“Si l’Arabie Saoudite et ses alliés peuvent éviter l’indignation contre leur intervention au Yémen, c’est que le nombre de victimes des combats a été largement minoré”, écrit le quotidien britannique The Independent.
“On cite souvent le chiffre de 10 000 morts. Il provient d’un officiel de l’ONU qui évoquait les seules victimes civiles, au début de l’année 2017. Un chiffre qui n’a pas bougé depuis lors”, explique le journal. Or ce chiffre serait plus probablement situé entre 70 000 et 80 000 depuis mars 2015, date du début de l’intervention militaire saudo-émiratie, selon un groupe de recherche associé à l’université britannique du Sussex (The Independent Yemen for the Armed Conflict Location and Event Data Project, ACLED).
Pour l’instant, le groupe n’est remonté que jusqu’à début 2016, avec un chiffre des morts de 56 000. Et de préciser :
Ce chiffre augmente de plus de 2 000 par mois alors que les combats s’intensifient autour de la ville portuaire de Hodeïda, sur la mer Rouge. Il n’inclut pas les morts provoquées par malnutrition ou des maladies telles que le choléra.”
Au-delà des victimes directes des combats, il est en effet difficile de déterminer combien de personnes meurent des effets induits de la guerre. Non seulement parce que “l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis compliquent l’accès au pays pour les journalistes étrangers et les témoins impartiaux, mais aussi parce que, contrairement à ce qui se passe en Syrie, les autorités américaines, britanniques et françaises n’ont pas intérêt à mettre en avant les ravages au Yémen, puisqu’elles couvrent l’intervention saoudienne”.
À cela s’ajoute la difficulté d’estimer le nombre de victimes provoquées par d’autres causes, notamment le blocus des ports et l’effondrement de la monnaie nationale, qui accentuent le manque de médicaments et de carburant nécessaire pour le transport des malades, mais aussi de nourriture. En effet, l’ONU ne cesse d’alerter sur le fait que “14 millions de personnes, la moitié de la population du pays, sont menacées de famine”.
Fondé en 1986, The Independent est l’un des grands titres de la presse britannique de qualité. C’est aussi le premier quotidien généraliste à être devenu un journal tout en ligne. Pendant l’ère Thatcher, l’équipe avait fait le pari de publier un quotidien qui ne soit affilié ni aux conservateurs ni aux travaillistes. Pourtant, The Independent est aujourd’hui clairement un journal de gauche, proche du Parti travailliste. Surnommé The Indy, il se distingue de ses concurrents par son indépendance d’esprit, son engagement proeuropéen et ses positions libérales sur les questions de société. Dès ses débuts, le journal se distinguait également par sa fraîcheur de ton et par une maquette innovante, faisant la part belle aux photos.
Malgré un succès d’estime, la diffusion du journal, ainsi que celle de son édition dominicale, The Independent on Sunday (97 200 exemplaires en juin 2005), n’a cessé de baisser après les années 1990. En mars 2010, le titre a été racheté pour 1 livre symbolique par Alexander Lebedev, un homme d’affaires russe, également propriétaire du quotidien London Evening Standard. En février 2016, le journal a annoncé l’arrêt de ses éditions papier à partir de la fin de mars 2016.
Alexander Lebedev a par la suite transféré le contrôle des titres à son fils, Evgueni, membre de la Chambre des lords et proche de Boris Johnson. Cible de sanctions occidentales dans le cadre de l’invasion russe de l’Ukraine, il n’a plus aucun lien avec The Independent depuis 2022.