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"De vos propres yeux", une web-série au coeur des camps de réfugiés
La deuxième saison de cette web-série lancée par Solidarités international est diffusée depuis le 6 novembre.
"De vos propres yeux"

"De vos propres yeux", une web-série au coeur des camps de réfugiés

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Pour toucher un public plus large et faire connaître leur action, certaines ONG testent de nouveaux formats de communication. La web-série "De vos propres yeux" de Solidarités international emmène des célébrités, rappeurs, humoristes et écrivains, dans des camps de réfugiés. La saison 2 est diffusée avec Donel Jack'sman.

Quand une sage-femme travaille seule dans un camp de réfugiés de plusieurs milliers de personnes, chaque accouchement est un pari. Et ça, l'humoriste Donel Jack'sman, nouveau phénomène du stand-up plus habitué aux plateaux de Laurent Ruquier et aux planches de la Nouvelle Eve qu'aux zones de conflit, ne l'avait pas vraiment prévu. A Gado, sur les 260.000 réfugiés que compte le Cameroun, 25.000 s'entassent dans un immense camp. Ils ont fui le conflit qui fait rage dans le pays voisin, la République centrafricaine, depuis 2013. Pour eux et pour l'heure, le retour est inenvisageable.

Donel Jack'sman a accompagné l'ONG Solidarités International, spécialisée dans les interventions dans les terrains les plus reculés, durant une dizaine de jours. Une expérience qui fait l'objet d'un web documentaire diffusé depuis le 6 novembre, "De vos propres yeux", et destinée à faire découvrir le travail des ONG sur le terrain, à travers le regard d'une personnalité qui fait office de "Candide". Ici, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. La femme qui accouche est une adolescente de quinze ans, sans doute violée lors de la longue marche qui l'a menée ici: "Ce sont des situations terribles. Et puis ces jeunes femmes, traumatisées, rejettent leur premier enfant." Lui qui jusque-là plaisantait pour détendre l'atmosphère, demande à sortir un moment avant de revenir. C'est un des moments les plus forts de cette mini-série, où l'on rencontre aussi bien des personnes déplacées que des membres de l'ONG, spécialistes de l'assainissement de l'eau et du bâtiment, coordinateurs, professeurs, expatriés ou locaux: "Je redoutais un peu le côté paternaliste blanc, et je me suis aperçu que 90% du personnel était africain. Il y a un très bon équilibre."

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Don de soi

Ce monde de l'humanitaire, Donel Jack'sman, trente-sept ans, ne le connaissait pas. Pas plus que cette région du Cameroun, pays où il est né et qu'il a quitté très jeune: "Ce séjour m'a beaucoup secoué, et à plusieurs niveaux. Je n'ai pas pu m'empêcher de me projeter. Si ma mère n'avait pas tout fait pour que nous quittions le pays, ce qui était très difficile à l'époque, j'aurais pu vivre des situtions similaires. Cela fait énormément relativiser." Et comme beaucoup de gens aujourd'hui, il s'en méfiait, assimilant les ONG aux scandales de détournement d'argent et d'abus sexuels qui les ont secouées ces dernières années: "C'est très difficile pour elles d'exister, on n'est plus à l'époque de "We are the world", des chansons pour l'Ethiopie et de Coluche. La société est devenue très individualiste. Nous, désormais, quand on a cent euros, on achète une paire de Nike et on va la mettre sur notre story Instagram." '

Instagram dont il s'est servi, durant son séjour à Gado, pour raconter ce que faisaient les humanitaires à ses milliers de followers: "Ce sont eux les vrais héros ! J'ai un confort d'occidental, d'artiste, c'est cool pour moi, et là je me suis retrouvé à pouvoir constater le don de soi quotidien des employés d'ONG, mais aussi des gens sur place. Le chef du village que l'on voit dans le documentaire a proposé sans hésiter son terrain pour le camp, alors qu'ils étaient 5000 à y vivre. La population a quintuplé. Quand je suis parti il m'a dit : il me reste trente kilomètres carrés, si d'autres arrivent on les acueillera car un jour ce pourrait être notre tour."

"Nous, désormais, quand on a 100€, on achète une paire de Nike pour les mettre sur notre story Instagram"

Pour le directeur général de Solidarités, Alexandre Giraud, toucher un nouveau public, le sensibiliser à l'action humanitaire, est essentiel : "Faire comprendre notre travail demande de passer par de nouveaux moyens de sensibilisation. L'écueil des campagnes est soit d'apparaître comme des techniciens soit d'être sur un mode larmoyant. Là, en prenant une personnalité publique, habituée à faire passer des messages, on peut montrer notre quotidien sans verser dans le pathos." Avant Donel Jack'sman, c'est le rappeur Féfé qui s'était rendu, au mois de mars, dans le nord-est du Nigéria, à Maiduguri, là où sévissent les islamistes de Boko-Haram: "La situation sécuritaire était très tendue, raconte-t-il. Nous étions bunkerisés, avec interdiction de sortir le soir, évidemment. Pendant mon séjour il y a eu deux bombardements et des femmes kamikazes qui se sont fait exploser en ville."

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Donel Jack'sman, Féfé, Faïza Guène...

Lui aussi se méfiait de l'humanitaire: "je me disais que l'argent qui était donné n'allait pas forcément aux gens à qui il était destiné, je craignais les magouilles. Et là j'ai vu qu'ils étaient tous les jours sur le terrain, j'avais parfois l'impression que l'on pansait une plaie ouverte, mais je me disais "heureusement qu'ils sont là". Ce qui m'a impressionné c'est leur rapport à leur travail. Ils ne se voient pas comme des héros : c'est leur boulot. C'est aussi ce qui leur permet de ne pas se laisser submerger par leurs émotions. Ils voient des choses très dures tous les jours. Moi qui ai grandi dans une cité, quand j'ai vu ce que les gens vivaient là-bas, dans mon pays d'origine, je me suis dit "ok, chez nous ça va..." Lui qu'on qualifie d'"artiste engagé" aime à rappeller que les "gens qui sont vraiment engagés, ils bossent dans les associations !" "L'initiative de Solidarités est fraîche, j'espère qu'elle va susciter des vocations".

Lui en a suscité une, en tout cas, celle de l'écrivain Faïza Guène (Kiffe kiffe demain, Un homme, ça ne pleure pas), rencontrée lors d'une émission de radio en compagnie de celle qui accompagne ces passeurs sur le terrain, Anaïs : "J'ai discuté avec elle, puis j'ai regardé la série de Féfé, ça m'a branché et j'ai donné ma réponse en septembre. Nous devons partir en janvier, normalement en Haïti." Contrairement à ses deux prédécesseurs, hommes de communication, Faïza Guène confie être un peu sauvage, et appréhender aussi bien les situations qu'elle rencontrera que sa capacité à faire passer le message et à être mise en avant. Une humilité assez rare dans une monde d'hyper exposition médiatique: "j'ai été très touchée que l'on pense à moi. C'est difficile de trouver sa place, savoir s'effacer tout en faisant passer un message. Mais justement, de la part de Solidarités c'est une très bonne idée de le faire à travers le regard de quelqu'un."

Nouveau type de communication

Une stratégie de communication essentielle pour Solidarités International, confronté à la concurrence des ONG les plus importantes pour l'obtention des fonds: "Nous dépendons des dons, des institutionnels et de l'UE, c'est de plus en plus tendu, souligne Alexandre Giraud. Le soutien du grand public est indispensable. Nous sommes, sur le terrain, face à des situations inédites et extrêmement graves, les conflits s'enlisent et il devient de plus en plus difficile de faire la différence entre l'aide d'urgence et le développement. Faire vivre l'engagement humanitaire, susciter de nouvelles vocations, cela passe par ce type de communication, des formats courts qui permettent de toucher un public plus jeune et plus divers."

>> La saison 2 de la série, avec Donel Jack'sman au Cameroun, est diffusée depuis le 6 novembre sur le site devospropresyeux.org

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne