Un homme dépose une bougie devant le monument aux victimes des répressions staliniennes, situé devant le bâtiment qui abritait le KGB et aujourd'hui le FSB, les services de sécurité russes. Moscou le 29 octobre 2018.

Un homme dépose une bougie devant le monument aux victimes des répressions staliniennes, situé devant le bâtiment qui abritait le KGB et aujourd'hui le FSB, les services de sécurité russes. Moscou le 29 octobre 2018.

afp.com/Yuri KADOBNOV

Comme chaque année depuis douze ans, à la veille de la Journée des victimes des répressions politiques, créée en 1991 par le président Boris Eltsine, les Moscovites sont venus lire lundi le nom de milliers de personnes fusillées à Moscou pendant la terreur stalinienne, une période souvent passée sous silence ces dernières années par des autorités soucieuses de minimiser les pages sombres du passé.

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Ils ont déposé des fleurs et des bougies près du monument aux victimes.

Ce monument, un rocher amené des îles Solovki (Grand Nord russe) où a été créé un des premiers camps du Goulag, se trouve au centre de Moscou, face au bâtiment qui a abrité la police secrète de Staline, puis le KGB, et aujourd'hui le FSB, les services de sécurité russes.

De 10H du matin à 10H du soir, des centaines de personnes font la queue dans le froid pour venir lire un ou deux noms d'anonymes, avant d'ajouter souvent le nom d'un membre de leur famille, la voix étranglée par l'émotion : "Et mon arrière grand-père, Khokhots Salomon Iakovlevitch, 49 ans, comptable, mort sous la torture dans un camp en 1952" ou bien "Et mon père, mort de faim dans un camp".

Dans cette interminable liste de victimes, des Russes, des Juifs, des Tatars, des Polonais, un instituteur, un conducteur de train, un général de l'armée rouge, des prêtres et des moines, un kolkhozien de 18 ans, un retraité de 75 ans, une ouvrière d'une fabrique de textile, un concierge, un plombier...

Cette lecture donne le vertige tant elle témoigne de la terreur aveugle qui s'est abattue alors sur toutes les couches de la société soviétique. La liste des noms a été établie par les historiens de l'ONG Memorial, qui ont eu accès aux archives.

"Je viens chaque année parce que j'estime de mon devoir de rendre hommage à ces victimes. La Russie d'aujourd'hui essaie d'oublier cette période", regrette Sergueï Mitrokhine, 55 ans.

- Minimiser les pages sombres -

Pour Anastasia, une étudiante de 26 ans, "c'est très important de venir ici. Il faut se souvenir de tout cela. On ne peut rien apprendre (sur cette période) dans les médias officiels. Tout repose sur le travail de gens comme ceux de Memorial qui organisent cette cérémonie".

"Ce que fait l'Etat pour garder le souvenir de ces victimes est tout à fait insuffisant", estime de son côté Maria Sakharova, 80 ans, très émue après avoir évoqué la mémoire de plusieurs proches disparus dans la terreur stalinienne.

L'ONG Memorial a été fondée en 1989 par l'académicien dissident et prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov.

Spécialisée dans l'étude des répressions de l'époque soviétique et la défense des droits de l'Homme, elle a été placée en 2016 par les autorités russes sur la liste des "agents de l'étranger", une appellation infamante appliquée aux "ennemis du peuple" sous Staline et plus tard aux dissidents.

Selon des historiens russes et occidentaux, la terreur stalinienne, qui a connu son apogée dans les années 1937-1938, a fait quelque 20 millions de morts en incluant les exécutions massives, les morts au Goulag et en déportation dans des zones insalubres, ainsi que la famine en Ukraine et dans plusieurs régions de Russie.

Pourtant, presque la moitié des jeunes Russes entre 18 et 24 ans n'ont jamais entendu parler des répressions de l'époque stalinienne, selon un sondage de l'Institut proche du pouvoir Vtsiom publié début octobre.

On peut y voir le résultat d'une volonté politique de minimiser ou ignorer les pages sombres de l'époque soviétique dans les programmes scolaires et dans les médias publics, alors qu'on observe dans le même temps une réhabilitation rampante de Staline, sur fond de nostalgie de l'URSS.

La tombe de Staline se trouve encore aujourd'hui sur la place Rouge, au pied du Kremlin, derrière le mausolée de Lénine.

Les autorités de Moscou avaient dans un premier temps refusé d'autoriser l'organisation de la cérémonie de lundi, avant de se raviser il y a quelques jours.

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