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Culture

La bibliothèque qui fait lire les quartiers populaires

Depuis un an et demi, une association distribue gratuitement des livres dans les quartiers populaires d’Alès, dans le Gard. Une façon de donner une deuxième vie aux livres… et à ceux qui les découvrent.

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    La bibliothèque qui fait lire les quartiers populaires

  • Alès (Gard), reportage

Le hangar doit bien faire une centaine de mètres carrés et ses murs paraissent être constitués de livres. À l’entrée, des tables sont couvertes d’ouvrages à trier, cartons et sacs remplis déploient au sol une mer de couvertures bigarrées. Au fond, les étagères pleines accueillent un classement thématique. « On s’est fait surprendre par l’ampleur qu’a prise notre association, s’étonne encore Joël Baptiste. On n’imaginait même pas avoir à louer un local ! »

Le cinquantenaire a fondé Voyages culturels en mars 2017. Il s’est donné pour mission de collecter des livres, de les trier et de les redistribuer gratuitement dans l’agglomération d’Alès, dans le Gard. Un an et demi plus tard, « on a distribué 20.000 livres », se félicite-t-il.

Joël et Murielle : « Je suis tombé sur un livre qui m’a chamboulé. Aujourd’hui, je ne me rappelle plus lequel c’était. Mais ensuite, j’ai enchaîné, lu tout ce que j’avais à portée de main. »

Joël Baptiste s’est intéressé aux livres sur le tard. Le « déclic » s’est produit il y a 15 ans : « Je suis tombé sur un livre qui m’a chamboulé. Aujourd’hui, je ne me rappelle plus lequel c’était. Mais ensuite, j’ai enchaîné, lu tout ce que j’avais à portée de main. Dolto, Freud, beaucoup de psychologie et de philosophie… J’étais en pleine introspection, cela m’a ouvert aux autres et à moi-même. »

S’ajoute une deuxième prise de conscience, quelques années plus tard, alors qu’il faisait de la brocante : « Des enfants se sont arrêtés devant un carton de livres mais leur mère n’avait pas l’argent alors, je leur ai offert. Je me souviens de leur regard ! Comme j’ai grandi dans les quartiers, j’ai beaucoup d’amis qui ont fondé des associations, j’ai décidé d’en créer une. »

Son petit stock de brocanteur s’est étoffé rapidement grâce à des « boîtes à livres » installées, notamment, dans les médiathèques de l’agglomération. Les particuliers peuvent y déposer les ouvrages qui encombrent leurs étagères, les bibliothèques elles-mêmes sont aussi ravies de lui céder les ouvrages anciens qui doivent laisser place aux nouveaux. « Sinon ça irait au pilon ! » assure-t-il.

Les recueils les plus abîmés sont envoyés au recyclage de papier, voire servent à fabriquer des meubles… comme le comptoir d’une librairie qui va prochainement ouvrir. Les autres sont classés avant d’être « relâchés ».

« Les gens ne prennent pas pour prendre, juste parce que c’est gratuit »

Car régulièrement, Joël Baptiste organise ce qu’il appelle des « lâchers de livres ». Dans un jardin public de la ville d’Anduze (Gard) l’an passé, au lycée d’Alès le mois d’octobre dernier — « plus de mille livres sont partis », assure-t-il —, ou encore au milieu des cités d’Alès avant Noël. Pour ce type d’événements, en plus des stands exposant les ouvrages où chacun peut se servir, un atelier papier cadeau est proposé. « L’an dernier, c’était un sacré succès, on a passé la journée à emballer des livres, les enfants en choisissaient même pour les offrir à leur instituteur ! » témoigne Murielle Mucha, la compagne de Joël. « Devant les stands, les gens discutent, se conseillent, consultent les livres. Ils ne prennent pas pour prendre, juste parce que c’est gratuit », se félicite ce dernier. Un autre objectif de l’association est ainsi atteint : créer du lien.

Mais, « il ne suffit pas d’apporter les livres d’un point A à un point B », aime-t-il à répéter. Avant chaque don de livres, le couple fait une sélection. Des livres de jardinage et de cuisine pour le jardin partagé, sur le jonglage, les animaux, ou même Napoléon pour le foyer de sans-abris. « Ils nous font des listes de ce qu’ils veulent, on leur dépose avec leur nom, cela fait une attention », explique Joël. « À un enfant qui me disait “je n’aime pas la lecture, je n’aime que le foot et la moto”, je lui ai rapporté des livres sur ces thématiques. Il était ravi », raconte Murielle. Les sujets peuvent aussi être plus graves : problèmes conjugaux, toxicomanie, alcoolisme, départ des jeunes en Syrie…

« Lire, à quoi ça sert ? »

Profitant de sa connaissance du réseau associatif local, il essaime des bibliothèques sur le territoire. Ainsi à l’École régionale de la deuxième chance d’Alès, une institution qui vise à former des jeunes éloignés de l’emploi. Sonia, l’une d’entre eux, a fait un stage à Voyages culturels pour accompagner la mise en place. « J’ai demandé aux stagiaires de l’école quels genres de livres ils lisaient, ainsi qu’aux formatrices », explique-t-elle. Les livres peuvent être empruntés — et donc rapportés — ou gardés. Régulièrement, des listes d’ouvrages réclamés par les élèves sont envoyées à l’association, qui les recherche dans son stock.

Bien que les livres soient gratuits, « il a fallu inciter les jeunes à aller les prendre », reconnaît Audrey Lepage, la formatrice de français. Elle se félicite tout de même que certains livres aient plu, et donné lieu à des exposés. « Alors, lire, à quoi ça sert ? » demande-t-elle. Parmi les timides, certains s’avancent : « L’imagination », « le savoir », « apprendre des mots », « l’orthographe », « ça passe le temps aussi ! »

Autre lieu de diffusion à venir, le local servant aux cours d’alphabétisation et aux cours de français, notamment pour les jeunes migrants. Joël leur a proposé de construire avec lui la future bibliothèque. Seulement deux sont présents en ce mardi des vacances scolaires de la Toussaint. « Ils étaient dix hier, mais la pluie les a découragé », s’excuse-t-il. Une douzaine de palettes permet de réaliser un meuble permettant d’accueillir environ 300 livres. Tandis que Joël coupe les planches à la bonne longueur, les deux jeunes s’activent à les poncer. « J’aime les livres sur la politique », indique Ali, 17 ans, venu du Pakistan. Ses gestes sont précis. « J’ai fait un peu de menuiserie », dit-il, dans un français hésitant.

D’autres bibliothèques sont déjà en fonctionnement aux Restos du cœur, à l’aire des gens du voyage, dans divers centres associatifs des communes alentour, dans une association d’aide aux devoirs et d’échanges culturels. Petit à petit, elles créent un autre rapport au livre, sur un territoire affichant un taux de pauvreté deux fois supérieur à la moyenne nationale. Pour l’instant, les institutions locales suivent, acceptant petit à petit de subventionner l’association. « Les bibliothèques, c’est compliqué d’emprunter et rendre à temps, les librairies, c’est cher. Mais ce que l’on espère c’est que les gens prennent goût aux livres avec nous, puis fassent la démarche d’y aller », indique Murielle.

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