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Vers un boom des vols de carburant ? "Avec la hausse des taxes, nous nous préparons à un nouveau fléau"
9.650 vols de carburant ont été comptabilisés sur les neuf premiers mois de 2018. C'est plus que l'année passée.

Vers un boom des vols de carburant ? "Avec la hausse des taxes, nous nous préparons à un nouveau fléau"

Siphonnages

Propos recueillis par et

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Dans toute la France, plus particulièrement en région Occitanie, l'annonce de la hausse du prix des carburants s'accompagne d'une recrudescence des siphonnages. Premières victimes : les collectivités et les entreprises. Didier Martinez, délégué du syndicat Unité SGP Occitanie, raconte la hausse de ce trafic.

Le carburant prend de plus en plus de valeur. Et mécaniquement, il attire les convoitises. Surtout les plus malintentionnées… Selon les données du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) rapportées par Le Figaro, 9.650 vols de carburant directement dans les véhicules ont été comptabilisés sur les neuf premiers mois de 2018. Un rythme plus élevé que l'année précédente selon les observations du service. Plusieurs cas ont été rapportés par la presse régionale. Ouest-France, par exemple, indique une recrudescence des vols par siphonnage autour de Lorient (Morbihan). En Normandie, selon France 3, ce sont des entreprises de BTP qui se plaignent de voir leurs véhicules vidés de tout carburant. Et en région Occitanie, on ne compte plus les évènements de ce type. Ce samedi 3 novembre, par exemple, le service des espaces verts de la ville de Toulouse (Haute-Garonne) a vu ses véhicules pillés de leur carburant. Près de 700 litres ont été dérobés, comme le révèle La Dépêche du Midi. Et le mois dernier, un homme a été interpellé après avoir volé 9.500 litres à plusieurs entreprises. Valeur du butin : 11.500 euros.

Didier Martinez, délégué du syndicat Unité-SGP-Police Occitanie, s'inquiète de l'apparition d'un "nouveau fléau". Il dénonce l'émergence de malfaiteurs prêts à tout pour repartir avec une grosse quantitédecet or noir. Et ce jusqu'à mettre en danger la vie des policiers mobilisés pour les stopper, explique-t-il à Marianne.

Marianne : Au niveau national, les chiffres indiquent une augmentation des vols de carburant. Et la région Occitanie semble être particulièrement touchée par ce type de phénomène...

Didier Martinez : Ici, les vols explosent ! Nous n'avons pas encore de chiffres au niveau régional mais nous constatons une multiplication flagrante des vols au quotidien. Notamment sur les principaux sites industriels, Montpellier (Hérault) et Toulouse (Haute-Garonne) en particulier. Avec, à chaque fois, de grosses entreprises ciblées et des centaines de litres qui sont dérobés. Et d'autres villes, plus petites, sont également touchées. La semaine dernière à Castres (Tarn), par exemple, plusieurs vols ont été commis dans des sociétés privées.

Qui se cache derrière ces actes ? De simples particuliers ou des bandes organisées ?

Ce sont des individus chevronnés qui font cela dans un but de revente sur des marchés parallèles. Leur organisation l'indique : ils viennent avec des fourgons pour torpiller de l'essence dans des camions citernes ou dans les stocks de municipalités ou d'entreprises pour repartir avec plusieurs centaines de litres. Pour cela, soit ils siphonnent les réservoirs soient ils vont jusqu'à les détruire pour accéder au contenu. On est loin du petit particulier qui n'arrive pas à joindre les deux bouts et qui repart avec quelques litres d'essence.

Deux points nous inquiètent particulièrement : l'ampleur des vols, tout d'abord, puis leur comportement jusqu'au-boutiste, que l'on peut comparer à celui de braqueurs. D'ailleurs, lorsqu'une patrouille est intervenue à Castres pour intercepter les malfaiteurs, celle-ci s'est fait percuter par les malfaiteurs… Le fait qu'ils puissent tenter de nuire à l'intégrité physique d'agents de police marque une certaine radicalité.

Comment expliquez-vous de tels phénomènes ?

Ce phénomène est semblable, en tout point, au trafic de tabac. Celui-ci est apparu par l'augmentation constante des prix des cartouches de cigarettes. Et aujourd'hui c'est l'augmentation annoncée des taxes sur le carburant qui fait que cette marchandise devient une nouvelle cible. En tant que forces de l'ordre, nous nous préparons à faire face à un nouveau fléau. Nous avons d'ailleurs mis en place des moyens conséquents pour empêcher au maximum ces vols. Chaque nuit, nous patrouillons aux abords des zones industrielles de toute la région mais aussi dans les zones de stationnement de bus et de camions. Nous tentons de faire au mieux avec nos moyens. Mais je ne vous cache pas qu'il est très difficile d'être partout.

"Ce phénomène est semblable au trafic de tabac"

En effet, la superficie de la région est immense et les points sensibles sont extrêmement nombreux. Ces malfaiteurs peuvent frapper n'importe où. C'est pour cela qu'en parallèle de ces rondes, nous faisons également un travail de prévention auprès des entreprises présentes sur ces sites et qui ont en leur possession des camions ou bien des engins de chantier. Ce sont autant de cibles potentielles.

Vous parliez de revente de carburant sur des marchés parallèles… Ce carburant volé est-il tracé ? Sait-on vraiment ce qu'il devient ?

Pour le moment, nous n'avons pas pu procéder à des interceptions de cargaisons. Nous ne pouvons donc pas faire de suivi de ce qu'il advient de cette marchandise. Mais en nous fiant aux quantités, aux modes opératoires et la technicité mise en oeuvre, nous sommes à l'évidence sur un trafic. Et nous mettons tout en oeuvre pour l'identifier.

"Plus il y aura augmentation des prix du carburant, plus il y aura de trafic"

Les prix du carburant sont promis à une hausse certaine dans les prochaines semaines. Est-ce que vous craignez que les vols prennent une ampleur encore plus importante ?

Bien entendu. Remettons les choses en perspective : actuellement, nous tentons de combattre différents sites de trafic de cigarettes, notamment à Toulouse. Nous y parvenons, tant bien que mal, bien que lorsque nous mettons fin à un site de trafic, d'autres se reconstituent. Même chose pour le trafic de stupéfiants. Et désormais, nous avons une autre mission, celle de mettre fin au trafic de carburant… Une mission supplémentaire, sans moyens supplémentaires ! Pourrons-nous faire face ?

C'est bien simple : plus il y aura augmentation des prix du carburant, plus il y aura de trafic. Et si ces prix deviennent inaccessibles pour une certaine couche de la population, nous assisterons à cette tentation, chez certains, de s'approvisionner en carburant de façon illégale… Et s'il y a une demande potentielle, certains vont s'organiser pour créer l'offre par tous les moyens possibles, qu'ils soient légaux ou pas.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne