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L'âge bête

La double peine du renard roux

Chassable pratiquement toute l’année, le petit canidé est également piégé car présent sur la liste d'espèces «susceptibles d’occasionner des dégâts» dans 90 départements métropolitains. Des naturalistes demandent le retrait du carnivore de cette liste et la mise en place de quotas.
par Florian Bardou
publié le 28 octobre 2018 à 10h29

Le renard roux est-il indésirable dans nos campagnes ? Accusé de terroriser la volaille, ce petit canidé, autrefois nommé goupil, traîne en effet une réputation séculaire de voleur de poules lui valant d'être pourchassé. Conséquence : Vulpes vulpes – c'est son petit nom scientifique – est aujourd'hui considéré comme une espèce «susceptible d'occasionner des dégâts» dans la quasi-totalité des départements à l'exception de la Corse-de-Sud, de la Savoie, ou du Val-de-Marne.

En vigueur depuis 2016, cette nomenclature regroupant 19 espèces animales métropolitaines – les ex-«nuisibles» – permet le piégeage de maître renard à l'aide de différentes techniques (tir, déterrage, enfumage) à cause des «dommages importants», notamment sur le gibier aviaire (perdrix et faisans), dont il est reconnu coupable par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Et ce toute l'année. Mais c'est sans compter les battues administratives de nuit, autorisées dans certains départements comme la Meurthe-et-Moselle en dépit d'une pétition citoyenne, et le fait que le prédateur est par ailleurs l'une des quelques espèces chassables sur l'ensemble du territoire hexagonal et pratiquement toute l'année du 1er juin à la fin février. Résultat : selon des estimations de 2014 du gendarme de la faune sauvage, 600 000 renards sont «prélevés» chaque année, en grande partie du fait de la chasse.

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Chassé, piégé, déterré et parfois tiré de nuit au nom de la «régulation», ce canidé nocturne mérite-t-il pour autant un tel traitement ? Depuis plusieurs années, des protecteurs de la nature comme des scientifiques préoccupés par le caractère «disproportionné» des prélèvements tentent d'alerter sur le sort du goupil. En cause d'abord, l'absence de données sur les populations de renards dans l'Hexagone et leur taux de renouvellement. «Le renard fait l'objet de destructions massives toute l'année, soulève par exemple le juriste Patrick Janin, administrateur de l'Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire (AOMSL). Or, ce droit de détruire n'est pas du tout maîtrisé : nous n'avons aucune connaissance de la taille et de la dynamique des populations de l'espèce et le nombre d'animaux déclarés tués est par ailleurs sous-estimé.» «Les effectifs sont difficiles à estimer, confirme le mammalogue du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) Patrick Haffner. Mais il n'y a aucun risque de diminution des populations, c'est une espèce qui, à ce jour, réagit aux atteintes que ce soit la chasse ou l'altération des milieux naturels.» Ce qu'observe aussi l'ONCFS estimant par ailleurs la densité des populations à un renard par km2 en zone rurale.

Préjugés tenaces

«Tant que la population de renard se porte bien, et même trop bien, des quotas ne se justifient pas sur le plan biologique et en vertu du principe juridique de proportionnalité, estime quant à elle la Fédération nationale des chasseurs. De plus, il faut intervenir sur le renard toute l'année car il commet des nuisances toute l'année et pas seulement en période où la chasse est autorisée, et pour cela le piégeage est nécessaire.» Néanmoins, ces arguments sont contestés par des naturalistes qui y voient des préjugés tenaces envers l'animal. Premier d'entre eux, les dommages causés par le carnivore à poil roux sur les élevages avicoles, y compris ceux d'oiseaux destinés à la chasse, et jugés importants. «Un renard peut s'introduire dans un poulailler ou un élevage de faisans et faire quelques dégâts, souligne à ce sujet Patrick Haffner. Mais pas plus que d'autres prédateurs comme la fouine. On l'accuse parfois un peu trop facilement d'être l'auteur d'un carnage. Et puis, il existe des solutions techniques pour éviter la prédation, qui a un coût limité par rapport aux risques sanitaires dans les élevages.»

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Autre grief : les maladies que le renard transmettrait à l'homme. C'est oublier que la rage vulpine, dont il a pu être longtemps vecteur, est officiellement éradiquée depuis 2001 et que l'échinococcose alvéolaire, une maladie du foie causée par un parasite, affecterait en tout et pour tout une quinzaine de personnes par an selon les scientifiques. «Dans l'état actuel des connaissances, l'efficacité du contrôle des populations de renards pour diminuer les risques pour l'homme n'est pas démontrée car le territoire reste contaminé du fait de la résistance du parasite dans le milieu extérieur et de la présence de rongeurs, hôtes intermédiaires indispensables au cycle de la maladie», peut-on lire à ce propos dans une brochure sur le canidé de l'ONCFS datée de 2016.

«Boulot de régulation»

Contrairement aux idées reçues, le renard serait plus un excellent «auxiliaire» qu'un vilain fauteur de troubles. A son crédit : son appétit pour les campagnols, ces rongeurs «ravageurs» des cultures qui, rappelons-le, prolifèrent. «Le renard fait son boulot de régulation des espèces, plaide le naturaliste Patrick Haffner. Il ne va pas empêcher les rongeurs de "pulluler" mais il va aider à faire diminuer les phases de pullulation des campagnols fouisseurs par exemple, à tel point que dans l'Est les agriculteurs commencent à se demander s'il ne faut pas compter avec les renards.»

«Certains chasseurs ont compris l'intérêt de préserver le renard sur leur territoire», complète Franck Vigna, porte-parole du Collectif renard Grand-Est. Créé il y a deux ans, ce regroupement d'une soixantaine d'associations de protection de la nature dénonce un «acharnement» au «mépris des alertes données par le monde scientifique». Ses vœux : l'arrêt des tirs de nuit et le retrait du renard roux de la liste des espèces «susceptibles d'occasionner des dégâts» voire la mise en place de quotas de chasse. Ce à quoi la Fédération nationale des chasseurs répond : «Il n'est pas exclu qu'à l'avenir de tels quotas s'avèrent nécessaires ou utiles, mais il faudra alors disposer des outils et méthodes scientifiques nécessaires pour les calculer ce qui n'est pas le cas à ce jour.»

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