Menu
Libération
Taxes

Fiscalité écologique : le vert à moitié plein de l’exécutif

Pour le budget 2019, l’opposition accuse le gouvernement de ne pas suffisamment affecter les recettes des taxes écologistes à l’écologie. D’après les calculs de «Libération», le compte n’y est pas.
par Lilian Alemagna
publié le 4 novembre 2018 à 20h46

Le gouvernement aurait peut-être dû écouter ses propres parlementaires. En septembre, Bénédicte Peyrol, députée LREM, alertait dans un rapport du comité pour l'économie verte sur «l'acceptabilité sociale» des hausses d'impôts sur les carburants. L'élue de l'Allier militait ainsi pour une «meilleure communication, vis-à-vis des contribuables et des collectivités locales, sur les enjeux et l'utilisation des recettes des taxes environnementales». Le rapport a été examiné à l'Assemblée nationale lors d'une simple «table ronde». Et puis plus rien… De son côté, son collègue du Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin, a déposé quelques semaines plus tard plusieurs amendements au budget 2019. Ce proche de Nicolas Hulot proposait notamment, bien avant la grogne actuelle des automobilistes, l'instauration de «dispositifs fiscaux supplémentaires», sous forme de crédits d'impôts «versés uniquement les années où le prix du baril est très élevé». «C'est normal que les années où l'Etat récolte plus TVA, il puisse en redistribuer aux ménages modestes», fait valoir le député à Libération. Refus du gouvernement.

Cela fait donc un moment que les députés, y compris ceux de la majorité, mettent en garde l'exécutif sur la colère à la pompe entendue dans les stations-service de leurs circonscriptions. La première semaine des débats budgétaires, le président LR de la commission des finances, Eric Woerth, a demandé une «pause fiscale», critiquant au passage les «bons sentiments» écologiques du gouvernement. «L'équation doit être juste entre la hausse que vous proposez et les financements de transition que vous mettez sur la table», a abondé le même jour la patronne des députés socialistes, Valérie Rabault. Exactement ce que le gouvernement compte défendre, ce lundi, à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du budget du ministère de la Transition écologique et solidaire.

Combien la fiscalité environnementale rapporte-t-elle ?

En tout, près de 50 milliards d'euros selon des calculs d'Eurostat en 2016. Si on ne compte que la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui comprend la contribution climat-énergie (CCE) - nom poli donné depuis quatre ans à la «taxe carbone» en France - c'est 37,7 milliards d'euros prévus pour 2019. Dotée d'une «trajectoire» revue et corrigée par le gouvernement l'an dernier - de 7 euros la tonne de CO2 en 2014 à 86 euros en 2022 - cette contribution est destinée à faire gonfler la TICPE tous les 1er janvier… donc les prix à la pompe. En 2019, cette taxe verte rapportera ainsi 4 milliards d'euros de plus à l'Etat et aux collectivités, après une première hausse de plus de 3 milliards en 2018. «Sur la durée totale du quinquennat, le montant total de l'augmentation, c'est 55 milliards d'euros, a fustigé Valérie Rabault dans l'hémicycle, s'adressant aux ministres concernés. Les plans que vous faites pour améliorer la transition énergétique ne font pas le dixième de ce surplus !» «Vous faites peur aux Français avec des gros chiffres», lui avait alors répondu le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy.

Combien l’Etat dépense-t-il vraiment pour la transition écologique ?

Le successeur de Nicolas Hulot avait un autre chiffre pour prouver que le gouvernement utilise les taxes sur les carburants à bon escient : «34 milliards d'euros.» C'est, selon Rugy la totalité de la «fiscalité carburant» et le montant… du budget de son ministère. «Ce budget est en augmentation d'un milliard. C'est concret !» s'est-il défendu à l'Assemblée. «Mais ça n'a aucun sens de faire cette comparaison, souligne Eric Woerth auprès de Libération. Là-dedans vous avez les subventions à la SNCF, les salaires des fonctionnaires…» L'ex-ministre du Budget de Nicolas Sarkozy fait d'autres comptes : pour lui, à peine «un quart» des recettes issues de la TICPE - 37,7 milliards anticipés pour 2019 donc - servent à financer la conversion écologique : 7,2 milliards d'euros doivent abonder le «compte d'affectation spéciale transition énergétique» - qui aide notamment les opérateurs publics de l'électricité à développer les énergies renouvelables - et 1,2 milliard va aller à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). «Le reste, c'est du rendement budgétaire», critique Woerth. Pour être précis : 12,3 milliards d'euros issus de la TICPE seront transférés l'an prochain aux collectivités territoriales et 17 milliards resteront à l'Etat… lequel utilisera tout de même une partie de cet argent pour financer la politique environnementale du gouvernement.

Quelles nouvelles mesures en faveur de l’environnement prévoit le gouvernement ?

Pour sortir de cette bataille de (gros) chiffres, attardons-nous sur le «surplus» de fiscalité environnementale, soit les 4 milliards d’euros de TICPE supplémentaires prélevés en 2019 et qui, selon les calculs de Bercy, seront portés, à parts égales, par les ménages et les entreprises. Et malheureusement pour le gouvernement, on a du mal à trouver la même somme dans de nouvelles mesures favorisant la conversion écologique. Ainsi, l’augmentation annoncée du «chèque énergie» en 2019 représente un effort de 129 millions d’euros. Ce dispositif créé en 2017 par Nicolas Hulot pour aider les ménages modestes à supporter la hausse des prix des carburants doit passer de 150 euros cette année à 200 euros l’an prochain.

De plus, le montant des prolongations jusqu’à fin 2019 du crédit d’impôt pour la transition énergétique et de l’éco-prêt à taux zéro pour encourager les travaux de rénovation énergétique s’élève à 900 millions d’euros. Durant les débats budgétaires, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé que le gouvernement ferait un geste supplémentaire en étendant ce crédit d’impôt aux frais des ménages - nombreux en zone rurale - qui souhaitent se débarrasser de leurs vieilles cuves à fioul. L’Etat devrait donc faire un effort supplémentaire pour quatre millions de foyers.

Autre annonce sur laquelle s'appuie le gouvernement pour convaincre qu'il fait des efforts écolos : la «prime à la conversion» destinée à l'achat de véhicules propres. Depuis qu'il concerne les voitures d'occasion, ce dispositif créé sous la gauche connaît un fort succès. Le gouvernement vise un million de véhicules remplacés et a par ailleurs annoncé qu'il allait «renforcer» cette prime (de 1 000 à 2 500 euros) pour les particuliers qui choisissent une voiture hybride rechargeable neuve (et même d'occasion pour les ménages non imposables). La semaine dernière, Le Maire et Rugy ont appelé les constructeurs automobiles à participer au financement de cette extension. Mais, petit rappel : ces primes à la conversion ne coûtent pas grand-chose à l'Etat puisqu'elles sont généralement financées par les «malus» payés… par les propriétaires de véhicules polluants.

Sur ce sujet, les députés de la majorité ont d’ailleurs supprimé l’exonération de malus qui s’appliquait aux pick-up pour récupérer au passage 200 millions d’euros. Les mêmes ont également prolongé et étendu la déduction fiscale accordée aux entreprises qui optent pour des véhicules utilitaires moins polluants et espèrent, enfin, ouvrir la prime à la conversion aux conducteurs qui choisiraient d’abandonner leur voiture pour… un vélo.

Dans le budget 2019, le gouvernement met également en avant la «sécurisation» des financements de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) pour rénover 75 000 logements par an (500 millions d’euros). Mais cette mesure là doit être financée par la mise aux enchères de quotas carbone, donc sera, elle aussi, neutre pour les finances publiques.

Résultat, selon nos calculs, c'est environ un milliard d'euros qui sera dépensé, en plus, en 2019, dans des mesures destinées à accompagner les Français vers l'après-pétrole. Loin des quatre milliards qui seront prélevés l'an prochain sur les factures énergétiques des ménages et des entreprises. «Il est illusoire et démagogique de dire que 100 % de la fiscalité environnementale doit aller à la transition, défend Matthieu Orphelin. En revanche, si certaines bonnes mesures ont été annoncées par le gouvernement, il en faut un peu plus.» Le député LREM réclame «plus de lisibilité». Exactement ce qui, aujourd'hui, manque à l'exécutif.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique