs, la hausse moyenne de cotisation sera de 9,3 % résume au Parisien le PDG de Santiane.fr, Pierre-Alain de Malleray. Pour les moins de 60 ans, l’impact sera limité à + 2,5 %".

"Cette augmentation est un secret de polichinelle surtout concernant les contrats d'entrée de gamme" assure à Marianne Mathieu Escot, responsable du Département des Etudes de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir. Une étude du cabinet de conseil en ressources humaines Mercer France s'alarmait ainsi déjà en mai d'une hausse potentielle des cotisations dont elle livrait des évaluations chiffrées, de 1,6% pour les contrats "haut de gamme" à une fourchette allant de 5,6% à 8,9% pour les contrats "d'entrée de gamme". "Il faut faire attention avec ces chiffres tempère toutefois auprès de Marianne Jean-Paul Benoît, président de la Fédération des mutuelles de France, Ils sont l'équivalent des sondages électoraux réalisés trois ou quatre ans à l'avance." La réforme, qui s'appliquera en trois ans, n'est pas encore entrée en application. Les mutualistes arguent donc que les différentes études ne prennent en compte ni le comportement des consommateurs (qui pourraient décider de ne pas prendre d'équipements d'entrée de gamme) ni des professionnels de santé (qui pourraient choisir de ne pas distribuer les prothèses dentaires ou lunettes concernées).

En dépit des incertitudes, l'étude d'une autre complémentaire, France mutualité, fait pourtant un constat similaire : les prix des cotisations devraient augmenter, à un coût toutefois moindre que celui avancé par Santiane. "La hausse devrait être comprise entre 4 et 5% estime-t-on chez le mutualiste une augmentation qui devrait être largement compensée par le nouvel accès au soin permis par le reste à charge zéro". En clair, si vos cotisations augmentent, vous serez bien content de pouvoir accéder à des lunettes ou des prothèses auditives couvertes par votre mutuelle.

Un système qui touche les plus vulnérables

L'argument est logique, mais il y a un trou dans la raquette. La mesure laisse de côté un aspect des garanties santé actuelles : le nombre de Français qui, aujourd'hui, ne peuvent pas se payer de complémentaire et qui s'en éloigneront de plus en plus si le coût de celles-ci augmentent. "Ils sont quatre millions et les augmentations induites par le reste à charge zéro risquent de multiplier ces cas", regrette Jean-Paul Benoît. Autant de Français, toujours davantage privés de complémentaires et qui ne pourront pas bénéficier de la réforme du reste à charge, pour la simple raison qu'ils n'auront pas de mutuelle. Aux premiers rangs desquels les plus vulnérables : "Nous voyons tous les jours des seniors qui doivent abandonner leurs complémentaires parce qu'ils n'ont pas les moyens de les payer, et ce, au moment où ils en ont le plus besoin. A l'heure actuelle, c'est un système qui punit les pauvres", assène le président de la Fédération des mutuelles de France.

Interrogée sur cette possible hausse à l'Assemblée ce mardi, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a pourtant assuré que l'effort devait venir des mutualistes : "Des engagements ont été pris, que le coût de cette réforme va être absorbé par l'augmentation naturelle des coûts des complémentaires chaque année, c'est la raison pour laquelle la réforme se met en place sur trois ans de façon à pouvoir absorber le surcoût", a-t-elle affirmé. "La vérité, c'est qu'aucun accord n'a été signé pour garantir des tarifs stables sur trois ans explique Mathieu Escot. On ne peut pas accuser ici les mutualistes de ne pas tenir une promesse qu'ils n'ont pas formellement donnée".

"C'est à l'Etat de faire le premier pas" pour les mutuelles

Pour pouvoir garantir la stabilisation des frais des complémentaires, ces dernières réclament une baisse des taxes, accusant le gouvernement de faire peser tout le poids de la mesure sur eux. "Le coût de cette réforme est pris en charge aux trois quarts par l'assurance maladie, et seulement un quart par les complémentaires" a encore pourtant assuré Agnès Buzyn ce mardi. "C'est à l'Etat de faire le premier pas", réplique Jean-Paul Benoît, catégorique.

Selon l'UFC-Que Choisir, l'effort doit toujours être mutuel : "Le reste à charge zéro est une mesure aux intentions louables, assure Mathieu Escot. Il faut améliorer l'accès au soin à la complémentaire santé, en particulier pour les personnes âgées, au-delà de la problématique des paniers de soin dont on parle aujourd'hui." Comment ? La réponse est toujours la même… Réduire les dysfonctionnements du marché, pour résoudre l'éternelle critique faite aux complémentaires : celle de passer sous silence leurs dépenses de publicité et autres frais de gestion. Mais il faudra attendre une autre mesure…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne