Le journaliste japonais Jumpei Yasuda libéré, à Hatay en Turquie, le 24 octobre 2018

Le journaliste japonais Jumpei Yasuda libéré, à Hatay en Turquie, le 24 octobre 2018.

afp.com/Huseyin BOZOK

Les otages français, une fois libérés, sont le plus souvent fêtés à leur retour, lorsqu'ils posent le pied sur le tarmac d'un aéroport de l'Hexagone. Au Japon, la situation est toute autre, témoignent d'anciens otages. Lorsque ces anciens captifs sont de retour au bercail, il arrive qu'ils fassent l'objet de violentes insultes.

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Cela a été le cas du journaliste nippon Jumpei Yasuda, qui après avoir été détenu pendant plus de trois ans en Syrie, est arrivé jeudi soir au Japon, où il a retrouvé dans l'émotion son épouse et ses parents, après ce qu'il a qualifié d'"enfer".

Mais au lieu de voir son retour célébré, cet homme a dû essuyer de violentes insultes venant d'une partie de la population japonaise, qui estime que son kidnapping était entièrement de sa faute. "C'est un anti-citoyen", "il perturbe la société", "il a fait exprès d'aller en Syrie alors que le gouvernement l'avait interdit", ont écrit de nombreux internautes.

Les parents de Jumpei Yasuda ont également été largement critiqués. "S'ils étaient corrects, ils commenceraient par s'excuser" pour les ennuis et l'inquiétude causés à la société, ont notamment écrit des Japonais sur les réseaux sociaux.

Et ce, alors même que l'ancien otage a présenté ses excuses pour son rapt, devant la caméra de la chaîne NHK et via un message lu par sa femme à son arrivée jeudi soir.

Des otages "accueillis à l'aéroport avec des panneaux 'C'est de votre faute'

Si lui et d'autres auparavant se sont fait enlever, c'est de leur faute et ils n'ont pas à réclamer ensuite l'aide de l'État pour les tirer d'affaire, estiment ceux qui clouent les otages au pilori, jugeant qu'ils ont agi par égoïsme, et doivent assumer "leur responsabilité personnelle".

"C'est la mentalité d'une partie de la société japonaise", souligne pour l'AFP Toshiro Terada, professeur de philosophie à l'Université Sophia de Tokyo. "L"expression 'jiko sekinin' [littéralement "responsabilité personnelle"] est employée de façon impropre dans le sens 'c'est bien mérité', acception négative envers la personne visée qui n'a pas respecté les instructions. Alors qu'en fait, la responsabilité personnelle est consubstantielle à la liberté, au libre-arbitre, ce que les Japonais ont du mal à mesurer", explique Toshiro Terada.

Il est l'auteur d'un essai sur "la théorie de la responsabilité personnelle" après le retour difficile de trois ex-otages japonais retenus en Irak en 2004. "Ils avaient été accueillis à l'aéroport avec des panneaux 'C'est de votre faute'. Cette fois encore, les mêmes virulentes diatribes se produisent", déplore Toshiro Terada.

"Crève !","Bien fait", "Abruti"

Otage en 2004, Noriaki Imai a reçu des monceaux de cartes avec des insultes qu'il a ressorties récemment pour un reportage: "crève !" "bien fait", "abruti" y lit-on. "Sur Internet, le bashing a duré dix ans", assure-t-il.

En 2004, le gouvernement avait été lui-même très critique envers ceux qu'il qualifiait de "jeunes irresponsables", à l'unisson de la presse de droite. Les autorités et grands médias ont cette fois évité de critiquer Jumpei Yasuda.

Ses détracteurs contestent aussi sa citoyenneté japonaise en raison d'une vidéo étrange diffusée en août dernier par ses ravisseurs. L'otage, sous la menace d'une arme, s'y exprimait en japonais mais en disant s'appeler "Omar" et être "sud-coréen", apparemment après que ses geôliers lui interdirent de révéler son identité.

Ces propos ont alimenté la haine contre lui: "ce type n'est pas japonais", "qu'il rentre dans son pays en Corée du Sud". Toshiro Yasuda est en outre qualifié "d'otage professionnel" parce qu'il a déjà été détenu en Irak en 2004.

"Il fait exprès d'aller dans les pays dangereux alors même que le gouvernement le lui avait interdit", écrivent de nombreux internautes anonymes. Lui-même, sur son compte Twitter, avait vertement protesté avant son départ contre les autorités qui tentaient de l'empêcher de partir.

"On a besoin de gens qui risquent leur vie"

"C'est un journaliste et un journaliste sert à défendre la démocratie", s'est énervé sur TV Asahi jeudi l'éditorialiste Toru Tamakawa, selon qui "on a besoin de gens qui risquent leur vie pour aller chercher des informations sur le terrain". Et de préciser: "d'autres grandes démocraties défendent ce genre de personnes, les accueillent en héros à leur retour".

"Que des journalistes aillent en Syrie est extrêmement important. Bien sûr que c'est leur responsabilité personnelle, ils ne disent pas le contraire, mais ils doivent quand même être défendus et ce lynchage à l'encontre de Toshiro Yasuda doit être dénoncé par la presse japonaise aussi, sinon c'est le journalisme qui est en danger", insiste auprès de l'AFP le journaliste syrien Najib Elkhash installé au Japon.

De fait, il se trouve aussi de nombreux Japonais pour se réjouir sincèrement du retour de Jumpei Yasuda.

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