Comment transmettre la mémoire de la Première Guerre mondiale ?

Face au monument aux morts de Fleury-devant-Douaumont, dans la Meuse (un des 36 000 en France). Ce village fut détruit en 1916 pendant la bataille de Verdun, sans être reconstruit. ©Maxppp - Joris Bolomey / L'Union de Reims
Face au monument aux morts de Fleury-devant-Douaumont, dans la Meuse (un des 36 000 en France). Ce village fut détruit en 1916 pendant la bataille de Verdun, sans être reconstruit. ©Maxppp - Joris Bolomey / L'Union de Reims
Face au monument aux morts de Fleury-devant-Douaumont, dans la Meuse (un des 36 000 en France). Ce village fut détruit en 1916 pendant la bataille de Verdun, sans être reconstruit. ©Maxppp - Joris Bolomey / L'Union de Reims
Publicité

Les commémorations du centenaire de Première Guerre mondiale arrivent à leur terme dimanche avec une célébration de l'Armistice du 11 novembre 1918. Des commémorations pour ne pas oublier ce cataclysme au fil des générations. Mais comment transmettre aujourd'hui cette mémoire ?

Avec
  • Clémentine Vidal-Naquet Historienne, maîtresse de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne-Amiens, spécialiste des relations conjugales pendant la Première Guerre mondiale

Alors que les commémorations du centenaire de la Grande Guerre s’achèvent, depuis un siècle, le souvenir de ce conflit se transmet de génération en génération. A travers l'enseignement, les récits familiaux, les archives et les projets pédagogiques, la guerre se raconte et se décrit. 

Des trésors au fond d'un placard

A l'occasion du centième anniversaire de l'Armistice de 1918, les Archives nationales organisent une dernière Grande Collecte dédiée à la Grande Guerre. Les deux premières éditions ont permis aux Archives de récupérer plus de 325 000 documents, aujourd'hui en grande partie numérisés. Des souvenirs de familles, parfois oubliés et retrouvés à l'occasion d'un déménagement ou de la mort d'un proche. Si certains propriétaires ne savent toujours pas quoi en faire, d'autres y tiennent et redoutent la perte de ces objets et documents. 

Publicité

C'est le cas de Françoise Auricoste, fille de "poilu". Âgée aujourd'hui de 92 ans, elle a récemment quitté sa maison de Normandie pour se réinstaller à Paris. Dans ses cartons, des dizaines de dessins de son père, Daniel Girard. 

Né en 1890, ce jeune étudiant en droit fait son service militaire en 1912 avant d'être directement envoyé au front. Il reste sept ans sous les drapeaux, jusqu'en juillet 1919. Affecté comme agent de liaison cycliste, il rejoint ensuite les tirailleurs algériens en 1917. Mais en parallèle de ses missions de soldat, Daniel Girard s'adonne au dessin. "La guerre va devenir son école d'art" explique sa fille Françoise. Le poilu croque les scènes de combat mais aussi la vie quotidienne, les petits et grands maux des soldats, les terribles attaques au gaz et les moments de légèreté en permission. A l'aquarelle ou à la gouache, Daniel Girard développe sa technique tout au long du conflit, les esquisses deviennent peu à peu des dessins colorés et très souvent accompagnés d'une légende humoristique.

Françoise Auricoste et sa sœur Claude Baudoin décident aujourd'hui de faire don de ces quelques 200 dessins aux Archives nationales afin qu'ils soient conservés mais également partagés. Un honneur pour Françoise, ancienne professeure d'histoire. 

En tant que simple historienne locale, je me suis rendue compte que lorsque l'on gardait des témoignages intéressants dans les familles, à la troisième génération, ils étaient fichus et spécialement dans les campagnes. Les chutes d'eau, les souris, l'humidité, tout cela fait disparaître ces documents. C'est pour cela que je suis contente et très honorée que ce témoignage aille aux archives pour justement que plus tard, pas seulement les historiens mais tout ceux qui veulent s'intéresser au passé pour comprendre le futur puissent les consulter.

Plusieurs dizaines de lettres et de photos accompagnent ce don. Des images de Daniel lui-même en tenue miliaire mais également plusieurs petites photos de marraines de guerre, parfois peu vêtues, que l'ancien "poilu" devenu illustrateur cachait discrètement dans un dossier au fond d'une grande armoire. 

"Analyser la guerre du point vue de l'intime permet de la rendre plus concrète"

A l'instar de ces photos, ces archives familiales permettent d'entrer au cœur du conflit en retraçant aussi la vie à l'arrière, le quotidien des femmes et des enfants, des sœurs et des parents dont la vie est profondément bouleversée. L'historienne Clémentine Vidal-Naquet, auteure de l'ouvrage " La Grande Guerre des Français : à travers les archives de la grande collecte", souligne l'importance des correspondances dans les familles pendant la guerre et l'envoi massif du courrier. Des millions de lettres sont ainsi échangées entre le front et l'arrière. Pour la première fois, la guerre s'écrit et se raconte. Ces histoires individuelles sont autant de mines d'or pour les historiens. 

Clémentine Vidal-Naquet, historienne, spécialiste de la Première guerre mondiale
Clémentine Vidal-Naquet, historienne, spécialiste de la Première guerre mondiale
© Radio France - Julie Pacaud

"Regarder la guerre via le sensible et l’intime permet de saisir l’ampleur de la déflagration"

4 min

Regarder la guerre du point de vue des expériences vécues, de l’intimité bouleversée par le conflit, des couples, des familles, des combattants, nous permet de comprendre très concrètement ce que la guerre fait aux hommes et aux femmes. Les historiens analysent des pratiques mais ils analysent aussi des expériences qui passent par le sensible et l’intime. Pour les jeunes générations, il est important de passer par ce caractère très concret de la guerre. J’ai constaté en tant qu'enseignante dans le secondaire que l’identification avec ces combattants ou ces familles n’était pas si compliquée à opérer dès lors que l’on ne regardait pas la guerre simplement du point de vue de l’histoire militaire mais aussi du point de vue de l’expérience des populations et des sociétés.

Une fois numérisées, certaines archives sont mises en ligne sur des sites accessibles au grand public et sont fréquemment utilisées à des fins pédagogiques, dans des manuels scolaires ou des projets pédagogiques plus innovants. 

Dans la peau d'un jeune Breton au début du XXe siècle

Développé par les Archives d’Ille-et-Vilaine, le docgame Classe 1914 est un jeu pédagogique et interactif. L'élève doit y choisir un personnage, Pierre, Louis, Marie ou Eugénie, des jeunes enfants nés à la fin du XIXe siècle en Ille-et-Vilaine qui voient leur vie bouleversée à mesure que la guerre arrive. A travers ce jeu, les enfants doivent faire des choix et accèdent à des archives qui racontent le conflit mais également le contexte politique et social de l'époque. Un outil qui a immédiatement séduit Katell Bazin, enseignante en classe de CM2 à l'école Pierre-Jakez Hélias à La Mézière.

Le doc game Classe 1914 étudié à l'école primaire de La Mézière, en Ille-et-Vilaine
Le doc game Classe 1914 étudié à l'école primaire de La Mézière, en Ille-et-Vilaine

"Grâce au doc game, tous les élèves ont réussi l’évaluation"

2 min

En tant qu’enseignante, je n’ai pas une grande appétence pour l’enseignement de la guerre. Le docgame était aussi une façon de me motiver. Mais il est surtout très motivant pour les élèves. Ce docgame permet aux enfants de choisir un personnage et de suivre son parcours. C’est un jeu très bien fait avec des documents d’archives et donc de vrais objectifs pédagogiques derrière. J’ai pu constater lors de ma première évaluation que tout le monde avait réussi. Ils avaient tous compris, même les élèves les plus fragiles. 

Sur Facebook et Twitter, Classe 1914 a aussi permis de suivre quasiment au jour le jour la vie de Victor Boulande pendant la guerre 1914-1918. Son quotidien de soldat en France, sur le front d'Orient mais aussi sa difficulté à vivre sans aide familiale. Le docgame doit son titre à cette phrase inscrite par Victor sur une carte de « Bonne année ».

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Le rôle de la Mission du Centenaire

Créée en 2012, la Mission du Centenaire labellise, accompagne et finance de nombreux projets pédagogiques en milieu scolaire. Des projets qui vont de l'implication des élèves lors des cérémonies commémoratives sur les hauts lieux de mémoire à l'organisation d'actions nationales comme le " Concours des petits artistes de la mémoire", organisé par l'Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ONACVG) et qui vise à "préserver et transmettre aux plus jeunes la mémoire des combattants de la Grande Guerre." 

Au total, 1923 projets en milieu scolaire ont été labellisés et accompagnés par ce Groupement d’Intérêt Public. Une effervescence commémorative qui laisse certains professeurs dubitatifs, comme Bernard Girard, qui a enseigné l'histoire dans le secondaire. 

Une classe de CM2 de l’école primaire de Bois Lemaître, à Marseille, travaille sur la Première guerre mondiale
Une classe de CM2 de l’école primaire de Bois Lemaître, à Marseille, travaille sur la Première guerre mondiale
© Maxppp - Franck Pennant / La Provence

Le devoir de mémoire ? Les gens d’aujourd’hui n’ont aucun devoir, aucune obligation par rapport aux gens du passé. En terme de compréhension du sujet, je ne vois pas ce que le Centenaire peut apporter de plus aux élèves. J’ai même l’impression que cela leur ôte une faculté de compréhension et d’esprit critique. J’imagine mes gamins au monument aux morts, dans un décorum assez particulier. Que peuvent-ils comprendre de l’événement à ce moment-là ?

"J'ai même l'impression que le centenaire ôte aux élèves une faculté de compréhension, d'esprit critique"

8 min

Tout en reconnaissant l'importance du travail réalisé par la Mission du Centenaire, ce professeur regrette que certaines questions ne soient pas correctement abordées selon lui : 

Un siècle après l’événement, on persiste à présenter le sacrifice du soldat comme si c'était quelque chose de naturel mais aucun soldat n'est allé à la mort volontairement. On n'est pas mort pour la patrie ou pour la France, on est mort parce qu'on n'avait pas le choix.

L'équipe