Chris Messina, l’illustre inconnu qui inventa le hashtag

De Twitter à Instagram, on échangerait pas moins de 125 millions d'hashtags par jour. Si la pratique de ce « mot-dièse » est aujourd'hui indissociable de celle des réseaux sociaux, c'est grâce à Chris Messina, inventeur de génie que personne ne connaît… Portrait.
chris messina slid

Il a pour homonyme un acteur qui n’a certes jamais brillé – abonné aux seconds rôles au ciné et à la télé (Six Feet Under, Argo, Live by Night) – mais qui l’a tout de même éclipsé. Peu importe puisque Chris Messina – celui dont il sera question dans cet article – n’est pas vraiment un amateur des projecteurs. Petites lunettes vissées sur le nez, il serait plutôt classé dans la catégorie des travailleurs de l’ombre, ou, soyons plus exact, des génies de l’ombre. Il faut en effet de la précision quand on décide de raconter l’histoire de Chris Messina, puisqu’il manifeste lui-même une rigueur quasi mathématique. Une qualité nécessaire pour inventer le hashtag, petit symbole devenu le ciment des réseaux sociaux. Messina est une sorte de Picbille, ce cafard bleu qui rangeait des billes dans des boîtes pour apprendre aux écoliers des années 90 à compter ou tout simplement à faire preuve de logique. Car finalement, si on avait pu l’oublier, le hashtag est bien une sorte de boîte que l’on utilise pour classer des messages par thèmes, par rubriques, par rayonnages…

Tout commence le 23 août 2007 avec un tweet. À l’époque, les gens pianotent sur des téléphones à touches. Le premier iPhone n’est sorti que deux mois plus tôt. Et autant dire que Twitter n’est connu de personne, mis à part d’une « bande de mecs qui se regardent le nombril », selon les propres mots de Chris Messina interrogé récemment par Euronews. Lui, il était le 1186e inscrit sur le réseau social à l’oiseau bleu.

Le premier hashtag « #barcamp », qui fait référence à un événement bien connu de l’industrie informatique, avait de quoi séduire ce microcosme geek. Pourtant, la proposition ne déclenche aucun enthousiasme. Opiniâtre, Chris Messina, qui est alors consultant indépendant pour des entreprises de marketing et de médias, se déplace dans les locaux de Twitter à San Francisco pour tenter de convaincre quelqu’un de la nécessité de cette petite innovation*. « C’était l’idée la plus simple qui pouvait fonctionner »*, se souvient-il aujourd’hui dans les colonnes du New York Times. En effet, le symbole était connu de tous, déjà utilisé sur les répondeurs. Mais assis derrière son bureau, le très pressé Biz Stone, cofondateur et directeur artistique de Twitter, ne prête pas attention à ce petit exposé. « C’était indéniablement une proposition élégante mais je devais vraiment me replonger dans mon travail. Je suis retourné à mon écran d’ordinateur pour aider à relancer Twitter qui avait planté, le remerciant d’un sarcastique ‘oui oui, on va faire ça’ », s’est-il souvenu dans un récent article publié sur son blog.

Le cofondateur de Twitter, Biz Stone, et son inséparable ordinateur (AFP)

À la suite de cette deuxième déconvenue, le mot-dièse aurait pu définitivement rester lettre morte. Mais Chris Messina n’abandonne pas son idée et continue à la présenter, de temps à autre lors de dîners ou de réunions, à des développeurs d’applications ou même à de simples utilisateurs du réseau social à l'oiseau bleu. Ce n’est que quatre ans plus tard que les dirigeants de Twitter, certainement pris de remords et face à l’évidence d’un usage de plus en plus massif, intégreront officiellement le hashtag en y ajoutant un hyperlien. « D’une certaine manière le hashtag est arrivé sur Twitter comme un cheval de Troie », s’amuse l'inventeur dans son interview accordée à Euronews. Chris Messina s’est en effet imposé, et son hashtag avec…

Mais cet inventeur de génie n’a jamais vraiment revendiqué la paternité de cette petite révolution, sauf quand les médias viennent le sortir de son doux anonymat. Il n’a pas non plus déposé de brevet ou réclamé des sommes extravagantes. « Je n’avais pas non plus vraiment d’intérêt à me faire de l’argent dessus. Le concept est né sur Internet et n’appartient à personne. J’aime voir les gens utiliser des hashtags autant qu’ils le souhaitent », a-t-il expliqué à L’Express. Chris Messina peut en effet être heureux – et même un peu fier – puisque, dix ans plus tard, les « # » sont devenus le cœur des réseaux sociaux et rythment tous les évènements médiatiques, de #JeSuisCharlie à #IceBucketChallenge. Selon quelques statistiques, on en échangerait pas moins de 125 millions chaque jour. De son côté, Chris Messina en est lui-même un inconditionnel. Mais pour seul clin d’œil à son glorieux passé, il affiche à côté de son pseudo Twitter un petit « # », en toute discrétion.