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Le Pacifique, un « patchwork corallien » sous forte pression

L'expédition scientifique Tara Pacific est rentrée, après deux ans et demi à étudier le corail dans le plus vaste océan au monde. Son principal constat, inattendu : la très grande hétérogénéité de l'état de santé des récifs.

Le corail est soumis à la hausse des températures, à l'acidification de l'océan et à une pression plus directe liée à l'activité humaine.
Le corail est soumis à la hausse des températures, à l'acidification de l'océan et à une pression plus directe liée à l'activité humaine. (Rafael Ben-Ari/NEWSCOM/SIPA)

Par Marianne Bliman

Publié le 4 nov. 2018 à 12:15Mis à jour le 10 nov. 2018 à 11:07

La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, le directeur du CNRS, Antoine Petit, le directeur du Genoscope, Patrick Wincker, une dizaine de députés, le président de Lorient Agglomération, des représentants des partenaires publics et privés… Il y en avait du beau monde, ce matin du 27 octobre sur l'île de Groix (Bretagne), pour fêter le retour de la goélette Tara Pacific. Il faut dire que l'expédition scientifique achevait là un périple de près de deux ans et demi à travers le plus vaste océan de la planète. Son objectif : étudier, sur une échelle géographique jamais atteinte, et selon une approche systématique, la biodiversité des récifs coralliens - qui abritent 30 % de toutes les espèces marines connues, sur une surface qui ne dépasse pas 0,2 % de celle des océans - et leur évolution face au changement climatique.

S'il est encore trop tôt pour divulguer des résultats scientifiques- « Le temps de la recherche est un temps long », rappelle Serge Planes, le directeur scientifique de Tara Pacific et directeur de recherche CNRS au Centre de recherches insulaires et Observatoire de l'environnement -, des constats peuvent d'ores et déjà être dressés. Le principal d'entre eux, qui constitue une grande surprise pour les spécialistes : la très grande hétérogénéité de l'état des récifs. « On a observé des zones avec du blanchissement, mais aussi des zones avec des récifs en très bonne santé, magnifiques », raconte Serge Planes.

Ainsi du « joyau de diversité intact » que restent les îles françaises Chesterfield, au large de la Nouvelle-Calédonie. Ou Palau, au nord-ouest de l'Indonésie. « Les récifs y ont une eau légèrement plus acide que le reste du Pacifique et la température est relativement élevée, rappelle Denis Allemand, le codirecteur scientifique de Tara Pacific et directeur scientifique du Centre scientifique de Monaco (CSM). Et pourtant, on a là des colonies d'une très grande diversité et d'une grande vitalité. »

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A l'inverse, à l'île Ducie, un atoll perdu au milieu de rien à l'ouest de l'île de Pâques, les plongeurs de Tara ont trouvé un récif totalement blanc, alors qu'ils n'y avaient vu aucun blanchissement quatre ans plus tôt. Autre situation problématique, parmi bien d'autres : les récifs d'Upolu (îles Samoa), dont l'état est très fortement dégradé, avec une couverture corallienne de moins de 10 % sur plus de 80 % des 124 sites observés.

Le corail sous stress

Fragile, le corail est en effet soumis à la hausse des températures, à l'acidification de l'océan - causée par les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère - et à une pression plus directe liée à l'activité humaine. « Au niveau global, les récifs coralliens sont le système le plus sensible au changement climatique, dont les effets visibles - les premiers signes de blanchissement - remontent à la fin des années 1990 », rappelle Denis Allemand. Avant de souligner : « Maintenant, ces signes deviennent de plus en plus évidents. » Il évoque par exemple la disparition, il y a deux ans, de 30 % du nord de la Grande Barrière de corail (Australie)à la suite d'une vague de chaleur.

« Il y a une relation relativement directe entre la densité de la population humaine sur le littoral et l'état du récif corallien », pointe Serge Planes. Absence de traitement des eaux usées ou des déchets, surpêche, développement de l'urbanisme côtier… « Les récifs prennent tout ça de plein fouet », souligne-t-il. Et les efforts financiers faits pour les préserver - quand ils existent - ne suffisent pas toujours. Comme en Australie où, comme il le rappelle, « le trafic maritime sur la Grande Barrière a été multiplié par 30 sur les quinze, vingt dernières années, les terres agricoles le long de la zone côtière l'ont été par 20 pendant les trois dernières décennies », en même temps que des milliards étaient dépensés pour la préservation de la Grande Barrière.

5.000 échantillons pour le séquençage ADN

Les deux ans et demi de circumnavigation de Tara ont permis une récolte inédite de données, qu'il s'agit désormais d'analyser. « Tara n'existerait pas sans la génomique », souligne Romain Troublé, le directeur général de la Fondation Tara Expéditions. Comme pour Tara Océans - la précédente expédition, qui a récemment mis au jour une concentration énorme de microplastiques au Groenland -, le travail est lancé au Genoscope d'Evry.

Au cours des deux, trois ans qui viennent, l'ADN de 5.000 des plus de 36.000 échantillons récoltés va y être séquencé. Une fois le séquençage fait, il faudra alors passer au décryptage des données. Un travail gigantesque sur des ordinateurs ultrapuissants en termes de calculs comme de stockage. « Ce qui est attendu de ces programmes de génomique, c'est que toutes les données soient mises à disposition de la communauté internationale le plus vite possible », indique Patrick Wincker, le directeur du Genoscope.

« Comprendre ce que peuvent devenir ces écosystèmes »

« Avec Tara Pacific, nous obtiendrons ainsi une base de données de diversité génétique, d'expression des gènes et de réponse aux stress qui devrait nous permettre, à terme, de comprendre comment chacune de ces espèces de corail réagit dans les différents environnements, précise-t-il. Et on espère avoir des connaissances par rapport à la biodiversité et à la résilience qui pourront nous permettre de comprendre ce que peuvent devenir ces écosystèmes plus globalement dans l'avenir. »

Au vu des nombreux stress subis par les récifs coralliens, l'heure est cependant d'ores et déjà à l'action. Au niveau global pour lutter contre le changement climatique, mais aussi à l'échelon local. « Les communautés ont un vrai pouvoir de changement », estime Romain Troublé. Objectif : donner le temps aux récifs de se reconstruire.

Séquençage de l'ADN : l'enjeu de la miniaturisation

Julie Poulain, embarquée à deux reprises sur Tara Pacific pour faire du séquençage d'ADN, en sourit encore. C'était en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Privée du labo intérieur du bateau pour cause d'occupation par une collègue, la biologiste du Genoscope d'Evry s'est retrouvée à faire une « manip » dans une cabine, assise sur un baril de farine, sa paillasse posée sur une caisse en alu.Son premier outil de travail : le MinION, développé par l'Oxford Nanopore Technologies. De la taille d'un petit smartphone et piloté par ordinateur, il lui a permis de faire du séquençage ciblé sur de petites portions d'ADN (les « gènes marqueurs ») de corail. Elle n'avait certes pas échappé aux indispensables préparatifs : organisation en termes d'approvisionnement des réactifs, mise au froid de ces réactifs, éventuels cycles de montée et de baisse des températures pour « amplifier » le morceau d'ADN visé…MinION ne remplace pas les machines des labos qui, seules, permettent de générer un travail « avec très peu d'erreurs de séquençage ». Mais, espère-t-elle, « à terme, cela pourrait peut-être nous permettre de ne plus avoir à échantillonner, à stocker les échantillons à bord, à les expédier ». Toutes choses aujourd'hui très lourdes et coûteuses. Autre avantage attendu : la possibilité de mieux orienter l'échantillonnage au cours de l'expédition. Pour rester sur un site plus intéressant qu'attendu ou, au contraire, quitter plus vite un autre qui le serait moins.

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Tara Pacific, une expédition hors normes

Du canal de Panama au Japon en passant par le Sud Pacifique, puis de la Nouvelle-Zélande jusqu'en Chine, la onzième expédition de la goélette Tara a parcouru plus de 100.000 km (quasiment 2,5 fois le tour du monde) en 883 jours.Tara Pacific a traversé 30 pays et effectué 70 escales, au cours desquelles environ 50.000 personnes - dont une bonne moitié d'enfants - ont été accueillies à bord pour des actions de sensibilisation. Trente-deux îles, de tailles très diverses, ont été sillonnées. Quelque 200 sites d'échantillonnage y ont été analysés puis comparés. Les scientifiques y ont prélevé plus de 36.000 échantillons. Ce qui a nécessité 2.677 plongées scientifiques.Une centaine de scientifiques de plusieurs disciplines ont été embarqués, issus de 23 institutions et laboratoires de recherche. Sept d'entre eux étaient en permanence à bord, avec six marins.

Marianne Bliman 

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