«Cher trésor adoré…» Quand les lettres des Poilus étaient publiées dans la presse

La Bibliothèque nationale de France partage avec Le Parisien quelques échanges représentatifs de l’état d’esprit des soldats à la veille du centenaire de l’armistice de la Grande Guerre.

 Certaines correspondances se sont montrées très poétiques, et coquines !
Certaines correspondances se sont montrées très poétiques, et coquines ! BNF/Le Ver Luisant 1er janvier 1918

    Quatre ans d'horreur, de visions macabres et de sang qui coule. Mais aussi des heures à attendre dans les tranchées, des moments d'ennuis, de doutes, puis de réconfort au moment de lire les mots de sa bien-aimée, son frère ou sa marraine. Certains soldats de la Première Guerre mondiale se sont même montrés poètes dans la douleur, au moment de partager leurs pensées avec leurs proches. Leurs essais, ceux qui n'étaient pas censurés, se sont souvent retrouvés dans la presse de l'époque, comme une chronique de la Grande Guerre, vue de l'intérieur.

    A la veille de la célébration du centenaire de l'armistice, RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF), nous ouvre ses archives afin de picorer dans ces écrits d'où jaillissaient parfois l'espoir, l'amour et l'humour !

    « Lorsque tu reviendras, je te gâterai de caresses… »

    « C'est vêtu comme un ours […] ça attend sa marmite […] C'est informe, innommable et souvent plein de poux. C'est un poilu, madame… et c'est votre époux ! » Ce 18 août 1916, le journal Le Radical publie en brève ces quelques lignes d'un homme à qui le front n'a visiblement pas enlevé sa taquinerie.

    Tout comme celui-là, un certain Paquito, dont la lettre à sa douce - en colère - est publiée dans Le XIXe siècle : « Chère petite femme, ta dernière lettre m'apprend que la Censure a mis le nez dans ta correspondance et je crois deviner, à te lire, combien tu es ennuyée de cet accident et péniblement surprise de voir ainsi violer notre intimité et nos tendres secrets… Hélas, Mienne chérie, […] c'est la guerre ! Il n'y a plus à s'étonner de rien », écrit d'abord le soldat, qui poursuit en imaginant, avec humour, que le censeur est peut-être un ecclésiastique choqué de leurs manifestations de tendresse… Et d'en conclure sa lettre en pied de nez à son potentiel lecteur intrus : « Cher trésor adoré, écris-moi toujours de bien amoureuses missives qui me sont ici le meilleur souvenir des heures de bonheur que nous avons vécues. Je te répondrai toujours. Et la peste soit sur le censeur ! Reçois, à sa barbe, les plus doux baisers de ton mari qui t'adore. »

    Avec une telle relecture, les coquineries doivent être discrètes, et imagées. « Lorsque tu reviendras de tes froides tranchées, de tes boyaux sanglants, ô mon pauvre adoré, pour te faire oublier tes rudes chevauchées, tes douleurs, ton cafard, ce calvaire abhorré, que je te gâterai de suaves caresses, que je te donnerai tous mes soins les plus doux, revivant en un jour nos premières ivresses en te couvrant, chéri, des baisers les plus fous ! » Bien qu'intitulé « Lettre d'une femme à son mari », ces quelques phrases publiées dans Le Ver Luisant en janvier 1918 ne sont que l'expression du fantasme d'un soldat poète, le sergent André Soriac, reconnu à l'époque par ses pairs pour la musique de ses mots.

    Parfois, les écrits enthousiastes des soldats sont détournés pour faire la propagande d'une guerre qui dure… Comme ce 23 février 1916 dans Le Matin, dans une compilation de morceaux choisis intitulée « La confiance de nos soldats ».

    « Du fond des tranchées, nous jugeons… »

    « Note bien que si, pour avoir la victoire, il fallait encore se lancer dans la fournaise, nous sommes toujours prêts à y entrer ! » aurait ainsi écrit l'un d'eux. Et l'article de conclure : « Chacun, suivant son tempérament, exprime sa foi imperturbable en l'avenir de la patrie. »

    Quelques réflexions politiques filtrent toutefois. Comme ce 7 décembre 2015 dans le journal Le Siècle : « Du fond des tranchées, nous jugeons les événements de notre politique extérieure en nous éloignant, chaque jour davantage, du point de vue qui semble prédominer dans les milieux gouvernementaux. […] La plus abominable violence est déchaînée contre nous […] En dépit des conventions internationales qu'elle avait signées, l'Allemagne emploie contre nos soldats des gaz asphyxiants, elle maltraite les prisonniers de guerre, leur donne une nourriture insuffisante, les contraint à des travaux de défense contre nous-mêmes […] et pourtant dans les sphères dirigeantes de Paris, on affecte des scrupules pour user de représailles ou tirer parti de toutes les armes qui peuvent concourir à notre défense », accuse un homme qui signe « L'Ancien ».

    Et certains de partager leur réjouissance de la fin de la guerre, comme ce soldat en permission qui écrit à un camarade resté au front : « Je regrette presque d'avoir eu ma permission au moment de la victoire. J'aurais voulu être avec vous, pour entendre chuinter le dernier obus et claquer la dernière balle de mitrailleuse. […] Nous aurions trinqué ensemble. […] Comme j'ai pensé à vous en lisant les journaux… […] Vraiment oui, vous avez dû être heureux. L'ennemi capitule. Nous avons la victoire complète. Et vous y entrerez, en Allemagne, Parbleu ! »