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Barry Lynn : «Les GAFA ont acquis un droit de vie et de mort dans l'économie numérique»

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INTERVIEW - L'essayiste Barry Lynn est devenu l'un des ennemis de Google et progressivement d'autres géants du web en remettant au goût du jour la notion d'antitrust

Barry Lynn milite pour le démantèlement des géants du web Open Market Institute

Journaliste, essayiste et penseur économique américain, Barry Lynn a beaucoup écrit sur la façon dont les monopoles fragilisent l'économie. Il est à l'origine du think tank «Open market institute», qui s'est donné pour mission d'observer la domination du secteur de la technologie par quelques monopoles, dont l'entreprise Google, dont il est devenu l'un des plus fervents opposants. Il milite désormais avec de jeunes penseurs brillants, comme Lina Khan, pour le démantèlement des géants du web. Et obtient un certain écho à Bruxelles, où Le Figaro l'a rencontré à l'occasion du sommet mondial de la protection des données, la Privacy Conference.

Comment en êtes-vous arrivé à devenir l'un des ennemis numéro un de Google?

BARRY LYNN - J'ai travaillé pendant 15 ans pour New America, un think tank américain, où j'ai beaucoup étudié la façon dont les monopoles agissent sur l'économie. Google est l'un des soutiens financiers de cette organisation et pendant longtemps, mon travail ne lui a pas posé de problème. Mais l'an dernier, j'ai publié un article félicitant Margrethe Vestager [la commissaire européenne à la concurrence, ndlr] de la sanction qu'elle venait de prononcer contre Google. J'y appelais les régulateurs américains à étudier cette décision et à s'en inspirer. Quelques heures plus tard, j'ai reçu un appel des dirigeants de New America, car Google menaçait de leur couper des subventions [de 21 millions de dollars annuels, ndlr] à cause de cette publication dissidente, et j'ai été remercié.

Cette censure de Google a été rapportée par le New York Times et a beaucoup choqué. Pourquoi à votre avis?

Cela a créé un «effet Streisand»: en voulant taire mes idées, Google leur a donné plus d'influence malgré lui. J'ai pu créer un nouveau think tank, Open Market Institute, et nous sommes désormais une quinzaine de chercheurs indépendants à étudier les monopoles, notamment ceux des géants des technologies. Notre travail sur l'antitrust intéresse désormais la sénatrice Elisabeth Warren et plus largement le parti démocrate et Hillary Clinton. Les idées de Lina Khan, qui est la deuxième personne que j'ai recrutée et l'auteure remarquée d'un essai sur le monopole d'Amazon, ont été entendues par les régulateurs américains comme la FTC, mais aussi par des régulateurs mondiaux.

« Soit nous neutralisons Google et Facebook, soit nous perdons notre démocratie »

En quoi le pouvoir de ces entreprises pose-t-il problème?

L'équation est très simple: soit nous neutralisons Google et Facebook, soit nous perdons notre démocratie. Ces entreprises utilisent des moyens considérables pour faire taire leurs critiques, notamment en menaçant directement le modèle économique de la presse. Ou en appelant les journalistes dès qu'ils mentionnent mon nom, comme je l'ai souvent vu aux États-Unis! Sur le plan économique, même les premiers investisseurs de ces entreprises reconnaissent qu'elles sont devenues trop puissantes, mais n'osent pas parler à découvert car elles ont désormais droit de vie et de mort sur l'économie numérique. En outre, à Wall Street, les investisseurs institutionnels et les Venture Capitalist affirment de plus en plus que Google, Facebook et Amazon sont trop gros et bloquent l'innovation, ce qui pose un problème de compétition majeur.

Avez-vous l'impression que l'Europe soit également sensible à l'idée de démanteler les GAFA?

La compréhension des enjeux de monopole a explosé ces dernières années, partout dans le monde. Aux États-Unis, en Inde, au Royaume-Uni.. Même en Chine! En Europe, les dirigeants comprennent qu'ils ont longtemps compté sur Bruxelles pour s'occuper de régulation de la compétition, et ils agissent maintenant à un niveau national. Le gouvernement britannique a engagé Jason Furman, l'ancien conseiller économique de Barack Obama, pour mener une étude sur la façon dont les monopoles de la tech empêchent l'innovation sur la scène britannique. L'anticoncurrence allemande et française travaillent de concert pour étudier le monopole dans la publicité en ligne de Facebook et Google.

« La société commence à peine à réaliser l'impact de la révolution numérique, comment elle affecte notre perception du monde »

Pensez-vous que les géants du web ont vraiment peur de vos idées?

L'antitrust est la kryptonite des géants du web. Ce type de régulation attaque fondamentalement leur pouvoir, qui repose sur un monopole.

Certains observateurs affirment qu'il faudrait de nouvelles règles pour réguler ces monopoles d'un genre nouveau...

C'est faux! Il y a 100 ans, les géants du pétrole, de l'électricité ou du train étaient tout aussi novateurs que le sont aujourd'hui les géants du web, et pourtant les règles de compétition ont permis leur démantèlement. Ce qui empêche aujourd'hui d'agir contre les géants, c'est le pouvoir terrifiant que ces entreprises sont en train de gagner sur le plan politique.

N'est-il pas déjà trop tard alors?

Pas du tout: ces entreprises sont beaucoup plus faibles qu'il n'y paraît. Elles sont affaiblies par des pressions internes, comme les débats éthiques qui s'y tiennent. Actuellement, de nombreux employés quittent Facebook et Google car ils n'approuvent pas leur impact sur le monde. Et puis, il y a aussi les outils de pression externe. Nous pouvons utiliser les outils de l'antitrust dès à présent. Mais pour qu'il y ait une décision politique, il faut d'abord opérer un changement de paradigme. La société commence à peine à réaliser l'impact de la révolution numérique, comment elle affecte la façon dont nous percevons le monde, le pouvoir. Sur le plan de la régulation, cette nouvelle ère affecte aussi la façon dont nous définissons traditionnellement la notion de marché, de secteur ou même d'entreprise. C'est un problème épineux, mais les gens ont les moyens d'y réfléchir et de faire des choix. Il n'est pas trop tard!

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