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«Dans l’environnement, nos escargots détectent pas mal de substances d’origine médicamenteuse»

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Chercheur à l’université Bourgogne-Franche-Comté, Frédéric Gimbert explique comment l'escargot permet d'analyser plus finement la contamination de l'environnement.
par Margaux Lacroux
publié le 6 novembre 2018 à 6h32
(mis à jour le 6 novembre 2018 à 11h34)

Fil vert, logo carré, fond grisTous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Le mardi, c’est la règle de trois : trois questions à un scientifique pour décrypter les enjeux environnementaux.

Depuis une vingtaine d'années, des biologistes de l'université Bourgogne-Franche-Comté mesurent la qualité de l'environnement grâce à un drôle d'outil : des escargots. Anciens sites miniers, friches industrielles ou encore parcelles agricoles peuvent être passés au crible de ces petits détecteurs à substances toxiques. Un partenariat avec un bureau d'études parisien a depuis peu été noué. Enseignant-chercheur en écotoxicologie, Frédéric Gimbert travaille avec des petits-gris et mène des analyses sur le terrain pour identifier les transferts des contaminants dans la chaîne alimentaire.

Pourquoi mettre l’escargot à contribution pour détecter la pollution de l’environnement ?

C'est un bon bio-indicateur, une espèce reflétant l'état du milieu dans lequel elle vit. L'escargot participe au fonctionnement de l'écosystème : il est herbivore, mange aussi de la matière organique en décomposition, de l'humus, et il est mangé par plein d'autres animaux (insectes, hérissons, musaraignes, oiseaux, renards, sangliers…). Il participe donc aux relations de proie et de prédateur, il est à l'origine du régime alimentaire de pas mal d'espèces. Deuxièmement, il ne bouge pas beaucoup et a un domaine vital relativement restreint, donc on sait que les sources d'exposition sont bien ciblées. Si l'animal parcourt des milliers de kilomètres dans la journée, on aura du mal à voir d'où vient la contamination qui est dans ses tissus. Nous avons aussi pas mal de données sur la physiologie, l'écologie de l'escargot, ce qui nous aide à interpréter un certain nombre de résultats.

L'espèce avec laquelle nous travaillons, le petit-gris, est idéalement située à l'interface entre le sol, les plantes et l'atmosphère. Il mange à la fois du sol, de la végétation et il possède un poumon, ce qui le rend sensible aux polluants atmosphériques. L'escargot a donc ce côté intégrateur de plusieurs sources et voies de contamination. De plus, il est doté d'importantes capacités d'accumulation des contaminants dans ses tissus, en particulier la glande digestive. Parfois on a du mal à détecter une substance dans le milieu parce qu'elle est en trop faible quantité chimiquement parlant, alors que dans l'escargot, elle va se concentrer et pourra être plus facilement mesurable. Cela permet de tirer la sonnette d'alarme en disant «attention, dans l'environnement dans lequel on a mis nos escargots, on s'aperçoit qu'il y a des transferts de telle et telle substance».

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Comment réalisez-vous vos études sur le terrain ?

Les animaux sont élevés en laboratoire et emmenés sur des sites qu'on suppose être contaminés. On les met dans des cages un à deux mois. Il faut qu'il fasse suffisamment chaud, qu'il y ait assez de lumière, mais qu'il ne fasse pas trop sec. Grosso modo, on évite l'été et l'hiver. Plus on les laisse longtemps et plus ils vont accumuler des substances dans leurs tissus et nous donner un signal intéressant. L'escargot a une certaine tolérance aux substances toxiques : pour qu'il meure, il faut vraiment que les conditions soient terribles. Nous allons les voir régulièrement, notamment pour vérifier leur état de santé (survie, croissance) et pour faire des prélèvements afin de vérifier la présence de certaines substances dans les organismes. Nous analysons la glande digestive, contenue dans la coquille, un mélange entre le foie et le pancréas. C'est un tissu dans lequel beaucoup de substances sont stockées. Cela nécessite forcément de sacrifier les escargots. Mais nous prenons toutes les précautions éthiques relatives à la manipulation des animaux. Ainsi, quand c'est possible, on essaie de privilégier au maximum les approches non létales, par exemple des prises de sang pour faire des analyses sur le liquide circulant.

Quelles substances retrouve-t-on davantage dans l’environnement aujourd’hui ?

Les métaux sont utilisés par l'homme depuis 3000 avant JC. Ils peuvent être présents naturellement mais les activités humaines vont les concentrer dans des déchets miniers ou de métallurgie et être la source de contaminations. Il y a aussi toutes les substances qui n'existent pas à l'état naturel mais qui ont été synthétisées par l'homme. Les pesticides (herbicides, fongicides, insecticides…), les PCB (polychlorobiphényles)… Nous retrouvons également les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) qui sont liés à la combustion des énergies fossiles (charbon, essence dans les moteurs…). En ce moment, on détecte pas mal de substances d'origine médicamenteuse, parce qu'on en utilise de plus en plus, et aussi parce qu'on a aujourd'hui des appareils qui mesurent de plus faibles concentrations. Il y en a un peu partout dans l'eau, les sols, dans les boues d'épuration qui, quand elles sont épandues peuvent contribuer à la diffusion de ces substances. Les microplastiques, qui font l'objet de nombreuses études à l'heure actuelle en milieu aquatique, pourraient aussi être une piste intéressante à explorer en milieu terrestre.

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