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Interview

Laurent Davezies : « Les régions sinistrées ont encore un avenir industriel »

INTERVIEW - Le poids des grandes métropoles, où se concentrent les secteurs d'activité les plus dynamiques, s'est renforcé en France depuis la crise de 2008. Mais les anciennes contrées industrielles du Nord-Est, où se rend cette semaine Emmanuel Macron, ont des opportunités à saisir, estime l'économiste Laurent Davezies.

Laurent Davezies, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), spécialiste des politiques régionales et urbaines et de développement économique.
Laurent Davezies, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), spécialiste des politiques régionales et urbaines et de développement économique. (Jérôme Chatin/« Expansion »-ReA)

Par Grégoire Poussielgue

Publié le 4 nov. 2018 à 15:00

Cent ans après la fin de la Première Guerre mondiale, Emmanuel Macron entame ce dimanche à Strasbourg une « itinérance mémorielle » qui le conduira dans l'Est et le Nord. Au-delà de l'aspect purement mémoriel, ce déplacement sera aussi l'occasion pour le chef de l'Etat d'adresser un message à des territoires lourdement frappés le chômage. Ces régions « n'ont pas vécu que les guerres, elles ont également vécu la désindustrialisation et les coups de boutoir de la mondialisation », a-t-il dit dans une interview à « Ouest-France » publiée jeudi dernier, ajoutant qu'il voulait « montrer que ce sont des territoires d'avenir » en insistant sur les projets pour une ambition industrielle.

L'économiste Laurent Davezies fait le point pour « Les Echos » sur la fracture territoriale en France et explique quelles opportunités pourraient saisir les anciennes contrées industrielles du Nord-Est .

Où en est la fracture territoriale aujourd'hui en France ?

La France se relève du choc de la crise de 2008-2009. Aujourd'hui, on a à peine retrouvé le niveau de 2007. On est au-delà d'un choc conjoncturel, qui s'est combiné avec les tendances structurelles antérieures.

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D'abord, l'économie des plus grandes métropoles a été moins affectée et s'est renforcée. Les secteurs du numérique, des services supérieurs ou de l'ingénierie ont, eux, continué à créer des emplois. Ces emplois, dont on nous dit qu'ils sont ceux de demain, sont concentrés dans quelques-unes des plus grandes métropoles, et pas ailleurs. Ensuite, les industries et beaucoup des secteurs « banals » ont continué à détruire de l'emploi. Le BTP, secteur très sensible, a énormément souffert dans la période.

Avant 2008, les territoires « résidentiels » (au sud, sur les littoraux, en montagne…) connaissaient un fort développement lié à la consommation. Le cocktail retraités, touristes, emploi public et attractivité migratoire leur permettait des progressions du revenu et de l'emploi plus fortes que les territoires productifs, y compris métropolitains. La fête est largement finie : si le revenu des ménages n'a pas reculé au plus fort de la crise, entre 2008 et 2010, il a connu une inflexion après 2011 avec le début d'un grand ajustement de la dépense et de l'emploi publics, qui étaient les grands moteurs d'augmentation du revenu et de la consommation jusqu'alors.

Quelles ont été les conséquences de ce mouvement ?

Un déséquilibre entre les territoires adaptés au monde d'aujourd'hui, qui progressent, et ceux qui sont de plus en plus disqualifiés. Depuis les années 1980, la France est dans le grand bain de la mondialisation. Le déficit et la dette ont permis d'amortir ce qu'aurait été le choc sur une économie alors trop peu compétitive. Nous avons dopé l'économie du pays pour l'aider à se transformer et à s'adapter.

On doit constater que cette transformation n'a surtout eu lieu que dans quelques métropoles. Il est vrai qu'elles ont extraordinairement changé, grâce aux politiques locales qui y ont été menées, comme à Toulouse, Lyon ou Nantes. Mais le principal facteur de leur succès est autant inné qu'acquis. Il est lié à leur taille, leur concentration et à la qualité et la diversité de leurs ressources en capital humain.

Dans beaucoup des autres territoires qui n'ont d'avantages ni productifs ni résidentiels, l'argent capté (salaires publics, retraites, prestations sociales, dépenses pour les services publics locaux) est aujourd'hui la première source de revenu, avant la création de richesse locale par la production. Si vous commencez à fermer le robinet de ces revenus, comme c'est d'actualité, vous imaginez le tableau…

La redistribution n'a-t-elle pas fonctionné ?

Elle a fonctionné : la production s'est concentrée dans certains territoires. Le pourcentage du PIB national produit, par exemple, en Ile-de-France est passé de 27 % en 1980 à 31 % aujourd'hui. Parallèlement, l'Ile-de-France concentrait 25 % du revenu des ménages, contre 22 % actuellement. La production de richesses s'est concentrée, la redistribution, publique et privée, s'est accélérée. Les disparités du revenu par habitant entre les régions et même les départements, depuis les années 1960 jusqu'à aujourd'hui, n'ont cessé de diminuer. L'inflexion de l'emploi et de la dépense publique risque d'affecter cette tendance.

Quelles sont les perspectives pour l'action publique ?

D'abord du côté de la mobilité. Ce qui compte, ce ne sont pas les « territoires », mais les gens. S'il n'y a plus de travail ici, il faut les aider à en trouver ailleurs. Malheureusement plus facile à dire qu'à faire. Leur dire de ne pas traverser seulement la rue mais le pays risque de mal passer !

En revanche, on pourrait améliorer la mobilité des lycéens techniques et professionnels et des étudiants. L'offre éducative couvre tous les territoires en assignant, de force, les jeunes à des établissements proches de chez eux, alors que l'égalité territoriale, du côté de la demande, viserait plutôt à leur donner une liberté de choix en leur donnant accès à une large gamme de formations, ailleurs. Logements à très bas coût, transports gratuits, etc. tout cela permettrait, dans une perspective de long terme, une pédagogie positive de la mobilité. Il faut évidemment que les élus acceptent de voir partir « leurs » jeunes…

Et sur un plan plus industriel ?

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Le retour de la fabrication. On pronostique un effondrement de l'emploi manufacturier dans les pays émergents lié à la robotisation et aux imprimantes 3D. Plus besoin d'avoir recours à de la main-d'oeuvre ouvrière exotique à bas coût ? Il y aurait donc un nouvel avenir pour des territoires à faible coût foncier, à fortes infrastructures de transport et logistique avec le rail et la route, ayant une tradition industrielle, proches des marchés grâce aux circuits courts…

On voit ainsi se dessiner le CV de territoires de renaissance industrielle correspondant au profil de nos vieilles régions sinistrées du nord-est du pays. L'avenir n'est peut-être pas derrière elles !

Grégoire Poussielgue

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