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L'amiante dans les bâtiments agricoles, un scandale sanitaire et économique

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Un salarié agricole a saisi la justice à Quimper pour faire reconnaître comme maladie agricole la pathologie née de l'amiante qu'il a dans les poumons. En Bretagne, 90% des bâtiments d'élevage sont couverts de ce matériau, et sont à l'abandon, le coût de leur destruction étant devenu prohibitif.

Le démantèlement des bâtiments, désormais très encadré, peut coûter jusqu'à 100 euros par mètre carré de toiture
Le démantèlement des bâtiments, désormais très encadré, peut coûter jusqu'à 100 euros par mètre carré de toiture © Maxppp - Claude Prigent

Gabriel ne saura jamais si l'amiante dans ses poumons vient de son service militaire dans la Marine, comme il l'affirme, ou des bâtiments agricoles dans lesquels il a tant travaillé, comme le dit l'expert. À 80 ans, cet ancien éleveur de Beuzec-Cap-Sizun a derrière sa maison un hangar, une salle de traite, un poulailler, recouverts de matériau à base d'amiante, comme le fibrociment ou l'everite.

Des millions de mètres carrés de toiture

"On les a construits dans les années 70", explique-t-il, "et on ne savait rien ! Personne ne nous a jamais dit qu'il y avait des risques". Et pour cause : à cette époque de l'agriculture productiviste triomphante, l'amiante représentait un isolant bon marché et d'excellente qualité, parfait pour recouvrir ces millions de mètres carrés de bâtiments d'élevage qui fleurissaient en Bretagne.

Mais ce qui se murmurait a commencé à prendre une sale tournure dans les années 80, la dangerosité de l'amiante est passée de suspicion à réalité, jusqu'à son interdiction totale en France en 1997. Depuis, les normes se sont considérablement durcies, des diagnostics ont du être réalisés sur tous les bâtiments en 2005, jusqu'àla dernière vague de règlementation, en 2012, qui a fait exploser le coût du démantèlement.

Un coût qui peut grimper aujourd'hui jusqu'à une centaine d'euros par mètre carré. Gabriel s'est renseigné pour son poulailler dont le toit s'est effondré il y a quelques années : "Ça coûte autant de le démolir totalement que de mettre un toit neuf", explique-t-il. "Les débris sont là, à l'intérieur, je ne vais pas dépenser autant pour un bâtiment dont je me sers plus. Évidemment, ça ne fait pas beau à voir". Un coût impossible à assumer vu le faible niveau des pensions de retraite.

Une solution financière de l'État ?

Heureusement, Gabriel a un fils, qui, quand il est parti à la retraite, a repris et entretient une partie des bâtiments de l'exploitation. Mais pas son voisin : "Il est seul, il n'a pas de succession, il m'a dit que toutes les toitures avaient commencé à s'écrouler, et qu'il allait les laisser en l'état. Il ne va quand même pas mettre son argent là-dedans !"

Alors bien sûr, il reste une solution radicale, évidemment interdite. "Certains font un trou et mettent tout dedans", confie Gabriel, "mais je ne vais pas leur reprocher ! On a payé pour mettre en place ces bâtiments, et aujourd'hui qu'on découvre que ce matériau n'est pas bon, il faudrait encore payer pour l'éliminer, ce n'est pas normal".

Une des possibilités serait que l'État prenne à sa charge le coût de ces démantèlements. En 2014, Gérard Le Cam, le maire de Plénée-Jugon, dans les Côtes-d'Armor, alors sénateur, l'avait suggéré dans une question écrite au ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll. "Je crois que je n'ai jamais eu de réponse", explique aujourd'hui l'élu communiste. "C'est regrettable, vu la quantité d'élevages en Bretagne. Soit certains enterrent tout à la pelleteuse, soit les bâtiments restent dans les ronces et les orties... Ce n'est pas une solution. Il faut que le problème soit traité d'une part au moment des transmissions ou des regroupements d'exploitation par les agriculteurs, et de l'autre qu'il y ait une aide de l'État, sinon ça ne se fera pas".

Une quinzaine de dossiers à l'ADDEVA 22 et 29

À ce scandale économique et environnemental vient s'ajouter, moins connu et visible, un scandale sanitaire. "Aujourd'hui, nous avons une quinzaine de dossiers de salariés agricoles qui ont été contaminés par l'amiante dans le cadre de leur travail. Mais nous sommes face à une profession très discrète, _le nombre de cas pourrait être en réalité bien plus élevé__"_, détaille Gérard Fréchou, le président de l'ADDEVA du Finistère et des Côtes d'Armor (Association départementale de défense des victimes de l'amiante). "Ce sont des personnes qui ont utilisé ce matériau lors de la construction ou des modifications ultérieures, en perçant ou en tronçonnant les plaques de fibrociment par exemple". 

Mais il explique que le risque est encore présent. "A priori, quand elles sont bien entretenues, ces plaques ne présentent pas de danger. Mais quand elles sont usées, leur dégradation peut disséminer les particules d'amiante, ou un exploitant peut décider de réutiliser le bout de plaque qui n'est pas abîmé, en la manipulant sans prendre les précautions nécessaires".

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