CINÉMATHÈQUE

Les 5 ingrédients qui font du « western spaghetti » de Sergio Leone un art

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Publié le , mis à jour le
À la fois avant-gardiste et populaire, Sergio Leone est un monstre du cinéma. Dans les années 1960, il a relancé un genre, le western, qu’on disait vieillissant, avec un style unique que ses adversaires taxaient, non sans relents racistes, de « spaghetti ». De la trilogie du dollar à Il était une fois…, il a réécrit le cinéma en donnant à l’Amérique cette saveur si particulière qui infuse encore aujourd’hui chez les réalisateurs. À l’occasion d’une exposition à la Cinémathèque française et de la sortie d’un livre, décortiquons la recette du maître.

1. Un fond de copie…

En 1963, Sergio Leone, encore jeune réalisateur (plutôt de péplums) découvre dans une salle obscure de Rome Yojimbo d’Akira Kurosawa. Le film raconte la vengeance d’un samouraï. C’est un choc pour Leone qui songe immédiatement à en faire un remake en western. La suite ? Un an plus tard, Pour une poignée de dollars sort en salles et devient l’un des plus grands succès du cinéma italien. Leone a tout repris chez Kurosawa : l’intrigue, les dialogues, et même certains plans. L’originalité de l’Italien aura été de transposer l’univers du Japon médiéval dans l’Amérique du XIXe siècle, un collage qui invente un nouveau langage.

Akira Kurosawa, Yojimbo
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Akira Kurosawa, Yojimbo, 1961

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© TOHO COMPANY/ KUROSAWA PRODUCTIO/ ARCHIVES DU 7EME ART/ PHOTO12

2. Un bouillon de culture populaire et artistique

Né de parents travaillant dans le cinéma, Sergio Leone est un enfant de la culture populaire. Les bandes dessinées – les fumetti – qui paraissent dans sa jeunesse imprimeront durablement son univers. Côté films, outre le cinéma de Charlie Chaplin, il y a celui de John Ford, bien sûr : « Je peux dire que c’est grâce à lui si j’ai décidé de faire des westerns », dira le réalisateur. Mais Leone possédait aussi une grande culture classique : ses films trahissent son goût pour la peinture de Goya, Rembrandt, Hopper. Ses perspectives trompeuses et ses changements de plans brutaux puisent dans l’univers de Giorgio De Chirico, dont il possédait deux toiles.

À gauche : Rod Steiger et James Coburn dans « Il était une fois dans l’Ouest », 1968; À droite : Giorgio de Chirico, « Les muses inquiétantes », 1918
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À gauche : Rod Steiger et James Coburn dans « Il était une fois dans l’Ouest », 1968; À droite : Giorgio de Chirico, « Les muses inquiétantes », 1918

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© Fondazione Cineteca di Bologna/ Fondo Angelo Novi ; © Electa / Leemage © Adagp, Paris 2018

3. De la musique aux petits oignons

Du Ennio Morricone avant toute chose ! La musique du célèbre compositeur – et ami du réalisateur – est sans doute l’un des ingrédients les plus savoureux des films de Leone. À tel point que ce dernier voulait être inspiré par la musique, et non l’inverse. À partir de Et pour quelques dollars de plus (1965), la bande sonore est même enregistrée avant le tournage. Leone la fait écouter à ses acteurs et leur donne sa vision du film. La musique, les bruits sont partie prenante de la narration. L’exemple le plus magistral en la matière est le début de Il était une fois dans l’Ouest : bruit du vent, eau qui goutte, sifflement… Douze minutes de symphonie naturelle orchestrée avec la maestria de Morricone.

4. Dilater le temps de la narration

Si le cinéma de la Nouvelle Vague de Jean-Luc Godard a inventé l’ellipse en narration, Sergio Leone a au contraire dilaté le temps. Le générique de Il était une fois dans l’Ouest s’étire entre jeux de regards, musique et bruitages… jusqu’à ce que Charles Bronson débarque pour tuer tout le monde. Leone a l’art de créer le suspense. Le réalisateur soigne chaque détail, il se documente, choisit ses décors et ses acteurs méticuleusement (Clint Eastwood, qu’il révèle au grand public, Henry Fonda, Lee Van Cleef, Claudia Cardinale, Robert de Niro…), car pour convaincre les spectateurs il faut, jugeait-il, leur donner de la véracité.

Sergio Leone, Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest »
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Sergio Leone, Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest », 1968

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© Fondazione Cineteca di Bologna/ Fondo Angelo Novi

5. Passer au tamis du cadrage

Leone est celui qui a le plus exploité l’art du cadrage dans toutes ses dimensions, du plan d’ensemble sur le désert – moins l’Arizona qu’en réalité l’Andalousie – à ses fameux plans très serrés : sa marque de fabrique ! Ces derniers traduisent en un regard tout ce qu’on veut savoir d’un personnage. Une idée incarnée dans la scène d’affrontement à trois dans Le Bon, la Brute et le Truand, où les visages, filmés en champ, contrechamp et face-à-face, occupent tout l’espace. Le grain de la peau, les rides creusées, les yeux construisent un nouveau paysage qui rappelle les fards et les masques des mythologies de l’Antiquité, autre passion de Sergio Leone.

Sergio Leone, Clint Eastwood dans « Le Bon, la Brute et le Truand »
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Sergio Leone, Clint Eastwood dans « Le Bon, la Brute et le Truand », 1966

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© Fondazione Cineteca di Bologna

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À lire

La révolution Sergio Leone

Un ouvrage collectif sous la direction de Gian Luca Farinelli et de Sir Christopher Frayling

coédition Les Éditions de la Table Ronde, Paris 2018 •  512 p. • 26,50 euros

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