Sciences : La pollution vue au travers des toiles de maître

Sciences  : La pollution vue au travers des toiles de maître

    Savez-vous que les chef d'oeuvre de la peinture peuvent faire avancer la recherche scientifique ? C'est en tous cas ce que montre une étude de Christos Zerefos, spécialiste des sciences atmosphériques à l'Académie d'Athènes, publiée dans la revue spécialisée Atmospheric Chemistry and Physics.

    Avec son équipe, le scientifique a passé au crible, non pas des pierres ou des végétaux, mais des tableaux de grands maîtres ! Objectif : analyser la présence de cendres, de gaz volcaniques ou d'autres polluants en suspension dans l'air grâce à l'analyse des teintes des paysages de centaines de tableaux réalisés au cours des cinq derniers siècles.

    Les ciels de Turner, révélateurs des éruptions volcaniques de son temps

    Célèbre pour sa maîtrise des couleurs, le peintre britannique de la lumière, William Turner (1775-1851), disait : «Je n'ai pas peint cela pour que ce soit compris, mais pour montrer à quoi ressemble un tel spectacle». En toute logique, les scientifiques se sont particulièrement intéressés à son oeuvre, non seulement parce que le peintre était en vie lors de trois éruptions majeures (en Indonésie en 1815, aux Philippines en 1831 et au Nicaragua en 1835) mais aussi parce que ses couchers de soleil et leurs tons rougeoyants sont particulièrement révélateurs de la cendre et des gaz émis par des éruptions volcaniques majeures, assurent les chercheurs.

    L'exemple le plus frappant concerne l'irruption du Tambora,en Indonésie, dont Turner a été, probablement sans le savoir, le témoin éloigné. En effet, cette éruption, la plus meurtrière de l'histoire, fut si importante que les cendres furent propulsées jusqu'à plus de 40 kilomètres d'altitude et firent plusieurs fois le tour de la Terre. La catastrophe a fait quelque 10 000 victimes directes et on estime que des dizaines de milliers d'autres ont péri de ses répercussions sur le climat.

    Cet immense «voile», qui contribua à une «année sans été» avec une chute des températures généralisée (0,5°C à 1,0°C en moyenne dans l'hémisphère nord) et des récoltes en nette baisse, est visible dans les spectaculaires couchers de soleil rouges et orangés de Turner, notamment dans «Didon construisant Carthage», exposé au National Gallery de Londres :

    Autre exemple : en regardant bien cette toile, «Le Lake, Petworth », le Pr. Zerefos a noté la présence d'un voile nuageux et jaune dans le ciel. Pour lui, ces couleurs montrent que quelque chose était en train de se passer dans l'atmosphère :

    Degas, témoin de l'éruption du Krakatoa

    Autre peintre témoin : Edgar Degas, qui a représenté sans le savoir les conséquences atmosphériques de l'explosion du Krakatoa indonésien en 1883. Celles-ci sont visibles dans les toiles peintes dans les deux années suivant la catastrophe, selon l'étude.

    Les indices de pollution : les verts et les rouges

    Ce qui est incroyable dans ce constat des scientifiques, c'est que ces transformations atmosphériques ont été peintes par des artistes sans qu'eux même ne s'en soient rendus compte. En cause : une subtilité de notre du cerveau : «Dans la coloration des couchers de soleil, c'est la façon dont le cerveau perçoit les verts et les rouges qui renferme des informations importantes sur l'environnement», explique le Pr Zerefos dans un communiqué de l'Union européenne des géosciences. Les particules en suspension dans l'air ont en effet la faculté de dévier une partie des rayons du Soleil, modifiant les nuances du spectre lumineux visible par l'oeil humain et du même coup celui retranscrit sur la toile par les peintres.

    Or, ce phénomène s'observerait dans des centaines de couchers de soleil peints entre 1500 et 2000, témoins potentiels d'une cinquantaine d'éruptions volcaniques majeures de par le monde. «Nous avons découvert que le rapport entre la proportion de rouges et la proportion de verts dans les crépuscules peints par les grands maîtres correspond bien avec la quantité d'aérosols volcaniques dans l'atmosphère» à un moment donné, quel que soit le peintre ou son style, affirme ainsi le chercheur. Ces observations sont cohérentes avec celles effectuées directement sur le lieu des éruptions ou l'analyse des couches de glace contemporaines de ces événements, précise l'étude.

    Le peintre Panayiotis Tetsis confirme cette méthode d'analyse

    Pour confirmer la validité de leur modèle, les chercheurs ont demandé à un coloriste réputé de peindre des couchers de soleil pendant et après le passage d'un nuage de poussières venu du Sahara au-dessus de l'île grecque d'Hydra, en juin 2010.

    Le peintre post-impressionniste en question, Panayiotis Tetsis, n'avait pas été averti du passage de ce nuage de poussières. Et pourtant, l'estimation de la teneur en aérosols découlant de l'analyse colorimétrique de ses paysages correspond bien aux prélèvements atmosphériques effectués durant le phénomène.

    Autrement dit, cette méthode d'analyse des tableaux peut être utilisée directement dans les modèles climatiques pour avoir une idée plus précise de la façon dont les aérosols et les pollutions atmosphériques ont affecté le climat au cours des siècles derniers. C'est «une autre façon d'exploiter les informations environnementales sur l'atmosphère dans des endroits et des siècles où les instruments de mesure n'étaient pas disponibles», résume Christos Zerefos.