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Midterms : pourquoi les Américains vont-ils passer dix minutes dans l'isoloir ?

Midterms: Élections américaines de mi-mandat 2022dossier
Prévues ce mardi aux Etats-Unis, les élections de mi-mandat sont en fait l'occasion de dizaines de scrutins. Aller voter n'a donc pas grand-chose à voir pour un Américain et un Français. Explications.
par Baptiste Bouthier
publié le 6 novembre 2018 à 6h25

Un jour, un vote, une enveloppe, un isoloir, une urne : en France, voter est un acte relativement simple, toujours construit de la même façon, autour d’une unité. Mais les citoyens français seraient fortement dépaysés s’ils devaient voter ce mardi pour les midterms, les élections de mi-mandat aux Etats-Unis. Comme tous les deux ans, le pays est appelé aux urnes en plein milieu de la semaine pour élire ses parlementaires, et bien d’autres choses encore. Un jour, un seul bulletin, mais une multitude de scrutins à la fois : le vote aux Etats-Unis peut prendre des allures de corvée…

Pour comprendre comment l’on peut se retrouver à passer dix minutes dans l’isoloir, le mieux est encore de voir à quoi ressemble un bulletin de vote. Par exemple celui-ci, qui attend les électeurs de Minneapolis, dans le Minnesota :

Sur ces deux pages, les électeurs sont appelés à voter… 44 fois. Pour leurs parlementaires, donc, mais aussi pour un paquet d'autres choses, souvent hyper locales. Bons princes, les auteurs du bulletin l'ont découpé en plusieurs parties, ce qui est loin d'être le cas partout (au hasard : dans le comté de Polk, en Floride, il faut se débrouiller pour voter 50 fois sans découpage). Cela nécessite quand même quelques explications supplémentaires.

C'est la partie la plus simple, mais aussi la plus petite du bulletin. Et celle qui fait que l'on s'intéresse aux midterms un peu partout sur la planète : mardi, comme tous les deux ans, les Américains renouvellent entièrement leur Chambre des représentants (l'équivalent de l'Assemblée nationale) et un tiers du Sénat. Aux Etats-Unis aussi, ce sont les élections dont on parle presque exclusivement, au vu de leur impact potentiel sur la suite du mandat présidentiel de Donald Trump.

Chaque Etat compte deux sénateurs, et un seul est censé être renouvelé un jour d'élection. Le cas du Minnesota diffère cette fois : élu jusqu'en 2020, Al Franken a démissionné il y a un an après des accusations de harcèlement sexuel. Les deux dernières années de son mandat se jouent donc dans une special election entre la démocrate Tina Smith, qui occupe le poste en intérim (sur nomination du gouverneur de l'Etat) et la républicaine Karin Housley, mais aussi Sarah Wellington (du parti Legal Marijuana Now) et Jerry Trooien (sans étiquette). Les électeurs peuvent également inscrire un nom de leur choix sur la dernière ligne, «write-in, if any» : au Minnesota, la loi de l'Etat autorise le write-in pour toutes les élections et cette option figure donc à chaque vote sur ce bulletin. L'autre siège de sénateur de l'Etat expirait bien lui en cette fin d'année et se joue donc entre la sortante Amy Klobuchar (démocrate) et Jim Newberger (républicain) ainsi que deux autres candidats, pour un mandat normal de six ans.

Quant à la Chambre des représentants, le Minnesota y a huit «députés» élus par circonscription (district). Les habitants de Minneapolis doivent donc voter pour leur district 5, au choix pour la démocrate Ilhan Omar ou la républicaine Jennifer Zielinski (ou un write-in, comme à chaque fois). La vainqueure sera élue pour deux ans.

C’est là que les choses commencent à se compliquer un peu. Non contents de devoir voter pour leurs sénateurs et leurs représentants à la Chambre fédérale, les Américains doivent en faire de même pour… leurs sénateurs et leurs représentants à la Chambre, mais cette fois au sein de leur propre Etat. Dans le Minnesota, ils sont exonérés pour le Sénat : les mandats y courent jusqu’en 2020. En revanche, la Chambre des représentants de l’Etat est bien entièrement renouvelée pour de nouveaux mandats de deux ans, à l’image de celle des Etats-Unis : sur le bulletin de vote présenté ici, les électeurs sont appelés à voter pour le représentant du district 61B (qui regroupe environ 45 000 habitants des quartiers sud-ouest de Minneapolis) qui sera, selon toute vraisemblance, le démocrate Jamie Long.

L'Election Day de mardi est aussi l'occasion pour 36 Etats et trois territoires américains d'élire leur gouverneur (le «président» de l'Etat). C'est le cas au Minnesota, où les candidats sont présentés en tickets avec leur vice-gouverneur (Lieutenant Governor) : les républicains Jeff Johnson et Donna Bergstrom affrontent les démocrates Tim Walz et Peggy Flanagan ainsi que deux autres tickets. Les électeurs doivent aussi élire le Secretary of State, n°3 de l'Etat, en charge notamment des élections ; le State Auditor, qui s'occupe des finances ; et l'Attorney General, sorte de ministre de la Justice de l'Etat. Autant de postes importants dont les campagnes sont pourtant très discrètes, au vu du nombre d'élections se jouant simultanément.

Après le pays et l'Etat, le comté : ce nouvel échelon territorial américain correspond grosso modo à nos départements français (sauf qu'il y en a beaucoup plus), et lui aussi a le droit à ses élections. Les habitants du comté de Hennepin (un million d'habitants dans l'agglomération de Minneapolis) doivent ainsi voter pour élire l'un des sept County Commissioners (conseillers départementaux), ici celui du troisième district. Mais aussi pour le shérif du comté où il faudra trancher entre Rich Stanek et Dave Hutch, et pour le County Attorney, sorte de responsable de la justice à l'échelle du comté. A noter qu'à partir de cet échelon-là, la couleur politique des candidats, si elle existe, n'est plus précisée.

Toujours plus loin dans le découpage territorial, nous voilà à la commune. Par chance, pas d'élection municipale à Minneapolis cette année. Simplement une city question, autrement dit un référendum à l'échelle de la ville, assez obscur au demeurant. Il est en fait demandé aux électeurs s'ils veulent revenir sur une vieille réglementation datant de la prohibition et qui interdit la vente d'alcool fort dans les bars et les restaurants s'ils ne sont pas situés en centre-ville ou dans des zones commerciales de plus de 3 hectares. Evidemment, cette question figure seulement sur les bulletins de vote de Minneapolis, mais ailleurs, d'autres référendums ou amendements constitutionnels peuvent apparaître, à l'échelle de la ville, du comté ou de l'Etat.

Pays, Etat, comté, ville : les Américains ont déjà voté pour quatre échelons territoriaux. C'est loin d'être fini… car il n'y a pas que la politique dans la vie. Il y a aussi les écoles publiques, soumises à des votes elles aussi. Les habitants de Minneapolis doivent ainsi choisir les membres du bureau directeur des écoles publiques de la ville, dans un scrutin plurinominal où ils peuvent choisir un ou deux noms parmi les quatre proposés et un write-in de leur choix. Deux questions sont également soumises au vote : en bref, il est demandé aux électeurs s'ils sont d'accord pour voir leur taxe foncière augmenter pour donner davantage de moyens aux écoles publiques. Si le non l'emporte, il faudra faire sans cette manne financière supplémentaire.

Voilà enfin la page deux, exclusivement dédiée aux votes sur la justice. De très nombreux postes de juges en tous genres sont soumis à l'élection aux Etats-Unis, même s'il s'agit la plupart du temps de votes pour le principe – la quasi-totalité des élections présentées sur cette page ne nomment qu'un candidat, qui est toujours le sortant (précisé par la mention incumbent), ce qui limite grandement leurs chances de ne pas être élus…

A l'échelle du Minnesota, les électeurs de Minneapolis doivent voter pour deux instances différentes. D'abord la Cour suprême de l'Etat, qui fonctionne sur le même modèle que la Cour suprême fédérale et correspond à notre Cour de cassation : c'est la plus haute juridiction. Son président (Chief Justice) et trois autres membres (Associate Justice) sont élus pour des mandats de six ans. L'autre série de votes porte sur la cour d'appel de l'Etat, où doivent être élus six juges.

Enfin, les électeurs de Minneapolis doivent élire pas moins de 19 juges pour le tribunal du Fourth District (qui correspond en fait au comté de Hennepin), soit leur tribunal local de première instance.

Bonus : amendements et runoff

Au final, un électeur de Minneapolis minutieux et farouchement citoyen aura passé de longues minutes dans l'isoloir (sans compter la queue hors du bureau de vote, souvent longue aux Etats-Unis) pour noircir 44 cases, voire écrire quelques noms dans les espaces du write-in. Beaucoup d'autres se seront contentés de ne voter que pour les quelques scrutins qui les intéressaient, ce qui n'invalide pas leur vote.

Evidemment, tous les bulletins remplis aux quatre coins des Etats-Unis ce mardi ne se ressemblent pas. Certains sont plus simples, parce qu’il n’y a pas d’élection du gouverneur ou au Sénat par exemple. D’autres sont parfois plus complexes. En Floride, par exemple, rien de moins que treize amendements à la Constitution de l’Etat sont proposés au vote, auxquels peuvent s’ajouter de-ci, de-là, des référendums à l’échelle du comté ou de la ville, en plus de toutes les personnes à élire aux différents échelons territoriaux…

Ultime complexité : certains Etats, pour une partie des élections (jamais de systématisme, ce serait trop simple) prévoient un runoff, parfois programmé en janvier seulement. Autrement dit un deuxième tour au cas où aucun candidat n'obtiendrait 50 % des voix dès ce mardi. Un cas rare, puisqu'il n'y a souvent que deux candidats (un démocrate, un républicain) aux Etats-Unis, mais qui arrive tous les deux ans quand même…

Pour aller plus loin :

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