Ségolène Royal, qui était lundi 23 octobre l’invitée de RTL, a critiqué la politique d’« écologie punitive » du gouvernement Philippe et déploré la hausse des taxes sur les carburants, en particulier sur le diesel. Au passage, celle qui est désormais ambassadrice chargée de la négociation internationale pour les pôles arctique et antarctique oublie que les mesures actuelles sont en grande partie la prolongation de ses actions en tant que ministre de l’environnement, entre 2014 et 2017.
1 – La convergence diesel-essence, un mouvement amorcé par… Ségolène Royal
Ce qu’elle a dit :
« Cette taxation sur l’essence et le gazole, c’est juste faire des impôts supplémentaires, et utiliser l’écologie pour faire des impôts supplémentaires ce n’est pas honnête. »
L’alignement des fiscalités entre le diesel et l’essence n’a pas été décidé de manière abrupte, en octobre. C’est un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, qui l’a annoncé début 2017.
Pourquoi c’est de l’amnésie ?
En réalité, ce rapprochement entre les prix des carburants avait été commencé sous le gouvernement précédent, en 2015, c’est-à-dire il y a trois ans, alors que Ségolène Royal était ministre de l’environnement.
L’ancienne ministre - qui s’était dite opposée à l’idée avant de changer d’avis après avoir intégré le gouvernement Valls - a d’ailleurs évoqué cette mesure sur RTL, en affirmant qu’elle avait prévu, à l’époque, « la baisse d’un centime par an du prix de l’essence et la hausse d’un centime du prix du gasoil ». Pourtant, ce calcul est sous-estimé puisque cette augmentation s’additionnait avec une hausse de la taxe sur les carburants (la TICPE) décidée pour atténuer l’impact financier de l’abandon de l’écotaxe, et un changement de calcul pour mieux intégrer les émissions de dioxyde de carbone (CO2).
En tout, Ségolène Royal calculait en janvier 2016 devant les députés que l’augmentation s’élevait « pour le gazole à 4 centimes par litre » et que cette évolution « amorçait la convergence entre la fiscalité du gasoil et celle de l’essence ». La ministre avait même été plus loin en évoquant le fait d’aller à terme vers une interdiction du carburant diesel.
2 – Inciter à acheter des voitures plus écologiques ? Une idée développée par… Ségolène Royal
Ce qu’elle a dit :
« Est-ce que du jour au lendemain les automobilistes peuvent vendre leur voiture pour acheter une voiture électrique ou une voiture hybride ? La réponse est non. »
Pourquoi c’est de l’amnésie ?
Personne ne conteste qu’il est difficile de changer de voiture « du jour au lendemain », car c’est un achat coûteux. Mais il est étrange que ce soit Ségolène Royal qui s’en étonne, car c’est elle qui, lorsqu’elle était au ministère de l’écologie en 2015, avait relancé la prime à la conversion écologique, imaginée en 2009, et justement destinée à aider les particuliers à acheter un véhicule plus écologique, en mettant à la casse sa vieille voiture polluante. Une prime de 10 000 euros était aussi versée pour l’acquisition d’un véhicule électrique.
Sous la présidence Macron, cette aide a été réduite à 6 000 euros. En revanche, la prime à la conversion écologique a été étendue à l’achat d’une voiture d’occasion, et augmentée, pour atteindre 1 000 euros, et même 2 000 euros pour les ménages non imposables. Selon le gouvernement, cette prime a bénéficié à 200 000 ménages en 2018.
Ce n’est pas suffisant pour financer en totalité l’achat d’un véhicule plus écologique, mais ces primes ont eu un effet très net sur les ventes de motorisation diesel, qui se sont effondrées, passant de 1,5 million en 2010 à moins d’un million de véhicules neufs en 2017. Les motorisations hybrides et électriques émergent en revanche plus timidement.
3 – Le budget 2019 n’a pas (encore) supprimé toutes les aides écologiques
Ce qu’elle a dit :
« Bruno Le Maire a cassé tous les leviers positifs de l’écologie positive. (…) Le crédit d’impôt de transition énergétique, notamment pour les doubles vitrages, qui vient d’être supprimé, les 200 euros pour les vélos électriques, ça vient d’être supprimé, les 10 000 euros pour l’achat d’une voiture électrique, ça vient d’être supprimé, les autres crédits d’impôts notamment l’installation de bornes électriques, ça vient d’être supprimé, les subventions des territoires à énergie positive… »
C’est plutôt vrai
Après avoir dénoncé la hausse de la fiscalité écologique, Ségolène Royal a aussi égrené les mesures rabotées par le gouvernement. Cet inventaire n’est pas totalement faux : la prime à l’achat d’un vélo électrique a bien disparu en début d’année, les territoires à énergie positive, victimes de leur succès, ont connu des problèmes de financement, et la prime aux voitures électriques a baissé de 10 000 euros à 6 000 euros.
Toutefois, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) a été prolongé d’un an dans la loi de finances 2019, pour un montant de plus de 800 millions d’euros, et devrait continuer à financer les bornes de recharge électrique. Si l’on ajoute la hausse du chèque énergie, qui passe de 150 euros à 200 euros pour les ménages modestes (pour un coût total de 710 millions d’euros), la prolongation de l’écoprêt à taux zéro (environ 800 millions d’euros) et de la prime à la conversion (760 millions d’euros), le projet de loi de finance 2019 prévoit près de 3 milliards d’euros de mesures « positives » en faveur de l’environnement.
Cela reste toutefois en deçà des 5 milliards d’euros attendus par la seule hausse de la fiscalité sur le carburant. Et c’est plutôt dans les années suivantes que l’« effet de ciseau » risque de se faire sentir, puisque les taxes sur l’essence et le diesel ne feront qu’augmenter, alors que plusieurs programmes d’accompagnement environnemental (CITE, EcoPTZ) risquent de disparaître ou d’être remaniés.
En cela, on peut dire que Ségolène Royal a plutôt raison lorsqu’elle affirme que « le gouvernement ne respecte pas l’obligation de la loi [sur la transition écologique] qui consiste à dire : “quand on fait un centime de plus de fiscalité écologique vous êtes obligés de baisser un centime ailleurs la fiscalité pour qu’il y ait une neutralité fiscale par rapport à l’économie” ».
4 – Récupérer 55 milliards d’euros de fraude fiscale ? Un chiffre très ambitieux
Ce qu’elle a dit :
« Le gouvernement ferait mieux de remplir les caisses en luttant contre la fraude fiscale des banques, puisque le journal “Le Monde” vient de révéler qu’il y avait 55 milliards de fraude fiscale des banques, ce serait plus intelligent que de prendre au piège les automobilistes. »
Pourquoi c’est hors sujet ?
Le Monde est flatté que Ségolène Royal cite l’enquête sur le scandale « CumCum » et « CumEx », des pratiques d’évasion et d’optimisation fiscale impliquant plusieurs banques. En revanche, le chiffre qu’elle avance, « 55 milliards d’euros de fraude », ne correspond malheureusement pas à une somme que le fisc français pourrait récupérer. C’est une estimation du préjudice subi par plusieurs pays européens depuis 2001. Pour la France, la somme serait plutôt évaluée à 3 milliards d’euros par an — ce qui reste un montant très élevé.
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