Austérité

Le versement des aides aux producteurs bio a pris deux ans de retard

Austérité

par Sophie Chapelle

Les agriculteurs bio n’en peuvent plus d’attendre le versement des aides qui leur sont dues, depuis souvent deux ans. Le 25 octobre, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) a décidé de saisir le défenseur des droits pour qu’il mette fin à cette situation. « Le gouvernement annonçait dès juin 2018 avoir réglé 97% des aides 2015, mais le traitement des dossiers 2016 patine, confronté à des difficultés inattendues : en moyenne, à ce jour, un tiers seulement des dossiers ont été gérés », souligne la Fnab.

D’après les données recueillies par la fédération, seule la moitié des aides 2016 ont été payées en Centre-Val de Loire, un quart en Lorraine et en Champagne-Ardenne, 32 % en Alsace et 40 % en Bourgogne-Franche-Comté. Les régions Auvergne Rhône-Alpes, Bretagne et Provence-Alpes Côte d’Azur seraient confrontées à « des problèmes techniques inattendus » qui ralentissent fortement les versements 2016. Selon les régions, le plafond des aides à la conversion varie de 12 000 à 20 000 euros par an, et celui des aides au maintien de 5000 à 12 000 euros.

 Lire à ce sujet : L’étrange bug informatique qui empêche des milliers d’agriculteurs bios de toucher leurs aides

« Nos possibilités d’investir, d’innover et de nous développer sont freinées »

Les conséquences sont dramatiques pour les producteurs et productrices bio qui se voient contraints de contracter des prêts à court terme pour payer leurs fournisseurs ou leurs impôts. « En tant que chefs d’entreprise, les paysans et paysannes bio ont construit leur modèle économique sur la base des montants de soutien annoncés en 2014. Depuis lors, non seulement les montants ont baissé, l’aide au maintien a été supprimée, mais qui plus est le soutien restant n’est pas versé. Non seulement la trésorerie de nos fermes est gravement fragilisée mais nos possibilités d’investir, d’innover et de nous développer sont freinées. Qui peut sérieusement gérer une entreprise dans ces conditions ? » s’alarme Guillaume Riou, président de la Fnab.

Pour pallier ces retards, un système d’avances de trésorerie remboursables (ATR) et plafonnées a été mis en place dès 2016. Selon la Fnab, « ces avances, qui devront être remboursées par les producteurs après le versement de la totalité des sommes dues, ont permis de soulager la pression économique générée par cette situation ». La Fnab demande donc la création d’une telle avance de trésorerie pour 2018, au cas où le gouvernement se révélait incapable de tenir le calendrier prévu.

Le problème de cette « solution temporaire » selon la CGT Agri (le syndicat du ministère de l’Agriculture), est qu’elle ajoute des démarches administratives et de la paperasserie supplémentaires pour les agriculteurs comme pour les fonctionnaires chargés de traiter ces demandes. L’Agence de services et paiements (ASP), organisme public payeur des aides européennes, est déjà confrontée à une forte précarisation en interne du fait de la multiplication des contrats à durée déterminée (lire à ce sujet : Retard des aides au bio : des fonctionnaires dénoncent l’hypocrisie du gouvernement).

« Les agents se noient dans le magma bureaucratique »

Dès septembre, la CGT Agri alertait sur « les délais illusoires » annoncés par le ministère de l’Agriculture en termes de traitement des dossiers. « Les agents reçoivent des injonctions contradictoires et se noient dans le magma bureaucratique, explique le syndicat. Aux modes opératoires d’instruction d’une grande complexité, s’ajoute l’inadaptation de l’outil de gestion dont les dysfonctionnements alourdissent la charge de traitement des dossiers. (...) De nombreux agents ont dû renoncer à leurs congés cet été, mais aucune mesure de recrutement et de stabilisation des effectifs n’a encore été prise. Aucune disposition pour la sécurisation des outils de traitements, quasi totalement externalisés au privé, n’est au programme. »

« Moins de moyens pour la fonction publique, c’est moins de service public », insiste la CGT Agri qui réclame depuis plusieurs mois un audit de la gestion des ressources humaines au sein de l’Agence des services et paiements. Le ministère de l’Agriculture, qui a la tutelle de cette agence et décide des moyens qui lui sont dotés, n’a pour l’instant pas donné suite à cette demande d’audit, ni aux questions de Basta!. Dans un contexte où l’Etat se désengage aussi des aides au maintien de l’agriculture bio, difficile de voir comment l’objectif affiché par le gouvernement de 20 % de bio dans les cantines d’ici 2022 sera tenu.