Lutte contre le blanchiment d’argent : «Les agents immobiliers sont des élèves moyens !»

Bruno Dalles, directeur de Tracfin, estime que la profession n’est pas structurée pour aider à la lutte contre les malversations financières.

 Bruno Dalles, ici en décembre 2015 dans la cour de l’Elysée, ne demande pas aux agents immobiliers « de faire une enquête de police » mais d’être plus vigilant et de prévenir les services de Tracfin lorsqu’une opération leur paraît suspecte.
Bruno Dalles, ici en décembre 2015 dans la cour de l’Elysée, ne demande pas aux agents immobiliers « de faire une enquête de police » mais d’être plus vigilant et de prévenir les services de Tracfin lorsqu’une opération leur paraît suspecte. AFP/Kenzo Tribouillard

    Bruno Dalles est le directeur de Tracfin, la cellule de Bercy chargée de la lutte contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et le crime organisé. Il demande aux professionnels de l'immobilier d'être plus vigilants et de faire remonter à ses services toute transaction qui leur paraîtrait douteuse.

    Pourquoi jugez-vous la vigilance des professionnels de l'immobilier insuffisante ?

    BRUNO DALLES. L'immobilier est un secteur à risque en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Mais jusqu'ici, les agents immobiliers, qui sont au cœur du réacteur, étaient un peu passifs. Notre idée, c'est de les mobiliser.

    Sont-ils de si mauvais élèves que cela ?

    Ce sont des élèves… moyens ! L'immobilier ne s'est pas structuré pour faire face à ces missions, les formations proposées dans les réseaux ne sont pas toujours performantes et ce secteur compte beaucoup de petites agences indépendantes qui sont très en retard sur ces sujets. Du coup, les résultats sont faibles au regard des risques.

    Y a-t-il des régions moins mobilisées que d'autres ?

    Oui. Certaines régions ne tirent jamais la sonnette d'alarme comme la Corse et l'Outre-Mer, avec notamment Saint-Martin, la Guyane, la Guadeloupe ou la Martinique qui n'ont fait aucune déclaration de soupçon en 2017. Sur la Côte d'Azur, où les opérations immobilières sont nombreuses, nous n'en avons reçu qu'une vingtaine l'année dernière.

    Pourquoi sévissez-vous maintenant alors qu'ils sont tenus de participer à la lutte contre le blanchiment depuis 20 ans ?

    Pendant des années, nous étions au stade de l'évangélisation. Hélas, nous prêchions dans le désert. Notre objectif est d'arriver à une vraie relation de partenariat.

    Que demandez-vous concrètement aux agents immobiliers ?

    On ne leur demande pas de faire une enquête de police. Mais ils peuvent aller sur Google pour vérifier l'identité du client, voir s'il n'y a pas des articles de presse évoquant des scandales financiers, consulter le profil Facebook pour s'assurer qu'il s'agit bien d'une grande fortune s'il s'est présenté comme tel… Il existe aussi des cas de figure qui doivent leur mettre la puce à l'oreille : si le client investit à un prix supérieur au marché, cela peut être du blanchiment ; à un prix inférieur, cela peut être de la fraude fiscale.

    Des professionnels de l'immobilier vous ont-ils déjà permis de détecter des cas de financement du terrorisme ?

    Oui mais cela ne venait pas des agents immobiliers. Un notaire nous a fait par exemple une déclaration de soupçon pour une vente immobilière à un prix très en dessous du marché. L'enquête qui a suivi a révélé que la femme qui voulait vendre vite souhaitait envoyer de l'argent à son mari djihadiste.

    Pour les agents immobiliers, cette demande ne risque-t-elle pas de prendre la forme d'une contrainte supplémentaire ?

    Je tiens à rappeler qu'il s'agit d'une obligation légale. Lorsqu'ils nous disent qu'ils s'inquiètent car ils risquent de perdre leur clientèle ou d'être menacés, nous les rassurons, car toutes leurs déclarations sont confidentielles. Ensuite, la déclaration de soupçon n'interrompt pas la relation d'affaires mais elle leur assure l'immunité pénale.