Sophie attend son troisième enfant. Éleveuse de vaches dans le Doubs, elle compte bien s’arrêter vingt-six semaines, comme si elle était salariée. « Il n’est pas question que je mette ma santé ou celle de mon enfant en danger, explique la jeune femme. Je ne suis pas née dans le milieu agricole, il n’est pas du tout dans ma façon de penser de m’arrêter au dernier moment. » La maman s’était déjà arrêtée seize semaines, quand elle attendait ses aînés, Calie, 3 ans, et Lucien, 18 mois.

Sophie a créé un Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) avec son mari il y a quelques années. Les débuts n’ont pas été confortables. « Nos bâtiments étaient assez vétustes, reprend Sophie. Ils nous contraignaient à des efforts importants. Par exemple, je devais traire les vaches accroupie, déplacer le fumier à la main. Manutentionner le foin n’était pas facile non plus. » Du coup, une bonne coupure pendant ses premières grossesses ne fut pas du luxe, estime-t-elle.

Une durée légale trop basse

Reste que les arrêts longs ne sont pas la norme dans sa profession. En effet, 40 % des agricultrices renoncent même purement et simplement à leur congé maternité, selon les chiffres avancés par Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation des droits des femmes à l’Assemblée nationale, auteure d’un rapport très précis sur les congés maternités selon les statuts.

La durée maximale du congé maternité des agricultrices est officiellement alignée sur celle du congé des salariées, et les agricultrices, sur le papier du moins, sont plutôt mieux loties que d’autres travailleuses indépendantes pour qui rien n’existe réellement. Dans les faits, néanmoins, les pauses liées à une naissance sont souvent écourtées. En cause : une durée minimale légale trop basse, de deux petites semaines. Le gouvernement a donc choisi de la faire passer à huit semaines, dont deux avant la naissance.

Autre mesure avancée : l’embauche d’un remplaçant sera financée à 100 % par la MSA, la sécu agricole, sans le reste à charge de 16 € par jour actuellement en vigueur. En effet, le régime des agricultrices est spécifique. Il ne donne pas droit à des indemnités journalières comme c’est le cas pour les salariées, mais à une « allocation de remplacement » indispensable pour que l’exploitation puisse continuer de tourner. Problème, les « services de remplacement » présents sur tout le territoire sont en sous-effectifs dans certaines régions. De plus, la formation des intéressés ne répond pas toujours aux besoins des exploitations.

Le montant des indemnités journalières non défini

Les syndicats soulignent donc cet écueil, même s’ils affichent leur satisfaction globale sur le texte soumis à l’Assemblée. Catherine Laillé, responsable des agricultrices à la Coordination rurale, salue ainsi « de grandes avancées », tout en estimant que « désormais la balle est dans le camp de la MSA et des organismes de remplacement, qui doivent trouver des candidats en nombre suffisant ».

À la FNSEA, Jacqueline Cottier renchérit et s’inquiète d’une disposition risquée à ses yeux. Le texte présenté au Parlement prévoit en effet la possibilité, en cas d’incapacité à se faire remplacer, de pouvoir toucher des indemnités journalières d’un montant non défini pour l’instant. « Il y a un risque évident que cette somme d’argent serve, dans certains cas, à redresser les comptes de l’exploitation plus qu’à financer l’arrêt de la femme, car celle-ci dans les faits ne sera pas en mesure d’être remplacée », explique la présidente de la Commission nationale des agricultrices.

La situation des agricultrices illustre ainsi toute la difficulté de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui voulait « harmoniser » les congés maternité par le haut en les alignant tous sur le plus favorable, celui des salariées. « Cette harmonisation ne peut se faire que dans le respect de la spécificité et des besoins des différents métiers », explique l’entourage de Marie-Pierre Rixain. Un alignement qui devra donc se faire métier par métier, progressivement, et sur toute la durée du quinquennat.

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Un droit à la reprise progressive de l’emploi

Trois amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale introduisent des mesures spécifiques pour le congé maternité des indépendantes (professions libérales, autoentrepreneuses et micro-entrepreneuses) :

Une reprise progressive de l’emploi. Afin de pouvoir garder contact avec leurs clients et assurer le suivi de la gestion de leur entreprise, les indépendantes pourraient, pendant une période expérimentale de trois ans, prendre leur congé à temps plein pendant huit semaines, puis être autorisées à retravailler un jour par semaine pendant un mois, puis deux jours le mois suivant.

Des charges sociales différées. Elles auraient le droit de payer ces charges à la fin de leur congé, afin de ne pas être mises à contribution à un moment où l’économie de leur entreprise est fragilisée par le congé maternité.

Une meilleure information sur les possibilités déjà existantes d’étalement, report et ajustement du paiement des charges sociales.