Sophie Cluzel : «Toutes les personnes handicapées pourront voter et se marier»

Jusque-là 300 000 personnes handicapées étaient privées du droit de vote, d’autres ne pouvaient pas se marier sans l’accord d’un juge. La secrétaire d’État Sophie Cluzel en annonce la fin.

 La secrétaire d’État se fixe comme objectif que « tout le monde puisse voter, au plus tard, aux prochaines élections municipales de 2020 ».
La secrétaire d’État se fixe comme objectif que « tout le monde puisse voter, au plus tard, aux prochaines élections municipales de 2020 ». LP/Frédéric Dugit

    Elle se bat pour que les personnes handicapées ne soient plus « des objets de soin mais des sujets de droit ». Alors que le gouvernement tient ce jeudi matin, à Matignon, le deuxième comité interministériel du handicap (CIH) du quinquennat, la secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel, nous dévoile, en exclusivité, les premières grandes mesures.

    À 57 ans, cette militante, qui a fondé de nombreuses associations, est aussi la maman de Julia, 22 ans, trisomique, petite dernière d'une fratrie de quatre enfants. Depuis des années, cette ancienne femme d'affaires se bat pour améliorer la qualité de vie de ces personnes, mieux les insérer, batailler contre l'exclusion et les préjugés. Alors, Sophie Cluzel veut rétablir une injustice : donner le droit de vote à tous les handicapés d'ici 2020.

    Pourquoi, en France, certaines personnes n'ont pas le droit d'être des électeurs comme les autres ?

    SOPHIE CLUZEL. Aujourd'hui, 700 000 majeurs sont mis sous tutelle et curatelle dans notre pays. Parmi eux, plus de 300 000 sont privés par décision d'un juge de voter, principalement des personnes qui ont un handicap mental et psychique. Cette mesure est prise sous prétexte de les protéger. On leur enlève donc ce droit, pourtant, inaliénable et inconditionnel. C'est une forme de discrimination, une façon de leur dire « vous êtes des citoyens à part ». D'ailleurs, nous avons fait un grand sondage qui montre que 95 % des Français ne comprennent pas que le handicap soit une cause de suspension du vote. On veut changer cela. C'est aussi une des grandes revendications de l'ensemble des associations depuis plus de trente ans.

    Votre fille est-elle aussi sous tutelle ?

    Non, Julia n'est pas concernée. Elle est capable de discerner énormément de choses, elle travaille, elle est autonome, elle prend les transports en commun. C'est encore compliqué de gérer son budget, mais nous sommes là pour ça. Elle peut donc voter comme ce fut déjà le cas à plusieurs reprises à la présidentielle, aux municipales et aux législatives. Ma fille participe aussi à des ateliers citoyens et à chaque élection, revient ce droit de pouvoir choisir, s'exprimer, d'aller dans un isoloir. Mais il faut signaler que beaucoup de familles ne mettent pas leurs enfants sous tutelle de peur qu'ils ne puissent pas accéder aux urnes.

    Comment allez-vous leur redonner ce droit ?

    Nous allons abroger une partie de l'article L5 du code électoral porté par la loi de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui va bientôt passer à l'Assemblée nationale. Notre objectif est que tout le monde puisse voter, au plus tard, aux prochaines élections municipales de 2020. En France, on ne le sait pas assez, mais un tiers peut déjà accompagner une personne handicapée dans l'isoloir, mettre son bulletin dans l'urne, signer le registre à sa place. Plus personne ne pourra leur supprimer ce droit! Nous allons d'ailleurs faire la même chose pour le mariage, le pacs et le divorce.

    Certaines personnes handicapées n'y ont pas non plus accès ?

    Non ! Depuis toujours, les majeurs protégés sous tutelle ne peuvent pas se marier, ni se pacser, ni divorcer, sans l'autorisation d'un juge. Cette réalité est inacceptable. Je pense que les Français ne sont pas au courant de ces entraves. On va arrêter de dire aux personnes handicapées ce qu'elles doivent faire. Ce n'est plus possible ! Le Code civil sera modifié d'ici le début de l'année.

    Certains craignent que les personnes handicapées ne soient influencées ou manipulées pour voter. Que leur répondez-vous ?

    Je leur réponds que tout le monde est influençable, c'est la conception même de notre démocratie. C'est aussi le même argument que l'on a tenu pour éloigner les femmes du droit de vote jusqu'en 1946 !