Partager
Défense

Comment la France veut lutter contre l'espionnage spatial

INTERVIEW Après la tentative d’espionnage du satellite français Athena-Fidus par un satellite russe en 2017, la France réfléchit aux solutions pour mieux protéger ses satellites militaires. Le général Michel Friedling, patron du Commandement interarmées de l’espace, détaille les pistes possibles.

réagir
Vue d'artiste d'un satellite militaire d'observation CSO

Le premier de ces satellites militaires d'observation sera lancé de Kourou en décembre.

CNES / Mira Productions / Parot Rémy

Certains l’appellent Louch, d’autres Olymp. Un satellite discret, lancé par la Russie en 2014, qui aurait pu n’être qu’un engin de plus sur l’orbite géostationnaire (36.000 km). Seulement voilà, ce satellite, exploité par l’armée russe et le FSB (ex-KGB), a une fâcheuse tendance à renifler d’un peu trop près ses congénères occidentaux. En 2017, il est même venu se coller très près du satellite de télécoms militaires franco-italien Athena-Fidus, comme l’a révélé la ministre des armées Florence Parly en septembre, évoquant un "acte d'espionnage".

Cette tentative a agi comme un révélateur des carences de la France sur la protection de sa douzaine de satellites militaires en orbite. L'exécutif a lancé les grandes manoeuvres : le ministère des armées travaille sur une stratégie spatiale de défense, qui sera présentée à l’Elysée avant la fin de l’année. Le général Michel Friedling, patron du Commandement interarmées de l’espace (CIE), détaille les pistes d’actions possibles.

 

Challenges : Suite à la tentative d’espionnage du satellite militaire français Athena-Fidus par le satellite russe Louch-Olymp, Florence Parly a tiré la sonnette d’alarme en septembre dernier sur le manque de protection des satellites français. La situation est-elle si grave ?

Général Michel Friedling : Le constat peut paraître alarmiste, mais il est réaliste : nos satellites sont insuffisamment protégés. Nous devons faire faire face à une double rupture dans le secteur spatial. D’un côté, l’arrivée des acteurs privés du New Space, avec de plus en plus de satellites de petite taille sur orbite. De l’autre, la compétition stratégique s’accroît entre les grandes puissances (Etats-Unis, Chine, Russie) dans l’espace. Il y a une prise de conscience générale de l’importance de ces sujets, favorisée également par le projet de Space Force de Donald Trump. Ce projet n’est pas une lubie : il résulte d’une volonté de donner au sujet spatial l’importance qu’il mérite dans la politique américaine.

Quelles sont les grandes menaces pour la douzaine de satellites militaires français ?

Il y a d’abord les attaques par virus et logiciels malveillants, à la fois sur les stations sol et les satellites eux-mêmes. Il y a le risque de sabotage des stations sols. On peut également citer le brouillage électronique des satellites, leur aveuglement au laser, voire leur désorbitation par un satellite tiers, ou leur prise de contrôle à distance par des forces ennemies.

 

 

Pour prouver ses capacités, la Chine avait détruit un de ses propres satellites en 2007, suivie par les Etats-Unis en 2008. Le scénario d’une utilisation d’armes antisatellites est-il crédible ?

Personne n’a intérêt à détruire des satellites dans l’espace. C’est vraiment le scénario du pire : cela crée énormément de débris, comme l’a montré le tir chinois de 2007, qui en a généré des milliers. Le risque, c’est le syndrome de Kessler, c’est à dire un phénomène de réaction en chaine incontrôlable. L’exploration spatiale, et même le lancement de satellites, risqueraient alors de devenir impossibles par risque de collision. Toutes ces questions conduisent à s’interroger sur l’évolution du droit de l’espace qui date pour l’essentiel du traité sur l’espace de 1967.

 

Comment réagir à l’"arsenalisation" de l’espace ?

La ministre a ouvert ce débat lors de son discours de Toulouse le 7 septembre. Elle lancé un groupe de travail qui s'est penché notamment sur ce sujet et qui est à l’œuvre au ministère des armées avec les différents acteurs du segment : DGA, Commandement interarmées de l’espace, Direction du renseignement militaire, CNES, Armée de l’air, Direction générale des Relations Internationales et Stratégiques du ministère, Direction des Affaires Juridiques. La fin des travaux est prévue fin novembre. La ministre des armées s’appuiera sur ceux-ci pour proposer une stratégie spatiale de défense au président de la République.

 

Quelles sont les mesures déjà actées ?

Le premier objectif est d’améliorer nos capacités de surveillance de l’espace. Aujourd’hui, nous arrivons à voir des objets de la taille d’une machine à laver. Il faudrait voir des engins de la taille d’une boîte à chaussures. Nous ne partons pas de zéro : nous disposons déjà du systèmes GRAVES de l’Onera pour l’orbite basse, et des télescopes TAROT du CNRS et GEOTracker d’Ariane Group pour l’orbite géostationnaire (36.000km). Des actions sont déjà en cours pour améliorer nos capacités. La modernisation du système GRAVES est lancée. La ministre des armées a également annoncé que les deux prochains satellites de télécommunications militaires Syracuse 4 seront équipés de caméras de surveillance.

 

 

Et à plus long terme ?

On peut envisager une surveillance depuis l’espace, avec par exemple une constellation de nano-satellites dédiées à ces missions. Il faut également voir ce que nous pouvons faire avec les autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Italie. Le système de surveillance radar Gestra du DLR, l’agence spatiale allemande, pourrait être intéressante et complémentaire d’un système post-GRAVES. On peut aussi envisager des systèmes d’analyse par intelligence artificielle des comportements anormaux dans l’espace.

 

Et le projet de "Space Tugs" d’Airbus, des engins spatiaux capables de déplacer des satellites indiscrets sur des orbites poubelles ?

Nous l’étudions comme d’autres options qui nous permettraient d’améliorer nos capacités d’action dans l’espace. On peut imaginer une solution patrimoniale, mais elle serait chère pour une utilisation hypothétique. L’autre solution est une utilisation duale, civile et militaire, avec des engins qui pourraient être des remorqueurs spatiaux ou des ravitailleurs pour des opérateurs privés.

 

 

Comment évolue le commandement interarmées de l’espace (CIE), que vous dirigez ?

Nous avons développé un "centre opérationnel espace" à Balard, qui permet de suivre la situation en orbite en consolidant les informations obtenues en source ouverte, les données de GRAVES, celles des télescopes TAROT et GEOTracker et celles que nous obtenons de nos partenaires étrangers, en liaison avec le COSMOS de l’armée de l’air et le CNES. L’idée est d’industrialiser ce site pour en faire un vrai centre de commandement de niveau stratégique.

 

Faut-il envisager une armée de l’espace, comme le fait Donald Trump avec son projet de Space Force ?

La réponse américaine à la question de l’importance stratégique de l’espace est à la mesure américaine. Elle n’est pas d’actualité pour la France. En revanche, il semble y avoir consensus sur le fait que nous pouvons mieux organiser l’écosystème du spatial militaire. Il y a aujourd’hui beaucoup d’acteurs : le CIE, le CNES, l’armée de l’air, la Direction du renseignement militaire, la DIRISI (direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'informations de la défense), le COSMOS (centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux). Il est sans doute possible de simplifier et d’optimiser cette organisation. C’est ce qu’a demandé la ministre à Toulouse.

Commenter Commenter

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications