Iceberg rectangulaire : la nature est-elle géométrique ?

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Iceberg rectangulaire : la nature est-elle géométrique ?

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L'iceberg tabulaire observé par la NASA.
L'iceberg tabulaire observé par la NASA.
- NASA

Un iceberg rectangulaire a été observé en Antarctique, suscitant de nombreuses interrogations. Sa forme est pourtant tout à fait naturelle. Comme souvent dans la nature, les formes géométriques qu'on observe ont une explication scientifique.

C’est un rectangle de glace de plus d’un kilomètre qui dérive dans l’océan, comme découpé avec précision avant d’être abandonné à son sort. La photo de cet iceberg quasi-rectangulaire, diffusée par la NASA sur les réseaux sociaux, a généré beaucoup d’interrogations chez les internautes. 

Ce genre d’iceberg, nommé iceberg tabulaire, n’a pourtant rien de rare. Si les icebergs angulaires, à l’image de celui qui a coulé le Titanic, ont plutôt une forme de prisme, avec un sommet plus ou moins pointu et une gigantesque base qui s’étend sous l’eau, les icebergs tabulaires prennent plutôt l’apparence d’une dalle de glace. Pour les uns comme pour les autres, on ne distingue au dessus de la surface de l’eau que 10 % de leur masse totale.

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Ces icebergs tabulaires, à la surface aplatie et aux falaises rectilignes, peuvent s’élever jusqu’à 30 mètres au dessus des flots. Leur surface plane s’explique par le type de glacier dont ils sont issus, qui évolue le long d’une large vallée en pente faible. C’est au cours du processus de vêlage qu’ils deviennent des icebergs tabulaires : soumis aux pressions des courants, des marées, des vagues et de leur propre poids, les glaciers se brisent soudainement. C’est cette cassure qui provoque des lignes droites et abruptes, et peut leur conférer une forme rectangulaire.

Repéré dans le cadre de l’Opération IceBridge, qui vise à surveiller l’évolution des banquises et des glaciers, l'iceberg photographié est certainement récent : long de plus d’un kilomètre et originaire de la barrière de Larsen, le long de la côte orientale de la péninsule Antarctique, ses bords vifs suggèrent qu’il n’a pas encore eu le temps d’être érodé par le vent et la mer. Il est cependant loin d’être le plus grand iceberg tabulaire : l’iceberg B15, le plus grand jamais enregistré, mesurait 295 km de long sur 37 km de large.

L'iceberg tient plus du trapèze que du rectangle parfait.
L'iceberg tient plus du trapèze que du rectangle parfait.
- Nasa/Jeremy Harbeck

Géométrie au naturel : la géométrie des cristaux 

En réalité l’image photographiée par la NASA est trompeuse : vu d’un autre angle, le rectangle tient plutôt du trapèze. Et si cette apparence semble due au hasard, la nature est loin d'être dénuée de régularité. On y retrouve des formes géométriques un peu partout, de la composition en alvéoles des ruches d’abeilles aux structures hexagonales des cristaux de neiges, en passant par les orgues basaltiques observables, par exemple, à la Chaussée des géants, une formation volcanique en Irlande. 

La Chaussée des géants, en Irlande du Nord, compte plus de 40 000 orgues basaltiques hexagonaux.
La Chaussée des géants, en Irlande du Nord, compte plus de 40 000 orgues basaltiques hexagonaux.
- Patrice78500 / Wikimedia

Les mathématiciens font énormément de recherches sur ces structures en hexagones. En 1999, le chercheur américain Thomas Hale a démontré un théorème indiquant que le réseau hexagonal, sur une surface plane, est simplement le plus efficace en terme d’occupation de l’espace. 

Les formes géométriques dans la nature fascinent les scientifiques de longue date, à commencer par les cristaux. Ces derniers prennent la forme de parallélépipèdes en raison de l’arrangement ordonné de leurs atomes constitutifs. Les structures géométriques particulières au niveau atomique induisent un comportement singulier à notre échelle : en répétant ce motif un grand nombre de fois au cours de leur évolution, les cristaux créent un empilement, nommé “maille”, qui leur confèrent leur forme symétrique. 

Des cristaux de sel.
Des cristaux de sel.
- SlashSlash / Wikimedia

De la même façon, les cristaux de glace, peu importe leur apparence, ont toujours six côtés, du fait de la structure moléculaire de l’eau. La forme la plus simple et la plus efficace pour empiler les molécules d'eau est, encore une fois, l’hexagone. Cette forme hexagonale au niveau microscopique, finit par se traduire à l’échelle macroscopique et est donc observable à l’œil nu. 

La géométrie du vivant : des spirales aux fractales 

Une pomme de pin.
Une pomme de pin.
- Eric Kilby (CC BY-SA 2.0)

La géométrie du vivant n’est pas en reste. L’exemple le plus connu est certainement la suite de Fibonacci, que l’on retrouve régulièrement dans la nature et qui pose encore question aux scientifique. En 1993, dans Perspectives scientifiques, Yves Couder et Stéphane Douady, physiciens au Laboratoire de physique statistique de l'Ecole normale supérieure, racontaient leur enquête sur les spirales végétales : 

Il y a énormément de choses très ordonnées dans la nature. Les écailles de pomme de pin, si on les observe bien, on voit des spirales très ordonnées. [...] Cet ordre est parfait et complètement universel : il s’observe pour toutes les pommes de pin, pour des fleurs.

Les spirales végétales et la suite de Fibonacci (Perspectives scientifiques, 05/07/1993)

27 min

On retrouve également la suite de Fibonacci dans la carapace spiralée de certains animaux, à l’image du Nautile par exemple. Contrairement à ce que les scientifiques ont longtemps pensé, ces structures ne sont pas déterminées par la génétique, mais par des principes d’optimisation de l’espace.

La Méthode scientifique
58 min

On doit la découverte d’une des autres structures mathématiques observables dans la nature au mathématicien franco-américain Benoît Mandelbrot, avec son théorème des “fractales”. Avec cet outil mathématique, le scientifique a démontré que l’on pouvait trouver des structures invariantes peu importe l’échelle, dans la nature, un peu à l’image des poupées russes. Elles existent un peu partout, qu’il s’agisse de la structure du système pulmonaire, des nuages, des plumes d’oiseaux ou même de la répartition des galaxies.

Le chou-fleur, un exemple de forme fractale naturelle.
Le chou-fleur, un exemple de forme fractale naturelle.
- AVM / Wikimedia

L’exemple le plus connu en est le chou romanesco, ou encore le chou-fleur, comme le racontait le physicien Bernard Sapoval, invité de Continent Sciences en juillet 2002 :

Si on casse une assiette on obtient une surface de fracture très irrégulière. Dans ce cadre là, dans la tentative de description de l’irrégularité géométrique, la géométrie fractale, apparue dans les années 70, est un outil particulièrement fécond. Elle décrit des objets dont l’irrégularité géométrique est hiérarchique. Par exemple un chou-fleur du marché peut être coupé en moyenne en 12 à 14 branches de chou-fleur. Et si on regarde la morphologie de chaque branche de plus près, en réalité, on voit exactement la même image que celle du chou-fleur entier. Et cette branche elle-même est faite à nouveau de 12 à 14 branches plus petites, et chacune d’entre elles ressemble étonnamment au chou-fleur d’origine. Et on peut recommencer à l’œil nu jusqu’à une petite branche qui fait quelques millimètres de diamètre. Cette géométrie est une géométrie hiérarchique et qui porte cette propriété particulière qu’une partie de l’objet est semblable à l’objet entier. 

Les Fractales (Continent sciences, 18/07/2002)

53 min

Comme souvent, l'omniprésence de ce modèle mathématique dans le vivant s'explique pour des raisons d'efficience : il permet de créer un espace d'échange le plus grand possible tout en étant restreint dans un système fini, comme avec la photosynthèse pour une fougère par exemple. Si la structure d'un iceberg tabulaire tient en partie du hasard, la géométrie n'en est pas moins omniprésente dans la nature. Comme le professait Galilée : "La nature est un livre écrit en langage mathématique".