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Le ras-le-bol des métis, éternels laissés-pour-compte de l’Afrique du Sud

Victimes des inégalités sociales et des violences qui touchent le pays, les « coloured » se considèrent comme les grands oubliés des programmes de discrimination positive.

Par  (Johannesburg, correspondance)

Publié le 26 octobre 2018 à 13h41, modifié le 29 octobre 2018 à 15h00

Temps de Lecture 3 min.

Le 28 septembre, à Westbury, dans la banlieue de Johannesburg, après la mort d’une mère de famille lors d’une fusillade entre gangs.

« Pas assez blancs avant, pas assez noirs maintenant. La démocratie nous a laissés tomber. » La pancarte, brandie lors d’une manifestation à Johannesburg début octobre, résume bien l’état d’esprit des coloured (métis) en Afrique du Sud.

Criminalité, chômage, exclusion économique… Ces dernières semaines, le ras-le-bol a gagné les quartiers métis, alors qu’ils s’estiment être les éternels laissés-pour-compte de la « nation arc-en-ciel » voulue par Nelson Mandela.

Derniers descendants des autochtones, les métis affirment être les propriétaires légitimes de l’Afrique du Sud dont ils auraient été spoliés.

Les métis sont l’une des quatre catégories raciales – avec les Blancs, les Noirs et les Indiens – créées par le régime de l’apartheid et maintenues plusieurs décennies durant par des lois ségrégationnistes. A l’origine, ils sont issus du métissage forcé, souvent par le viol, entre colons et indigènes Khoïsan, survenu au XVIIe siècle à l’arrivée des premiers Blancs au Cap. Enrichie par des mélanges avec les populations esclaves, venues notamment de Malaisie, la communauté coloured représente aujourd’hui 9 % de la population du pays et 5 millions de personnes.

En quelques siècles, les indigènes Khoïsan ont presque tous été décimés dans des conflits avec les colons blancs ou les peuples bantous venus d’Afrique centrale, comme les Zoulous, aujourd’hui l’ethnie majoritaire. Derniers descendants des autochtones, les métis affirment être les propriétaires légitimes de l’Afrique du Sud dont ils auraient été spoliés.

Inaction policière

Plus de vingt-cinq ans après la chute de l’apartheid et l’accession du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, les inégalités atteignent toujours des sommets en Afrique du Sud : 64 % des Noirs et 41 % des métis, contre 1 % des Blancs, vivent sous le seuil de pauvreté.

En 2003, le gouvernement a introduit un programme de discrimination positive destiné à favoriser l’emploi des non-Blancs dans l’économie. Il est depuis critiqué pour avoir surtout bénéficié à une poignée de privilégiés liés à l’ANC. Les métis s’estiment donc lésés. « Il y a désormais une hiérarchie liée à la noirceur dans ce pays, et cela dicte qui reçoit de l’aide et qui n’en reçoit pas. Nous en avons assez, nous refusons d’être continuellement marginalisés », explique Anthony Williams, porte-parole d’une organisation métisse.

Leurs revendications ne sont pas nouvelles, tout comme les explosions sporadiques de violence. Mais le 27 septembre, la mort de Heather Peterson a de nouveau mis le feu aux poudres. Cette mère de famille a été prise dans une fusillade entre gangs à Westbury, un quartier de Johannesburg.

Immédiatement, les habitants ont manifesté pour protester contre l’inaction des forces de l’ordre et l’impunité des bandits. D’après les statistiques de la police publiées en septembre, la criminalité est en hausse : avec cinquante-sept homicides par jour, l’Afrique du Sud est comparable à une zone de guerre, de l’aveu même du ministre de la police, Bheki Cele.

« Avant, pas assez blanc, aujourd’hui pas assez noir » sur une pancarte lors d’une manifestation dans le quartier Ennerdale de Johannesburg, le 5 octobre.

Sursaut nationaliste

Pour les métis, le trafic de drogue et la guerre des gangs, des fléaux qui touchent particulièrement les townships autour du Cap (où 50 % de la population est métisse), sont l’expression directe de leur exclusion économique et le produit de l’organisation spatiale héritée du régime de l’apartheid.

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« Le régime colonial a organisé nos communautés de manière à ce que les gens soient compressés, qu’ils soient frustrés et qu’ils finissent par s’entre-tuer, explique Anthony Williams. C’est un génocide, et le gouvernement actuel est complice par son inaction. » Son organisation, South African Shutdown Coordinating Committee, mène des blocus autour des principaux intérêts économiques, afin de provoquer un sursaut des milieux d’affaires.

Le plus cocasse : les frustrations alimentent depuis peu un nationalisme métis. En avril s’est formé un groupuscule dénommé Gatvol Capetonians – « les Capetoniens en ont ras le bol ». Très actif sur les réseaux sociaux, il revendique tout simplement la sécession de la province du Cap, et le renvoi par bus des « migrants noirs » venus des autres provinces. De quoi compliquer un peu plus un contexte de tensions raciales déjà très explosif.

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