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Pédophilie : le curé de Massiac Philippe Pouzet mis en examen pour viol aggravé

Massiac le 16 octobre, ses ruelles médiévales et son église à façade néogothique, près du presbytère où se seraient déroulés les faits. En médaillon: Le curé pendant la messe de Noël en 2016. A droite, ses servants, dont deux de ses victimes.
Massiac le 16 octobre, ses ruelles médiévales et son église à façade néogothique, près du presbytère où se seraient déroulés les faits. En médaillon: Le curé pendant la messe de Noël en 2016. A droite, ses servants, dont deux de ses victimes. © Laurence Geai, DR
De notre envoyée spéciale en Auvergne Pauline Delassus , Mis à jour le

Le père Philippe Pouzet est soupçonné d’avoir abusé de plusieurs enfants de chœur. Il a été mis en examen pour viol aggravé. Alerté, l’évêque avait attendu six ans avant d’agir.

C’est un dimanche, en 2017. Les familles se serrent sur les bancs en bois de l’église, les cloches sonnent, le village attend son prêtre. Il entre dans la sacristie, une pièce fermée proche de la nef, avec toute l’autorité de son ministère. Trois enfants l’attendent, de jeunes adolescents qui portent l’aube, la robe blanche des servants d’autel. Le père Philippe Pouzet s’approche et embrasse un des garçons dans le cou. Son petit frère s’écrie : « Non, pas moi ! » La peur, la soumission, la violation de l’enfance, à quelques mètres de l’assemblée des fidèles, sous les portraits encadrés des papes François et Jean-Paul II. Un des diacres du diocèse a vu la scène, cet odieux baiser volé, et a tout compris : les abus d’un homme de Dieu, le mal-être des gamins. Le poison criminel de la pédophilie s’est infiltré jusque sous les voûtes néogothiques de la petite église de Massiac.

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La messe commence, les enfants rejoignent le chœur. Ils assistent leur bourreau, portent le missel, les cierges, le calice, récitent le « Notre Père ». Le diacre les regarde servir : « J’étais sous le choc, dit-il. Après l’office, j’ai immédiatement prévenu notre évêque. » Mgr Grua contacte le parquet d’Aurillac et une enquête pour agressions sexuelles sur mineurs est ouverte. Les enfants sont interrogés par les gendarmes, mais l’emprise de celui qu’ils tutoient et appellent parfois « Tonton » verrouille leur parole.

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A la maison, un modeste pavillon proche du bourg, l’ambiance est houleuse depuis plusieurs années. Les sept frères et sœurs, âgés de 13 à 22 ans, ne s’entendent pas. « Ma femme est gravement malade, explique Jean*, le père de famille. Nous avions mis ces tensions sur le compte de la maladie. » Lui parcourt chaque jour les routes alentour dans un camion-boutique pour vendre des vêtements. Son petit chiffre d’affaires est le seul revenu du foyer. La religion imprègne le quotidien, les enfants servent le dimanche, les vacances sont consacrées aux retraites et aux pèlerinages. Depuis son affectation à Massiac, en septembre 2011, le père Pouzet vient souvent en visite et, souvent aussi, les enfants passent la nuit au presbytère.

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« C’est lui qui nous l’a proposé, se souvient Jean. Il disait vouloir nous rendre service en s’occupant des garçons. » C’est également lui qui suggère d’être le parrain de confirmation de l’un d’eux. Aux fêtes, il offre des cadeaux, des téléphones, un ordinateur portable. Il rend mille services et appuie même la nomination de Jean à la tête des servants d’autel. Le prêtre aurait une certaine aura. Licencié de lettres modernes, fier de son savoir, issu d’une famille aisée du Maine-et-Loire, passé par le lycée français de Rome, où il enseignait, il impressionne. Penser à l’impensable : impossible pour ces parents. L’homme d’Eglise est leur ami, leur premier soutien. Celui qui, à l’ombre de sa foi catholique, sûr de son pouvoir, tisse sa toile.

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Olivia, 13 ans, ose dire à ses parents que « Philippe » a essayé de l’embrasser et de la toucher. Elle poursuit : « Et à mon frère aussi. »

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Les F. sont arrivés dans la région en 2008. Ils se sont intégrés difficilement aux 1 800 âmes de Massiac, commune rurale posée au creux d’une vallée d’Auvergne envahie de forêts. « Ils sont d’un autre département, ils sont bizarres », résume méchamment une retraitée sur la place du marché. « Toujours fourrés chez le curé ! » semble accuser un client du bar Le Foirail. Une bonne sœur confirme : « Oui, les enfants allaient dormir au presbytère, je les entendais jouer à l’étage quand j’y passais le soir. » Sans qu’elle s’en inquiète. Le village n’a rien vu, ou s’est tu. Beaucoup racontent les colères du prêtre, les conflits qui l’opposent à certains clercs et fidèles de la communauté. Des querelles de clochers… qui dissimulent le drame. Tout au long de l’année 2017, la rumeur enfle dans les ruelles de pierres noires du centre-ville. L’enquête patine. L’évêque Grua compte sur un classement sans suite. Il confie : « J’ai discuté avec Philippe de la procédure lancée contre lui, il a minimisé et a même employé le terme d’injustice. Il a parlé d’imprudence avec les enfants, mais il ne m’a jamais avoué de gestes déplacés. »

L’évêque le croit innocent. Il décide pourtant de le muter, sans penser à le suspendre. En septembre, Pouzet part pour Aurillac, à 80 kilomètres. « Il était triste de quitter Massiac. Les enfants l’ont aidé à déménager », raconte Jean, qui, à l’époque, ne connaît pas le motif des investigations et lui fait encore confiance. Mgr Grua a tout de même ordonné qu’il s’installe avec d’autres prêtres pour ne pas qu’il soit seul dans un presbytère. « J’estime que la suspension de son ministère aurait été la pire des décisions, veut justifier l’évêque. Ça l’aurait mis en liberté. » Mais, même surveillé par ses pairs, Pouzet donne des cours de catéchisme… Et, surtout, il garde un pied-à-terre à Massiac, une petite maison où il passe l’été 2018. Grua avoue : « J’ai trouvé ça maladroit. » Une maladresse qui relève plutôt de la stratégie. Car le curé continue à passer du temps avec les F. Jusqu’au début du mois d’août, quand le courage d’une petite fille brise enfin le terrible secret de la fratrie. Après avoir passé la soirée chez Pouzet, Olivia, 13 ans, ose dire à ses parents que « Philippe » a essayé de l’embrasser et de la toucher. Elle poursuit : « Et à mon frère aussi. » Interrogé, Paul, 14 ans, confirme et ajoute : « Il n’y a pas que ça. » Bouleversés, Jean et son épouse comprennent que du temps sera nécessaire à leurs autres garçons pour parler. Ils décident de patienter avant de porter plainte.

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J’ai fait une dépression. C’est un prêtre qui m’a aidé. En 2012, il m’a poussé à écrire à l’évêque, Mgr Grua, pour tout lui raconter

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Ils ne sont pas seuls à vouloir faire éclater la vérité. Le journaliste de « La Montagne » David Allignon enquête depuis plusieurs mois ; ses articles mettent sous pression le curé soupçonné et ses supérieurs. Le nouvel abbé de Massiac, le père Thierry Selves, ancien éducateur de jeunes en difficulté, apporte son soutien éclairé à la famille. L’homme est un sensible, un brave, q i fait sienne la tragédie familiale. Sans craindre de déranger sa hiérarchie, il tente dans ses sermons de soulager la souffrance de ces ados qui, chaque dimanche, continuent de servir à ses côtés. Une de ses homélies, celle du 3 septembre, touche au cœur. Une phrase, surtout : « Les actes de ces prêtres à travers le monde me font honte. » Près de l’autel, Paul ne retient plus ses larmes ; son frère Nicolas, 16 ans, craque lui aussi. A la maison, c’est au tour de Julien, 17 ans, de raconter les années passées à subir les agressions sexuelles, sans doute requalifiées en viols, d’un homme qui, en toute conscience, les terrorisait.

Philippe Pouzet est arrêté le 14 septembre et placé en détention provisoire. Son avocat rappelle : « Il est présumé innocent, il se battra jusqu’au bout pour écarter les faits qui lui sont reprochés. Il conteste l’existence d’autres faits. » Une demande de remise en liberté vient de lui être refusée. Un soulagement pour les F. « Nous avons retrouvé un peu de paix », soupire Jean, père effondré mais vaillant. Il reste persuadé qu’il y a d’autres victimes.

Six ans avant la mise en examen, Mgr Grua savait donc qu’un prêtre de son diocèse avait enfreint les lois morales et juridiques de l’Eglise et de la République

A des centaines de kilomètres, un Auvergnat domicilié dans l’Ouest, découvre la nouvelle de l’arrestation avec émotion. Il le raconte pour la première fois : lui aussi, lorsqu’il avait 18 ans, a été victime du père Pouzet. Les faits, qui datent de 2001, sont désormais prescrits mais ont été qualifiés d’« agression sexuelle » par les gendarmes. C’était une nuit, dans la maison paroissiale de Saint-Flour. Pierre était venu passer le week-end pour s’exercer à l’orgue. Le curé, auprès de qui il avait servi la messe, s’est introduit en pleine nuit dans son lit et l’a touché de force. Les cris du jeune homme ont fait fuir l’agresseur. Pendant les dix ans qui ont suivi, Pierre n’a pas raconté ces minutes glaçantes. En 2011, quand il apprend la nomination de Pouzet à Massiac, sa ville natale, tout lui revient. « J’ai fait une dépression. C’est un prêtre qui m’a aidé. En 2012, il m’a poussé à écrire à l’évêque, Mgr Grua, pour tout lui raconter. » Ce prêtre le confirme, il ira lui-même remettre à son supérieur le récit manuscrit de l’agression de Pierre.

Six ans avant la mise en examen, Mgr Grua savait donc qu’un prêtre de son diocèse avait enfreint les lois morales et juridiques de l’Eglise et de la République. Le prélat nous reçoit, à l’aise, froid, dans le salon cossu de son évêché. Sans trouble, il oscille entre divers arguments et minimise. D’abord : « J’ai le sentiment que ce sont deux affaires différentes. Ça n’avait rien à voir en gravité avec les faits d’aujourd’hui. Et il y avait prescription. » Ensuite : « L’intéressé me demandait l’anonymat, à l’époque. Je ne pouvais donc pas en parler. » Enfin : « On ne peut pas intervenir de manière massive chaque fois qu’il y a la moindre alerte. Je n’avais pas le sentiment que le père Pouzet pouvait constituer une menace. » L’homme de 72 ans tente de se rattraper : « Aujourd’hui, j’ai remis cette lettre à la justice. » Six ans trop tard. Six ans où ce qui est qualifié de « trouble de la préférence sexuelle » a dévasté la vie d’au moins quatre mineurs. « La pédophilie n’est pas une maladie, indique le psychiatre Roland Coutanceau (1), expert auprès des tribunaux. Les concernés sont atteints de distorsion, ils projettent sur des enfants une sexualité d’adulte, mais ils savent que c’est illégal, ils connaissent l’interdit. » A Massiac, les enfants F. continuent de se rendre à l’église et de servir la messe. Leur père, Jean, les en a exhortés : « On ne change pas nos habitudes, on y va. Nous, on n’est pas coupables. » 

* Tous les prénoms ont été changés.(1)

« Les blessures de l’intimité », de Roland Coutanceau, éd. Odile Jacob.

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