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Reportage

Marseille : «Ils préfèrent mettre de l’argent dans le Vélodrome»

Dans le quartier populaire de la rue d’Aubagne, témoin des vagues d’immigration, les immeubles vétustes attendent leur réhabilitation dans un hypercentre qui se gentrifie.
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille, photo Patrick Gherdoussi. Divergence
publié le 6 novembre 2018 à 21h16

Tout dépend du sens dans lequel on remonte la rue d'Aubagne. Sur sa partie basse, qui débouche sur la Canebière, de coquettes boutiques s'alignent le long de la chaussée pavée. Parmi les enseignes phares, la prestigieuse quincaillerie Maison empereur, «fondée en 1827», à la vitrine délicieusement rétro. Mais aussi, depuis peu, la brasserie le Petit Saint-Louis, à l'esthétique toute parisienne. Depuis quelques années, les commerces populaires ont peu à peu cédé le terrain à des échoppes d'un autre genre, calibrées pour coller à l'arrivée de nouveaux habitants : des brocantes vintage, une herboristerie célébrissime, des créateurs de bijoux… «Une myriade de boutiques indépendantes, faisant du quartier l'un des lieux les plus fascinants de Marseille», écrivait même cet été le New York Times, qui consacrait un article au quartier de Noailles dans ses pages «voyage». Une vitrine parfaite pour la municipalité, qui avait d'ailleurs relayé l'article sur sa page Facebook.

Habitat indigne

Ce Noailles relifté est le produit d'une vaste politique de rénovation publique entamée par la municipalité dans les années 2000. «Une rénovation de façade», souligne Benoît Gilles, le rédacteur en chef de Marsactu. Depuis plusieurs années, le site d'actualité locale a épluché le projet de réhabilitation du quartier dans tous les sens, lui consacrant une littérature fournie et précise. Notamment sur la question de la résorption de l'habitat indigne. «Quand Jean-Claude Gaudin devient maire en 1995, il décide d'étendre le plan de rénovation immobilier (PRI) qui, jusqu'alors, ne concernait que le quartier du Panier, de l'autre côté du Vieux-Port, reprend Benoît Gilles. Dans ce cadre-là, seulement 50 % des immeubles dégradés ont été traités. Quant à la partie haute du quartier, une concertation a été lancée en 2014 et deux études ont été fournies en 2016. Et en janvier, la ville a annoncé en réunion publique qu'elle lançait une nouvelle étude… On en est à presque vingt ans de procédure et la situation n'a quasiment pas évolué.»

Dans ce quartier animé, où les échoppes proposent des produits exotiques, portrait parfait des différentes communautés qui ont fait Marseille, la plupart des rues comptent leur immeuble muré, dans l'attente d'une éventuelle réhabilitation. Les habitants commençaient déjà à trouver le temps long, jusqu'à ce que la catastrophe de lundi ajoute de l'inquiétude à leur lassitude. «Ça fait peur, s'il faut attendre qu'il y ait des morts pour qu'ils réagissent», déplore Kawsar, 23 ans. Sa famille tient un commerce au pied d'un immeuble muré depuis plus de dix ans. «Mon père a acheté en 1998, raconte la jeune fille. Au début, on occupait aussi le premier étage, mais on n'y est resté qu'un an. C'était trop dangereux. Depuis, c'est muré et vide. Parfois, j'entends le plafond qui grésille.»

Mobilisation

Ses parents ont envoyé une vingtaine de courriers à la mairie, sans réponse. Dans le marché voisin de sa rue, les commentaires fusent pour dénoncer l'abandon des pouvoirs publics. «On ne rapporte pas d'argent, peste un maraîcher, alors ils ne s'occupent pas de nous. Ils préfèrent mettre de l'argent dans le stade Vélodrome plutôt que de gérer notre sécurité ! Combien d'immeubles doivent tomber avant qu'ils réagissent ?»

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Depuis l'accident de lundi, plusieurs façades de commerce ont placardé une affiche annonçant une réunion de quartier, mercredi soir, pour organiser une mobilisation. Mardi soir, face aux barrières bloquant le périmètre de sécurité autour des immeubles effondrés, des habitants ont appelé à un rassemblement. «Gaudin assassin !» ont scandé les participants. Parmi la cinquantaine de personnes présentes, un jeune homme s'interroge : «Y a deux immeubles qui sont tombés, mais y en a combien d'autres dans la ville qui n'attendent qu'un simple coup de vent pour s'écrouler ?»

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