ÉDUCATION - La rentrée des classes a été particulière pour une partie des élèves des écoles élémentaires publiques de Provins, en Seine-et-Marne. Le lundi 5 novembre, ceux-ci ont en effet pu se vêtir d'un uniforme scolaire.
Une même tenue pour chaque élève, qu'il soit une fille ou un garçon: un pantalon coupe droite, un gilet bleu ciel, des polos brodés de la devise républicaine et un blouson style aviateur.
Mais cette égalité face aux uniformes n'est pas la norme dans les écoles du monde entier qui le proposent. Aux États-Unis comme ailleurs, certaines petites filles doivent absolument porter une jupe, ce qui n'est pas du goût de certains parents, comme le montrent nos confrères duHuffPost américain qui a enquêté sur une école refusant aux écolières le droit de porter un pantalon.
Bonnie Peltier, 47 ans, deux enfants, mère au foyer, était très contente que sa fille de quatre ans intègre la Charter Day School, une école publique qui va de la maternelle au collège et jouit d'une bonne réputation à Leland, petite ville conservatrice de Caroline du Nord. Lors de la journée d'orientation, à l'été 2015, elle a cependant été très surprise d'apprendre que le code vestimentaire interdisait aux filles de porter des pantalons ou des shorts.
Bonnie Peltier explique au HuffPost américainque sa fille n'aime pas porter des jupes et des robes. Cette maman ne voit pas pourquoi elle devrait la forcer à porter des vêtements qui contraignent sa liberté de mouvement lorsqu'elle joue et qui tiennent moins chauds pendant la période hivernale.
Pour comprendre l'approche de l'école, elle a envoyé un courriel à son fondateur, Baker Mitchell, un entrepreneur conservateur propriétaire d'une entreprise gérant quatre écoles de ce type en Caroline du Nord.
Transmettre les "valeurs traditionnelles"
Celui-ci lui a répondu que ce code vestimentaire encourageait la "galanterie", et prétendu que cela permettait de transmettre les valeurs traditionnelles, pour des enfants plus sages et mieux élevés. Une réponse somme toute standard, au premier abord. Et puis, il a ajouté que l'application de ce code permettait de prévenir les fusillades dans les écoles.
Cet argument a sidéré Bonnie Peltier.
S'en est suivi une bataille d'un an – à ce jour irrésolue – avec l'organisation. Pendant ce temps, sa fille a continué de porter l'uniforme imposé par l'école.
Selon Bonnie Peltier, Charter Day est la meilleure école publique des environs. Elle ne voit pas pourquoi sa fille devrait être privée d'une bonne éducation. "Je me suis dit que s'il fallait que je fasse changer le règlement, je le ferais", explique-t-elle. "Ma fille a toute sa place dans cette école. Les profs sont géniaux et elle y a toutes ses amies."
Avec l'aide de l'American Civil Liberties Union (ACLU), Bonnie Peltier et deux autres mamans ont attaqué Charter Day en justice en 2016 au nom de leurs filles. Elles souhaitent simplement donner aux filles de l'école la possibilité de porter un pantalon ou un short. Elles avancent que le code vestimentaire restrictif est une discrimination envers les filles et enfreint les dispositions du Titre IX, la loi fédérale sur les droits civils en lien avec l'éducation publique.
"L'école reçoit de l'argent public et doit appliquer la loi", déclare Erika Booth, une secouriste de 47 ans qui s'est joint aux poursuites au nom de sa fille. "Il faut qu'ils évoluent et traitent les filles de manière égale. C'est tout. C'est aussi simple que ça."
Aux États-Unis, les codes vestimentaires sont de plus en plus controversés, pour diverses raisons, mais le HuffPost n'a découvert l'affaire Charter Day que récemment. Une décision pourrait bientôt être prise en référé.
Les avocats de Charter Day ont décliné nos demandes de déclarations, nous renvoyant vers les arguments avancés par l'école dans sa motion pour la procédure de référé de l'an dernier. L'établissement y précise que le code vestimentaire fait partie de ses "valeurs traditionnelles", qu'il est légal d'avoir des exigences différentes en termes d'habillement pour les garçons et les filles. Ce règlement encourage la discipline et le "respect mutuel entre garçons et filles". De plus, ce sont les parents qui choisissent d'inscrire ou non leurs enfants dans cette école.
Charter Day ajoute que ce règlement n'impacte pas les filles de façon défavorable; pour preuve, elles obtiennent de meilleurs résultats en mathématiques que les garçons.
Pétition pour modifier le code vestimentaire
L'école prétend aussi que la suppression d'une règle que les parents apprécient lui serait préjudiciable. Mais l'appréciation du règlement par ces mêmes parents n'est pas claire, selon Bonnie Peltier et Erika Booth. "J'ai reçu de nombreux soutiens", indique cette dernière.
Une pétition pour modifier le code vestimentaire a en effet recueilli plus d'une centaine de signatures, selon un article d'une élève publié sur le site de l'ACLU en 2016.
"Quand c'est la récré, les garçons de ma classe jouent au foot, ils font des galipettes et la roue", écrivait Keely Burks, alors en quatrième à la Charter School. "Moi, j'ai l'impression de ne pas pouvoir participer parce que suis en jupe."
La jeune fille expliquait avoir été punie en CP parce qu'elle s'était assise en tailleur plutôt qu'en repliant ses jambes du même côté, comme se devait de le faire une personne de son sexe.
Parmi les arguments avancés, Charter Day ne revient pas sur le raisonnement de Baker Mitchell en réponse au courriel de Bonnie Peltier en 2015, probablement parce qu'il est absurde. Dans ce courriel, Mitchell établit un lien entre le code vestimentaire et la fusillade de Columbine, qui a eu lieu l'année précédant l'ouverture de Charter Day. Comme il le rappelle, certaines des victimes du massacre étaient de sexe féminin.
Au lendemain de Columbine, où deux lycéens ont tué 12 de leurs camarades et un enseignant avant de se suicider, les fondateurs de Charter Day étaient "déterminés à préserver la galanterie et le respect chez les jeunes filles et les jeunes garçons de cette école de qualité", écrivait Baker Mitchell à Bonnie Peltier. Les jeunes garçons doivent tenir la porte aux jeunes filles et porter leur parapluie, ajoutait-il. Les élèves doivent s'adresser aux adultes en utilisant "Madame" et "Monsieur".
"Aujourd'hui, alors que le harcèlement à l'école, la grossesse chez les adolescentes et la liberté sexuelle sont sur toutes les lèvres, les codes vestimentaires ont toute leur importance", poursuivait-il.
Son raisonnement semblait donc essentiellement s'appuyer sur le fait qu'une tenue correcte et une bonne éducation préviendrait la violence à l'école, et d'autres maux sociétaux.
"Attends. Il n'est quand même pas en train de dire que la tuerie de Columbine aurait pu être évitée si les filles avaient été en jupe!" s'est demandé Bonnie Peltier. "Et pourtant, si", nous dit-elle.
"Ça dit aux filles qu'elles sont des citoyennes de seconde zone"
Dans les documents présentés à la cour, Charter Day se distancie du courriel envoyé par Baker Mitchell, avançant qu'il ne s'agit pas là d'une "déclaration officielle."
L'intéressé et l'établissement soulignent que le code vestimentaire promeut une certaine culture du respect. Pour Bonnie Peltier et Erika Booth, ce règlement inéquitable porte atteinte à l'intégrité des jeunes filles qui sont traitées comme des personnes du sexe faible (et donc le moins capable), expression dépassée qui perpétue le sexisme.
"Je crois que ça dit aux filles qu'elles sont des citoyennes de seconde zone, qu'elles passent derrière les garçons. Et c'est intolérable", avance Erika Booth. "Ma fille ambitionne de travailler dans des secteurs traditionnellement réservées aux hommes. Elle veut être soldat. Je n'ai jamais vu un soldat en jupe."
Si les écoles se préoccupent vraiment du développement d'une culture du respect, elles doivent s'assurer que leurs élèves se sentent à l'aise, bienvenus, en sécurité et heureux dans leur environnement scolaire, avance Adaku Onyeka-Crawford, avocate principale en charge de l'éducation au National Women's Law Center.
Mais les codes vestimentaires genrés ne cadrent pas avec ces objectifs. Les jupes et robes sont en effet moins confortables: il est plus difficile de jouer lorsqu'on est gêné par un tissu qui vous tombe sous les genoux et, l'hiver, les filles ont plus froid.
Plus de règles pour les filles que pour les garçons
Ces codes vestimentaires vont parfois à l'encontre de la notion de respect, surtout pour les filles, qui sont traitées comme des objets fragiles, sexualisés, plutôt que comme des êtres autonomes. "Il y a généralement plus de règles pour les filles que pour les garçons", indique-t-elle. "C'est souvent une autre façon de contrôler le corps des filles."
Il n'existe pas de données au niveau national sur l'utilisation de codes vestimentaires genrés à l'école mais ceux-ci ne sont pas rares. Les écoles décident souvent de la longueur des jupes des filles et interdisent certains types de hauts, à bretelles spaghetti, par exemple. Les garçons s'en tirent un peu mieux et peuvent, par exemple, jouer au basket torse nu.
Cette année, ces interdictions ont été remises en question car elles sexualisent, caricaturent et nuisent aux jeunes femmes. Les Noires, en particulier, portent souvent le fardeau de ces codes qui interdisent des styles spécifiques à leur culture, comme certaines coiffures.
Les codes genrés permettent aussi de renforcer des stéréotypes nocifs sur les garçons et les filles. À Charter Day, on dit aux filles de "s'asseoir comme une princesse" ou "comme une fille" en classe, et on les réprimande quand elles font la roue dans la cour (et montrent leur culotte par inadvertance), selon les documents juridiques.
"Il faut que nos filles sachent que, même si c'est ce qui leur est enseigné, le monde ne fonctionne plus comme ça", conclut Bonnie Peltier.
Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Laura Pertuy pour Fast ForWord.
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