"Je ne m'étais jamais projetée dans une existence de femme au foyer", explique Carine après la naissance de ses triplés.

"Je ne m'étais jamais projetée dans une existence de femme au foyer", explique Carine après la naissance de ses triplés.

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François Chartier est le porte-parole de l'Association d'étude et aide aux personnes concernées par les malformations de membre(s) (Assedea), qui regroupe des familles d'enfants nés sans bras, sans main ou sans jambe. Pour L'Express, il livre ses conclusions concernant la découverte de onze nouvelles naissances suspectes dans l'Ain. Et liste les mesures qu'il aimerait voir appliquer.

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L'Express : Santé Publique France vient d'annoncer la découverte de nouveaux cas suspects dans le département de l'Ain. Comment interpréter cette information ?

François Chartier : Il y a deux manières de voir les choses. D'un côté, c'est très positif. On sent qu'il y a une prise de conscience des pouvoirs publics, qui déclenchent des enquêtes et traitent l'affaire avec sérieux. De l'autre, l'apparition de ces nouveaux cas interpelle. Pourquoi ne les a-t-on pas découverts avant ? Et pourquoi ces recherches n'ont-elles pas été lancées plus tôt ?

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Santé Publique France l'a expliqué : à partir du moment où l'on ne connaît pas les causes de ces malformations, chercher tous azimuts reviendrait à dilapider l'argent public ; mieux vaut affecter les budgets à d'autres domaines...

Je comprends, bien sûr, qu'il puisse y avoir des contraintes budgétaires, mais les sommes en question n'ont rien d'astronomique. Il me paraît essentiel de savoir si des excès de cas existent ou non dans d'autres régions, et d'en connaître l'origine. Car bien évidemment, si l'on ne cherche pas, on ne trouve pas ! A défaut de déterminer les causes précises de ces anomalies statistiques, au moins cela permettrait-il d'éliminer ou de confirmer certaines hypothèses, comme celle des pesticides.

Vous remerciez donc Emmanuelle Amar, la directrice du Registre de la région Rhône-Alpes (Remera), d'avoir tiré la sonnette d'alarme?

Oui. Si elle n'avait pas provoqué ce buzz médiatique, on ne parlerait pas autant de cette affaire.

Pensez-vous, comme elle, que les pouvoirs publics ont tenté d'étouffer un scandale sanitaire ?

L'expression "étouffer un scandale" revêt une connotation malveillante que je ne veux pas reprendre à mon compte, d'autant qu'il s'agit d'une hypothèse difficile à croire : plusieurs gouvernements et plusieurs directions se sont succédé depuis l'apparition des premiers cas. Je pense plutôt que, dès lors que ces malformations ne touchent qu'un nombre limité de familles et que les crédits sont limités, ce dossier n'a jamais été jugé prioritaire. C'est peut-être ce qui est en train de changer.

Santé publique France fait remarquer que la découverte de nouveaux cas dans l'Ain est gênante pour Emmanuelle Amar en s'interrogeant sur la "rigueur" du Remera dont la mission consistait précisément à les repérer.

Emmanuelle Amar l'a expliqué : le recensement est très compliqué et certains cas peuvent passer au travers des mailles du filet. Mais notre association ne souhaite pas entrer dans la polémique. Nous voulons au contraire que toutes les personnes compétentes soient capables de se mettre autour d'une table et de travailler ensemble. Il y va de l'intérêt des familles. Peut-être le Remera a-t-il manqué quelque chose, mais plutôt que d'en profiter pour lui taper dessus, mieux vaudrait savoir pourquoi et en tirer les leçons pour améliorer les dispositifs. Ce serait bien plus constructif.

Quelles sont vos demandes précises ?

Nous en avons trois. La première consiste à coordonner les registres existants en France, qui couvrent environ 20 % de la population. La seconde vise à créer un registre national sur l'ensemble du territoire. La troisième est que des enquêtes soient menées quand des excès de cas apparaissent dans certaines régions.

Quels seraient les avantages ?

D'abord, on saurait vraiment de quoi l'on parle. On dit aujourd'hui que les malformations des membres concernent environ 150 familles. Or on ne le sait pas avec exactitude puisque l'on se contente d'extrapoler les chiffres observés à partir des registres existants. Ensuite, on réaliserait des progrès dans la recherche des causes de ces maladies. Enfin, cela permettrait de mieux informer et de rassurer les parents car ceux-ci se posent beaucoup de questions lorsqu'un de leurs enfants naît avec une malformation de membre.

Au point de culpabiliser ?

Cela arrive, bien sûr. Quand vous ne connaissez pas l'origine d'une maladie, vous vous demandez forcément: "Pourquoi nous ? Qu'avons-nous fait de mal pour arriver à cette situation ?" Dans ces cas-là, il ne faut pas rester seuls. Moi-même, j'ai une petite fille de 4 ans née avec une agénésie transverse de l'avant-bras gauche. C'est grâce à l'association que j'ai pu être mieux informé et rassuré. Il faut savoir, notamment, que la plupart des enfants grandissent très bien malgré tout. C'est pourquoi il faut développer la recherche dans ce domaine.

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