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Planter des arbres pour le climat ? Oui, mais pas n’importe comment

Les bénéfices des arbres pour la vie sur Terre sont multiples et bien connus. En planter est devenue une activité en vogue chez les entreprises. Or, explique l’auteur de cette tribune, celles-ci ne respectent souvent pas les règles indispensables pour que ce « geste » soit utile et pérenne.

Benjamin Neimark est Senior Lecturer au Lancaster Environment Centre de l’université de Lancaster.


Nous n’imaginons pas tout ce que les arbres font pour nous. Leurs racines préviennent l’érosion des sols, leur canopée nous offre de l’ombre ; leurs feuilles se décomposent en nutriments bénéfiques aux plantes qui alimentent le bétail.

Les arbres offrent aussi un habitat pour nombre d’animaux et quantité de produits essentiels à nos modes de vie et nos économies, comme le caoutchouc, le café ou encore les bois durs.

Dans le monde entier, ils contribuent aussi à marquer les frontières et jouent un rôle spirituel, culturel et social primordial au sein de nombreuses communautés de petits exploitants.

Dans les années 1980, des organisations caritatives ont commencé à proposer de planter des arbres dans le Sahara, dans l’espoir d’y stopper la « désertification ». Cette démarche impliquait à la fois du « reboisement » (c’est-à-dire planter des arbres à des endroits où ils ne poussaient plus depuis longtemps), et de la « reforestation » (qui consiste à remplacer un couvert forestier disparu).

Une manière de compenser son impact environnemental 

Depuis, cette idée s’est répandue, et de nombreuses entreprises privées, de la plateforme pour adultes Pornhub (oui, vous avez bien lu) à la marque de prêt-à-porter Ten Tree, utilisent la plantation d’arbres à des fins de marketing.

Pour les entreprises, planter des arbres ou soutenir d’autres formes de restauration des habitats constitue une manière de compenser leur impact environnemental, et ainsi de payer les dommages qu’ils causent par leurs activités. Face à l’aggravation du changement climatique, semer des arbres apparaît ainsi comme un moyen privilégié pour capter le dioxyde de carbone que nous continuons à rejeter dans l’atmosphère.

Les Nations unies elles-mêmes ont mis en place des systèmes offrant aux communautés locales et aux gouvernements une forme d’aide financière pour les encourager à préserver les arbres de la déforestation. Certaines grandes firmes ont ainsi intégré cette économie de réparation aux engagements de leur politique de responsabilité sociale.

Parmi les programmes existants, une ONG kényane de conservation baptisée Green Belt Movement a été lancée par la défunte Wangari Maathai, prix Nobel de la paix 2004.

À l’origine, la mission de Wangari Maathai avait pour but de permettre aux habitants locaux, en particulier les femmes, de gagner en autonomie et de surmonter les inégalités en restaurant la forêt et en résistant à l’expansion du Sahara.

Malgré l’implication des sociétés et des organisations caritatives, les études ont montré que les contributions les plus essentielles à ce type de programmes étaient celles des agriculteurs et des habitants locaux, et non celles des entreprises.

Dans la mesure où les communautés sont les premières responsables des arbres plantés sur leurs terres, il est essentiel que les projets conçus par des organismes extérieurs soient pensés et mis en œuvre de manière judicieuse et dans l’intérêt des habitants.

Une nouvelle forme d’écoblanchiment utilisée par les entreprises

Si certains considèrent que ce système est gagnant-gagnant pour l’environnement, indépendamment de qui le met en œuvre, la compensation ne consiste en réalité en rien d’autre qu’une nouvelle forme d’écoblanchiment utilisée par les entreprises.

Or les dommages environnementaux causés à un endroit ne seront jamais annulés par des réparations, parfois menées à l’autre bout du monde. Plus grave, la plantation d’arbres, lorsqu’elle est effectuée sans discernement, peut causer davantage de mal que de bien. Certaines forêts, à la biodiversité très riche, sont rasées à des fins agricoles ou industrielles, puis remplacées par des plantations d’une seule et même espèce, souvent choisie pour ses rendements rapides. Or une forêt tropicale peut prendre jusqu’à 65 ans pour repousser. Et des parcelles de forêt plantées en monoculture dans le cadre d’une reforestation ne pourront jamais présenter une biodiversité aussi riche.

Au cours d’un processus de reforestation ou de reboisement, des décisions doivent être prises quant aux essences que l’on s’apprête à replanter : natives ou exotiques, polyvalentes ou à croissance rapide, forêts qui se régénèrent naturellement ou non. Or de tels choix, essentiels, font parfois l’objet de mauvaises évaluations, notamment dans la sélection des espèces.

L’eucalyptus constitue ici un exemple édifiant. Souvent choisi pour sa croissance éclair et sa rentabilité économique, cet arbre est généralement planté sur des terres où il est totalement exotique et qui ne sont pas aptes à l’accueillir. Requérant des quantités d’eau considérables, il assèche alors les nappes phréatiques et entre en compétition avec les espèces locales.

En Europe, le remplacement des chênes natifs à larges feuilles par des conifères à croissance rapide a entraîné une augmentation de 10 % du couvert forestier sur le continent par rapport à l’ère pré-industrielle. Ces nouveaux arbres absorbent toutefois nettement moins bien le carbone que les espèces originelles. En revanche, ils capturent plus efficacement la chaleur, intensifiant ainsi les effets du réchauffement climatique. Replanter des arbres à l’aveugle peut donc, de toute évidence, être la source de nouveaux problèmes.

L’implication de la communauté est donc cruciale 

Au fil de leur longue croissance, les arbres nécessitent une attention continue. Or les systèmes de reforestation et de reboisement consistent bien souvent à planter et à s’en aller — sans que des ressources ne soient investies pour l’entretien de ces jeunes arbres. Particulièrement vulnérables aux maladies et à la concurrence pour la lumière et les nutriments, ils sont alors susceptibles de mourir rapidement.

Lorsque des États ou des acteurs privés choisissent des lieux où replanter des arbres, ils le font souvent sans consulter les communautés locales — en ignorant donc le droit foncier traditionnel et la manière dont sont gérées les terres. Or ces sites sont parfois en jachère, ou utilisés par les communautés à diverses fins économiques, culturelles ou spirituelles.

Commettre l’erreur de planter sur de tels sites risque d’exacerber les tensions au sujet des terres et d’encourager un désintérêt pour ces arbres et leur entretien. Dépossédés, les habitants se dirigeront alors vers d’autres espaces forestiers, qu’ils raseront pour cultiver.

Dans certaines communautés, les droits d’occupation ne sont par ailleurs pas détenus par un ménage mais répartis entre hommes et femmes. Ce type de détail est également à prendre en compte avant de planter, pour éviter de créer des tensions au sujet de la propriété des terres au sein des communautés.

S’il est peu étonnant que les arbres intéressent l’économie verte, cela ne signifie pas forcément que les planter soit écologique ou utile à l’harmonie sociale. Laisser les arbres repousser naturellement n’est pas non plus toujours efficace, s’ils ne sont pas en mesure de survivre sans intervention extérieure. L’implication de la communauté est donc cruciale. Pour que la plantation d’arbres ait vraiment du sens, il faut la penser intelligemment en amont. Ce qui signifie consulter les populations locales, choisir judicieusement les espèces, respecter les droits de propriété sur ces arbres, leurs fruits et la terre sur laquelle ils poussent. Il s’agit aussi d’identifier des responsables pour l’entretien de ces nouvelles plantations. Pour les entreprises, il est donc question d’accompagner les communautés qui héritent de leurs plantations, et pas juste de verdir leur image.


Cette tribune a été initialement publiée sur le site The Conversation et il la été traduit de l’anglais par Nolwenn Jaumouillé.

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