Dominique Crochu a commencé à travailler à la Fédération Française de Football en 1973 et depuis, elle n’a cessé de militer pour le développement du football féminin. En 2002, elle devient la première femme directrice à la FFF, en charge du Web et du Digital. Elle a rejoint en 2016 l’entreprise Digitaly, qui accompagne les sociétés dans les domaines du numérique et de la mixité. En 2017, elle a été nommée par Marlène Schiappa comme membre de la Commission permanente pour le sport féminin, auprès du Ministère des Sports. 

Marie Claire : Le plus grand obstacle à l’égalité, selon vous ?

Sans nul doute, le plus grand obstacle à l’égalité est le poids des siècles d’inégalités voire de discriminations envers les femmes. Celui-ci continue de peser énormément sur beaucoup de cultures et sur notre quotidien. Des habitudes, des réflexes, des façons de penser ou de réagir sont intériorisés depuis si longtemps par les femmes et les hommes. Il est nécessaire d’avoir conscience que les stéréotypes sont des freins réels pour les garçons et les filles. Cela ressemble à une forme de conditionnement des esprits. Donc pour en sortir, c’est très long, lent et quelques fois lourd.

Le plus grand obstacle à l’égalité est le poids des siècles d’inégalités voire de discriminations envers les femmes

L'instant qui vous a fait prendre conscience qu’on n’était pas encore arrivé ?

Vidéo du jour

Dans les années 80, j’ai découvert la forte différence du regard des hommes et des femmes envers les pratiquantes de sport selon celui qu’elle choisissait. Pour ma part, j’étais joueuse de handball, je faisais de l’alpinisme, et de l’athlétisme. Je ne comprenais pas pourquoi tant d’oppositions s’élevaient, par exemple, contre des filles qui jouaient au football. Les freins étaient forts, les paroles violentes empreintes de fort sexisme et les actes étaient discriminatoires. Cela me paraissait inique et grave parce que c’est la question fondamentale de la liberté. L’accès égal, pour les garçons et les filles à toute activité physique, était en jeu. Là, j’ai vraiment réalisé le manque d’égalité d’accès aux sports entre les enfants. C’est ainsi que je suis devenue l’une des pionnières de la pratique du football par les filles. Un engagement sous l’angle de la totale liberté de choix.

Je ne comprenais pas pourquoi tant d’oppositions s’élevaient, par exemple, contre des filles qui jouaient au football

Le premier pas vers l’égalité, que chacun peut faire ?

Les enjeux de l’égalité se jouent dès l’enfance. Toutes les études montrent que les petites filles intériorisent très tôt des blocages, des freins véhiculés de manière souvent inconsciente dans leur environnement : crèche, école, parents, famille, activités de loisirs, sport... Et que les petits garçons puisent leurs forces dans les mêmes sphères. Les adultes ont un rôle de réflexion à faire dans l’éducation et la pédagogie. Lorsqu’un enfant, une jeune personne exprime une envie, il est recommandé de regarder cette demande comme telle et non pas en fonction de son genre. Par exemple, au moment de l’orientation scolaire des jeunes, il faut arrêter de penser qu’un métier est plutôt fait pour les garçons et un autre pour les filles. La tech par exemple n’a pas de sexe, les compétences non plus. Au contraire, c’est une opportunité pour les filles de rentrer dans des secteurs où les prévisions sont fortes en termes de créations d’emplois, et d’entreprises.

Côté communication, les médias publics pourraient faire beaucoup pour la déconstruction des stéréotypes. Les campagnes de marketing de toutes les entreprises pour valoriser leurs produits avec une communication non genrée pourraient aussi avoir un impact influent sur toutes les générations. Un autre pas, juste un pas, vers l’égalité est la mixité. Dans tous les environnements, la mixité de génération, d’origine, de culture, est une valeur forte.

Au moment de l’orientation scolaire des jeunes, il faut arrêter de penser qu’un métier est plutôt fait pour les garçons et un autre pour les filles

La femme qui fait bouger les lignes ?

Simone Veil dont la vie est une œuvre d’humanité avec en point d’orgue d’avoir réussi, après de longues d’années de combat, à faire légaliser le droit à IVG en 1975. L’engagement de Simone de Beauvoir et sa vision juste voire prémonitoire : “N’oubliez pas qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes toute votre vie durant” sont inspirants. J’ai aussi la conviction que plus il y aura d’hommes connus et reconnus pour porter le combat de l’égalité, plus il y aura un effet réel d’accélération et donc plus de résultats.

La loi (même irréaliste) qui pourrait tout changer ?

Les textes gouvernementaux, des règlements de toute sorte existent depuis bientôt des décennies. Elles sont un socle nécessaire et indispensable pour faire appliquer les diverses obligations. Sans elles, les inégalités seraient encore plus fortes. Le travail de fond à faire pour réduire les stéréotypes est encore immense pour que le plus de monde possible comprenne les biais qui pèsent sur les garçons et les filles. En effet, il est important d’insister que les stéréotypes affectent les femmes et les hommes dans leur développement de futur citoyen.

L’égalité, en un mot ?

La liberté.

Votre secret pour convaincre les sceptiques qu’il faut agir ?

Le partage, la ténacité, la patience. Je crois vraiment à l’exemple, à l’engagement. Comme disait Gandhi, « L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul. »