Écho de presse

Dans la prison pour femmes du 10e arrondissement

le 01/04/2021 par Pierre Ancery
le 25/10/2018 par Pierre Ancery - modifié le 01/04/2021
Prison des femmes Saint-Lazare, couloir des cellules, Agence Rol, 1913 - source : Gallica-BnF
Prison des femmes Saint-Lazare, couloir des cellules, Agence Rol, 1913 - source : Gallica-BnF

Fondé en 1794, « l'hôpital-prison » pour femmes de Saint-Lazare, à Paris, accueillit pêle-mêle criminelles, délinquantes, prostituées et jeunes femmes retirées à leurs parents. Un mélange des genres dénoncé par la presse de l'époque.

« Saint-Lazare » : pendant plus d'un siècle, pour les Parisiens, ce nom n'évoqua pas la célèbre gare, mais la prison pour femmes de la capitale. C'est au 107 rue du Faubourg Saint-Denis, dans le 10e arrondissement, que se tenait ce lieu à la triste réputation.

 

Ancien couvent fondé par Saint Vincent de Paul, Saint-Lazare fut transformé en prison en 1791, avant d'être réservée aux femmes à la fin de la Terreur, en 1794. Dès lors, elle accueillit les criminelles, les délinquantes, les condamnées pour dettes et, à partir de 1836, les prostituées.

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Au XIXe et au début du XXe siècle, ces dernières, lorsqu'elles sont arrêtées par la police, sont en effet susceptibles de subir un « internement administratif » sur simple avis médical. Saint-Lazare a alors un statut double : celui de prison et « d'hôpital-prison ». Les prostituées atteintes de maladies vénériennes y sont soignées (et punies) dans une section distincte de celle des prisonnières.

 

Autre population internée à Saint-Lazare : les jeunes femmes retirées à leurs parents pour cause de carence éducative grave, placées dans une troisième section.

 

Longtemps, la presse dénonça ce mélange des genres. L'idée sous-jacente était qu'à Saint-Lazare, le « vice » se propageait, tel un virus, parmi les détenues, et qu'y placer de jeunes filles innocentes aux côtés de dangereuses criminelles et de femmes de mauvaise vie représentait un vrai danger. En mai 1874, Le Petit Journal décrit l'endroit comme un lieu de déchéance :

« Saint-Lazare. Ce nom sonne sinistrement dans les cœurs honnêtes. Seule prison de femmes, pour les prévenues et les condamnées et de plus pour les femmes de mauvaise vie, les malheureuses qui entrent à Saint-Lazare sont presque vouées d'avance à l'infamie.

 

Les libérés hommes, trouvent très difficilement à travailler ; les libérées femmes ne trouvent jamais. »

Même son de cloche en mars 1879, cette fois du côté du camp républicain, avec La Lanterne qui s'indigne de l'existence d'un tel lieu :

« “Celle qui entre à Saint-Lazare, a dit un auteur dont la parole est agréable aux conservateurs, M. Maxime Ducamp, est perdue, à moins de miracle, et le temps des miracles est passé.” […] Combien de temps faudra-t-il crier encore, avec M. Ducamp, que Saint-Lazare est une honte pour Paris et la civilisation ?

 

Jusques à quand entassera-t-on pêle-mêle les prévenues, les condamnées, les jeunes filles qui subissent la correction paternelle et les prostituées ?

 

Jusques à quand, par je ne sais quelles aberrations d'une police qui ne connaît pas les moindres éléments de l'hygiène, ou ne s'en soucie pas, trouvera-t-on naturel de joindre à cette agglomération un groupe d'incurables qui ne peuvent plus trouver place au dépôt de Saint-Denis, mettant ensemble des malades ordinaires et des malades atteints de maladies contagieuses infailliblement mortelles ! »

Le Petit Parisien crie lui aussi au scandale en avril 1883, mais sur un mode conservateur : il serait moralement dangereux pour les jeunes filles incarcérées d'être mêlées à des criminelles.

« Les femmes incarcérées à Saint-Lazare ont beau être divisées en catégories distinctes et sévèrement surveillées, la promiscuité la plus grande et la plus démoralisatrice a toujours régné entre elles.

 

La jeune fille qui séjourne dans cet enfer social en sort fatalement et profondément pervertie. Et l'on y trouve, hélas ! avec les mineures condamnées pour crimes et délits de droit commun, celles que des parents ineptes ou odieux font détenir après avoir obtenu ordonnance du juge.

 

Joignez à cela les infortunées fillettes arrêtées pour vagabondage et celles que la misère ou les mauvais conseils ont, prématurément, jetées dans la prostitution, et vous applaudirez aux efforts généreux des moralistes, des philanthropes, des écrivains qui demandent qu'une maison spéciale soit enfin affectée à la détention des mineures. »

Avant toutefois d'ajouter, sur une note plus progressiste :

« Quand on pense que les fautes les plus légères, celles, par exemple, qui consistent à aller dans les lieux publics à des heures indues, à sortir en cheveux, à s'enivrer, sont administrativement punies d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois, on se demande si nous avons de la liberté individuelle une idée nette et précise [...]. 

 

Ce qu'il faut avant tout, c'est une réforme radicale, profonde, honnête, de la législation barbare à laquelle chez nous les femmes, ces éternelles mineures, sont soumises. Tant que cette réforme n'aura pas été effectuée, on n'aura rien fait. »

Parmi les détenues célèbres de Saint-Lazare, on compte la communarde Louise Michel, la « banquière des années folles » Marthe Hanau, la meurtrière et demi-mondaine Marguerite Steinheil ou encore l'espionne Mata-Hari. Le personnel de la prison était constitué uniquement de femmes.

Un dortoir de la prison Saint-Lazare, Agence Rol, 1913 - source : Gallica-BnF
Un dortoir de la prison Saint-Lazare, Agence Rol, 1913 - source : Gallica-BnF

Dans la presse de la seconde moitié du XIXe siècle, les témoignages sur les conditions de vie des prisonnières et des patientes se multiplient. En 1868, Pauline de Grandpré, qui œuvre pour la réhabilitation des ex-détenues, citée par Le Petit Journal, raconte leur journée-type :

« Les condamnées sont enfermées dans des cellules garnies d'un énorme verrou en fer. La sœur de surveillance reste dans le corridor encore une demi-heure après le coucher. Le judas est ouvert, c'est une ouverture grillée, large de huit centimètres carrés, qui permet de voir l'intérieur.

 

Lorsque les prisonnières ne gardent pas le silence, qui est rigoureusement prescrit, la sœur frappe légèrement pour avertir ; s'il y a récidive, elle fait une croix blanche à la craie, sur la porte. Le lendemain, la religieuse qui doit présider au lever ne tire pas le verrou des portes signalées. Les coupables sont conduites auprès de la supérieure ; si l'infraction n'est pas grave, elles sont renvoyées dans les ateliers, après des reproches.

 

Dans le cas contraire, elles sont appelées au rapport, punies et condamnées, généralement, au cachot ou, dans les cas de rébellion, à là camisole de force. »

En 1892, un journaliste du quotidien radical La Justice fait une « visite à Saint-Lazare ». Il raconte :

« Ce n'est point – oh ! point du tout – la prison moderne, presque gaie ; c'est le vieux couvent, aux murs sans résonance, aux fenêtres étroitement grillées, aux couloirs pleins d'ombres ; un froid glacial saisit dès l'entrée ; la lumière y est sans éclat, l'air y est lourd [...].

 

Aujourd'hui, plus de sept cent femmes sont internées à Saint-Lazare. Cette population, peu commode à gouverner, est recrutée principalement parmi les domestiques et les filles. Elle est composée le plus souvent de malades, ce qui tend à donner de plus en plus un caractère d'hôpital à l'établissement [...].

 

Quoique en général la prison soit commune, on a distingué entre elles les prévenues et on les a classées par catégories.

 

C'est ainsi qu'on a séparé les vieilles des mutines et des jeunes, C'est du côté des jeunes que se portent tous les efforts de moralisation. Ils sont, il faut le dire, assez peu fructueux. »

Même tableau effrayé dans Le Matin, en 1899, qui livre une vision quasiment dantesque des lieux :

« La tristesse est indicible des cellules, aux portes surchargées de verrous énormes, qui semblent s'ouvrir sur des abîmes de misère et d'infamie. Et partout des grilles, des grandes, des petites, des minces, d'énormes, et on ne peut faire un pas sans qu'un guichetier obséquieux se dresse derrière des barreaux pour vous ouvrir l'entrée d'un nouveau cercle de cet Enfer.

 

À droite, à gauche, rompant la monotonie des cellules, des ateliers. Il paraît que certaines détenues, les plus habiles, arrivent à y gagner jusqu'à 0 fr. 50 par jour ! Au bruit des pas, de ces pas insolites dans le corridor (car les hommes n'entrent pas dans ce cloître de la pénitence civile, et les religieuses, vêtues de chaussons, glissent, silencieuses, sur les dalles), toutes tressaillent et, vers la porte, jettent un regard furtif. Oh ! si c'était la liberté ! [...]

 

Cette maison qui pue le vice, la misère, la honte et l'acide phénique, m'écœure jusqu'à la nausée. J'ai hâte d'en sortir, surtout après avoir traversé la salle des vieilles. Ce sont, dans des lits, des malheureuses qui, entre la démence infantile et la paralysie générale, somnolent en attendant la mort. Il paraît que ces hideux spectres ont été jadis de belles filles, folles de leur corps ! Ô lugubre leçon de choses ! »

En 1901, le peintre Pablo Picasso se rend à Saint-Lazare et prend pour modèles les détenues et les patientes de l'hôpital-prison. Plusieurs tableaux de sa « période bleue » sont des portraits de ces femmes.

« Femme assise », Pablo Picasso, 1902-1903 - source : The Detroit Museum of Art-Domain Public
« Femme assise », Pablo Picasso, 1902-1903 - source : The Detroit Museum of Art-Domain Public

Saint-Lazare, dont la démolition fut maintes fois annoncée mais toujours repoussée, fermera finalement ses portes en 1932. Elle sera démolie en 1935 : n'en subsistent que la chapelle et l'infirmerie, dans laquelle sera bâtie l'actuelle médiathèque Françoise Sagan.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Frédéric Jiméno, Karen Bowie, Florence Bourillon (dir.), Du clos Saint-Lazare à la gare du Nord, Presses universitaires de Rennes, 2018