Faut-il avoir peur de l'intelligence artificielle ?

Intelligence artificielle : ce qu'en pensent les Provençaux

Intelligence artificielle : ce qu'en pensent les Provençaux

Marseille

Idriss Aberkane est le grand témoin invité par la Caisse d'Epargne CEPAC pour en débattre

Est-ce la conséquence des films et ouvrages de science fiction ? Toujours est-il que l'idée de robots vraiment intelligents met les humains mal à l'aise. En Provence, 61 % des habitants la redoutent et 81 % estiment que notre pays n'est pas prêt pour faire face aux changements qu'elle va engendrer. Spécialiste de l'intelligence artificielle et auteur de "Libérez votre cerveau !" (édition Robert Lafont), Idriss Aberkane répondra, ce soir au Silo, à Marseille, sur ce sujet, aux interrogations du public invité par la Caisse d'Epargne CEPAC dans le cadre de ses grands rendez-vous. Thème de ce rendez-vous exceptionnel : "L'intelligence artificielle va-t-elle tuer l'humanité ?"

Idriss Aberkane, président de General Bionic SA : "L'humain va rester supérieur à ses créations"

Idriss Aberkane vient aussi de publier "L'âge de la connaissance".
Idriss Aberkane vient aussi de publier "L'âge de la connaissance". Photo DR

 L'intelligence artificielle est de plus en plus présente dans nos vies. Comment la définiriez-vous ?

Le mot important dans intelligence artificielle (IA) est le mot "intelligence". Et c'est très dur à définir. Pendant longtemps, on a voulu la réduire au quotient intellectuel et c'est une erreur absolue. En sciences cognitives, c'est une mesure très intéressante mais, en aucun cas, elle ne capture toute l'intelligence. L'intelligence, en biologie, c'est la capacité à survivre, définie par Darwin comme la capacité à s'adapter, à résister à l'éradication. L'intelligence artificielle, elle, n'est pas là pour ça. Elle est là pour nous servir, faire exactement ce qu'on lui dit ou anticiper ce que l'on veut. Et surtout pas pour être trop autonome et nous dépasser. En termes de définition, sur le plan économique, c'est automatiser, autant que possible notre capacité intellectuelle. La meilleure définition d'intelligence artificielle est donc "nouvelle machine qui se met à automatiser notre intelligence".

Quels sont les bénéfices que l'intelligence artificielle peut nous apporter dans notre travail, notre santé et dans notre vie quotidienne ?

À partir du moment où le rôle de l'intelligence artificielle est d'automatiser notre esprit, nos décisions, elle va nous faire gagner du temps. Le rêve des plus grands acteurs de l'intelligence artificielle civils, comme Google, Apple, etc., c'est que l'intelligence artificielle soit aussi efficace qu'un employé humain. Par exemple, je peux dire à mon téléphone : "Et Siri, est-ce que je dois prendre un parapluie pour sortir ?". Et là, Siri va me dire oui ou non. Demain, le rêve d'Apple, serait que l'on puisse dire : "Et Siri, tu veux pas trouver un job d'été à ma fille à Singapour ? Lui faire trois versions différentes de son CV en fonction des entreprises dans lesquelles elle veut candidater ? Tu veux pas préparer son entretien d'embauche ?" C'est-à-dire : lui acheter son tailleur. Et chercher aussi sur Facebook le profil du gars qui doit l'interviewer afin de savoir quelle couleur il aime et quels sont ses sujets de prédilection. Et lui prendre son billet d'avion ? Et négocier le prix de son appart, ce qui d'un point de vue cognitif est encore plus difficile. Tout ça, l'intelligence artificielle actuelle n'en est pas capable. Seul un humain peut le faire. Le rêve d'Apple, c'est que demain l'IA soit capable de le faire toute seule comme un majordome qui, en plus, pourrait aller dans les grandes bases de données pour être plus efficace qu'un humain car il aurait accès à toute la connaissance du monde. Pour bien comprendre le rôle social de l'intelligence artificielle, il faut la comparer à un chien. Un chien, vous pouvez le dresser. L'IA aussi, sauf qu'elle se dresse beaucoup plus vite qu'un chien et c'est tout l'intérêt.

Quels sont les risques à considérer ?

Si vous imaginez que l'intelligence artificielle est un chien qui peut produire des services, il faut aussi considérer qu'il peut mordre le facteur. Et c'est là que l'on commence à parler des risques parce que le but de l'IA est de nous surprendre. L'intelligence, par définition, est quelque chose qui doit être surprenant. Quelque chose qui est entièrement prédictif n'est pas intelligent. L'IA doit avoir un aspect de prévisibilité puisqu'il faut qu'elle puisse faire le job pour lequel on l'entraîne mais, en même temps, la vraie intelligence c'est la capacité à être imprévisible. Or ça peut inclure de prendre des décisions qui pourraient tuer des humains. Oui, chaque année des humains sont tués par des chiens. Ça n'empêche pas que les chiens ont fait beaucoup plus de bien aux humains que de mal. Et le chien ne détruit pas le job de son maître. Certes, l'IA va pousser certains métiers à l'automatisation mais elle va créer beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en détruira.

Donc, on n'a rien à redouter de l'IA ?

Le vrai risque est dans l'armée. À partir du moment où on équipe une IA de la capacité de tuer, on prend des risques et c'est bien pour ça qu'Elon Musk, le patron de Tesla, milite pour interdire les IA armés. Car on est aujourd'hui capable de produire des robots tueurs pour les champs de bataille.

Est-ce que les humains auront encore une place dans le monde de demain face aux robots ?

Il y a deux écoles. À partir du moment où on a des machines qui passent des tests de QI, tous les adorateurs du QI se disent : "On est foutu parce que si les machines arrivent à capturer l'intelligence humaine, on va se retrouver obsolète". Dans ce cas-là, il y a l'idée que si on n'implante pas une puce dans le cerveau des humains, si l'homme ne fusionne pas avec la machine, il est perdu. C'est ce que pense Elon Musk qui considère que l'on ne survivra pas à l'IA si l'on n'a pas une puce dans le cerveau, dès la naissance si possible, pour être aussi compétitif que les machines. Moi, je m'inscris en faux contre cela. Je pense qu'apprendre directement par une puce implantée dans le cerveau, c'est comme si l'on se nourrissait uniquement pas intraveineuse. Pour moi, ce serait une erreur car l'humain reste incroyablement compétitif car il y a toute une gamme de choses qu'il peut faire et non les machines car l'humain a survécu depuis 300 000 ans. Ce que ne savent pas faire les machines. Je suis convaincu que l'humain va rester supérieur à ses créations.

Mais certains robots ont commencé à apprendre par eux-mêmes...

Effectivement, des robots sont capables d'apprendre et même de déposer des brevets ! Ce sont les human competitive qui fonctionnent avec des algorithmes évolutionnaires capables de copier le vivant. Pour comprendre ça, il faut voir le rapport A sur I. C'est-à-dire quelle intelligence artificielle j'ai pour combien d'entraînements humains. L'immense majorité des AI ne savent faire que ce qu'un humain leur a appris. Dans ce cas, on dit que le rapport A sur I est faible. Mais maintenant, on se met à avoir des AI qui ont une intelligence machine élevée alors que très peu d'humains les ont entraînées. Ce sont les algorithmes évolutionnaires. Ils ont un rapport A sur I très élevé. À la Nasa, des algorithmes évolutionnaires ont réussi à produire des antennes révolutionnaires, brevetables, que les humains ne parvenaient pas à réaliser. Oui, il y a des robots qui arrivent à être créatifs. Mais, pour autant, on est très très loin d'avoir des robots autonomes. Et ça, c'est le mur sur lequel buttent les intelligences artificielles. Sans parler de la gestion de l'ambiguïté, simple pour notre cerveau, pas pour l'intelligence artificielle. L'ambiguïté est un gros obstacle sur lesquels buttent les chercheurs.

Le Royaume-Uni, champion de l'intelligence artificielle européenne selon une étude

Le Royaume-Uni est le pays européen où sont basées le plus de start-up actives dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA), devant la France et l'Allemagne, selon un baromètre France Digitale/Roland Berger publié mardi. Ce recensement est divulgué à la veille de deux jours de réunion de spécialistes de l'IA à l'incubateur parisien Station F, à l'initiative de France Digitale, fédération d'entrepreneurs de la technologie. Il dénombre outre-Manche 774 start-up actives dans l'apprentissage automatique, les réseaux neuronaux et les autres technologies de ce type, soit 34% des jeunes pousses européennes du genre. En France, au deuxième rang du classement, il recense 308 start-up, soit 14% du total européen, juste devant l'Allemagne avec 303 jeunes pousses identifiées (13%). La France est en revanche championne des laboratoires de recherche, avec 82 entités (21% du total européen), contre 43 pour l'Allemagne et 38 pour le Royaume-Uni.

Le baromètre "confirme que l'écosystème français de l'intelligence artificielle est le premier du continent", a déclaré à l'AFP Cédric Villani, le député mathématicien qui a inspiré au gouvernement la stratégie pour l'intelligence artificielle publiée en mars dernier. "La vitalité des start-up", la "qualité de la recherche" et l'existence d'énormes bases de données grâce à la tradition centralisatrice française sont "les trois forces sur lesquelles il faut s'appuyer" pour développer le secteur en France, a-t-il dit. Roland Berger, le cabinet auteur de l'étude, a de son côté souligné que le fractionnement du marché européen restait nuisible aux entreprises européennes de l'intelligence artificielle, qui ne peuvent compter sur de grands marchés intérieurs unifiés comme les deux champions mondiaux, les Etats-Unis et la Chine. Il faut "s'écarter" du modèle européen actuel ou des écosystèmes nationaux vivent leur vie chacun de leur côté, estime le cabinet dans ses commentaires. Selon le rapport, les start-up d'intelligence artificielle ont levé 774 millions de dollars de capital-risque en 2017, contre 4,5 milliards aux Etats-Unis, et le même montant en Chine. M. Villani a estimé qu'il était vital d'améliorer le statut des chercheurs du public, pour éviter la fuite de ces cerveaux vers les laboratoires privés comme ceux installés ou renforcés ces derniers mois en France par de grands noms comme Google, Samsung, IBM ou Fujitsu. Ces laboratoires privés "donnent des moyens importants aux chercheurs" et jouent un rôle positif dans ce sens là, a-t-il expliqué. Mais "il faut éviter qu'il y ait une disproportion trop importante" entre les moyens alloués aux chercheurs les laboratoires publics du privé et ceux du public. La Première ministre britannique Theresa May visite une école d'ingénieurs à Birmingham le 20 novembre 2017 Le mathématicien et député LREM français Cédric Villani lors de son discours durant la conférence "L'intelligence artificielle au service de l'humain" à Paris, le 29 mars 2018.