«Vous avez raison d’avoir peur» : enquête sur les défaillances du nucléaire français

    Alors que le gouvernement doit définir la politique énergétique de la France, notre reporter Erwan Benezet publie un livre où il explique comment EDF arrive à imposer sa stratégie aux pouvoirs publics.

     EDF prépare en toute discrétion une génération d’EPR low cost avec un niveau de sûreté revu à la baisse, selon les révélations de notre journaliste.
    EDF prépare en toute discrétion une génération d’EPR low cost avec un niveau de sûreté revu à la baisse, selon les révélations de notre journaliste. LP/Olivier Arandel

      Ce mercredi 18 janvier 2017, à Montrouge (Hauts-de-Seine), au siège de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), son patron, Pierre-Franck Chevet, a la mine des mauvais jours. Invité à dresser le bilan de l'année 2016 en matière de sûreté dans nos 19 centrales nucléaires gérées par EDF, il lâche, devant un parterre de journalistes : « La situation est inquiétante. » Du jamais-vu! Dans le monde feutré du nucléaire, où chaque mot prononcé est soigneusement choisi, les propos de Pierre-Franck Chevet sidèrent.

      Pour notre collègue Erwan Benezet, en charge des sujets sur l'énergie au Parisien - Aujourd'hui-en-France, c'est le point de départ d'une enquête d'un an et demi qui abouti avec la sortie de son livre : « Nucléaire : une catastrophe française »*. Avec une question : le nucléaire doit-il encore être l'énergie qui assure aux Français 75 % de leur consommation électricité ?

      Multiplication des incidents, falsification de documents, fragilité financière, opacité, risque terroriste, incapacité à trouver une solution pérenne pour les déchets nucléaires… Les problèmes pour la filière de l'atome, mais surtout pour EDF s'accumulent. Et pourtant, malgré les scandales à répétition, l'entreprise publique continue de tracer le sillon du nucléaire en France envers et contre tout. Pire, alors que son réacteur de troisième génération, l'EPR, rencontre les plus grandes difficultés techniques et financières pour sortir de terre en France, à Flamanville (Manche), mais aussi à l'étranger, EDF prépare en toute discrétion la prochaine génération d'EPR… low cost.

      Comment ? Comme le révèle Erwan Benezet, en revoyant à la baisse le niveau de sûreté des futurs édifices, avec une seule enceinte de protection en béton au lieu de deux, en abaissant les dispositifs de redondance qui passent de quatre à trois tout en augmentant la puissance du nouvel EPR. Faut-il avoir peur ? Non, si le choix de poursuivre dans le nucléaire et la sûreté qui l'accompagne, sont décidés en toute transparence. Et c'est bien là tout le problème. À travers cette enquête, on découvre que le contrat passé il y a quarante ans, entre l'État, EDF et les Français qui ont dit oui au nucléaire à LA condition que cette énergie soit très étroitement surveillée, a subi de nombreux coups de canif.

      Un second EPR est pourtant en projet

      Comme a pu le constater Barbara Pompili, députée LREM et rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, interrogée par l'auteur : « EDF, par exemple, n'a pas toujours répondu à nos demandes, arguant que certains documents étaient estampillés secret-défense, se contentant de fournir le « strict minimum » ».

      Loin du pamphlet antinucléaire, ce livre se veut surtout un outil pour éclairer les Français à l'heure où le gouvernement s'apprête à définir la politique énergétique de la France pour les cinq, voire les dix prochaines années dans le cadre de la future Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). D'autant qu'un projet de second EPR en France se trouve aujourd'hui en bonne place sur le bureau du Président de la République.

      * « Nucléaire : une catastrophe française », par Erwan Benezet, 300 pages, Fayard, 19 euros.