En Grèce, la séparation progressive de l'Eglise et de l'Etat

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En Grèce, la séparation progressive de l'Eglise et de l'Etat

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Les quelques 10 000 popes qui forment le clergé, les évêques et archevêques qui vont avec, ne seront plus désormais des fonctionnaires de l’Etat. Le 1er ministre Alexis Tsipras est ici au centre
Les quelques 10 000 popes qui forment le clergé, les évêques et archevêques qui vont avec, ne seront plus désormais des fonctionnaires de l’Etat. Le 1er ministre Alexis Tsipras est ici au centre
© AFP - Gali Tibbon

Ce n’est pas encore la séparation que le candidat Tsipras avait promis lors de sa campagne électorale de 2014, mais l’accord historique entre l’Église orthodoxe grecque et le gouvernement du Premier ministre ressemble fort à un premier pas dans cette direction.

Dans le cadre de la révision constitutionnelle menée par le gouvernement grec, l'Église orthodoxe et l'Etat, jusqu'alors intimement liés, se dirigent petit à petit vers une séparation souhaitée par 56,7% des Grecs interrogés. Fruit de trois ans de négociations, l'accord entre Alexis Tsipras et l’archevêque Ieronymos a été présenté ce mardi. Il doit encore être approuvé en conseil des ministres et par un synode avant d’être voté au Parlement.

Ce changement est historique dans ce pays dont la Constitution est écrite "Au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible".

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L’Archevêque Ieronymos durant la prestation de serment du Président grec Prokopis Pavlopoulos à Athènes en 2015
L’Archevêque Ieronymos durant la prestation de serment du Président grec Prokopis Pavlopoulos à Athènes en 2015
© AFP - ARIS MESSINIS / POOL

La fin du clergé fonctionnaire

Le gouvernement de gauche d'Alexis Tsipras a fait un premier pas pour assurer des rôles "distincts" à l'Etat et à la toute-puissante Église orthodoxe, en annonçant des mesures pour assurer l'autonomie financière de cette dernière, une question chronique dans le pays. Liée historiquement et politiquement à l'Etat depuis son indépendance en 1821, l'Église orthodoxe bénéficie d'une série d'avantages dont le plus controversé consiste à avoir un clergé fonctionnaire, rémunéré par l'Etat. Une situation qui doit évoluer selon le Premier ministre Alexis Tsipras :

"Notre objectif est de fixer un cadre pour régler les questions en suspens mais aussi de renforcer l'autonomie de l'Église vis-à-vis de l'Etat, tout en reconnaissant son rôle historique."

Les quelques 10 000 popes qui forment le clergé, les évêques et archevêques qui vont avec, ne seront plus désormais des fonctionnaires de l’Etat. Ils seront directement rémunérés par l’Église qui recevra une fois par an des fonds pour régler leurs salaires. Avec une enveloppe calculée sur les salaires actuels du clergé de 200 millions d'euros qui n’évoluera pas si jamais le nombre des popes augmentait.

Des prêtres orthodoxes célèbrent Pâques
Des prêtres orthodoxes célèbrent Pâques
© AFP - ARIS MESSINIS

Les biens de l'Église partagés

Les biens de l’Église, l'un des plus gros propriétaires foncier du pays, seront placés dans un fonds d'exploitation des biens ecclésiastiques qui doit permettre leur revalorisation. Ce fonds sera dirigé par un conseil d’administration à cinq membres : deux nommés par l’Eglise, deux nommés par l’Etat et un membre nommé en commun par l’Eglise et l’Etat. Il sera chargé de la gestion et la mise en valeur des biens dont la propriété est contestée entre l’Eglise et l’Etat depuis 1952, mais aussi des biens ecclésiastiques que l’Eglise pourrait volontairement céder au fonds. Les bénéfices obtenus seront partagés à parts égales avec l’Etat.

La question des biens de l'Église et des avantages fiscaux découlant de son statut et de ses liens avec la société et la classe politique a soulevé de nombreuses critiques pendant la dernière décennie de crise, alors que le pays se débattait dans les politiques d'austérité imposées par ses créanciers et que les Grecs s'appauvrissaient sans cesse. Même si elle a cédé une partie de ses biens à l'État en 1987. 

Pour le porte-parole du gouvernement, Dimitris Tzanakopoulos, il s'agit d'une cause nationale :

Le gouvernement appelle tous les partis politiques à soutenir cette initiative importante visant à régler l'une des questions les plus compliquées (...) de l'histoire du pays.

Sur décision du Conseil d'Etat, l’Église devra aussi désormais payer la taxe foncière unique (ENFIA) pour tous ses biens qui ne sont pas des lieux de culte. Les bénéfices commerciaux de l'Église seront eux soumis à l'impôt sur le revenu, ce qui était déjà le cas mais avec beaucoup d'exceptions à la règle.

La place historique de l'Église en Grèce

En 1821, la Grèce, alors sous le joug de l'Empire Ottoman, entame une guerre d'indépendance qui prend corps sous la forme d'un combat entre chrétiens orthodoxes et envahisseurs musulmans. De nombreux religieux s'illustrent alors en bénissant les combattants et, pour certains, en prenant eux-mêmes les armes. Qu'il soit fantasmé ou réel, le rôle de l'Église orthodoxe dans l'accession à l'indépendance du pays tient une place prépondérante dans l'imaginaire collectif grec. Ainsi, l’article 3 de la Constitution proclame : "La religion dominante en Grèce est celle de l’Église orthodoxe orientale du Christ." 

Une église construite sur l’île de Santorin
Une église construite sur l’île de Santorin
© AFP - LOUISA GOULIAMAKI

Un long processus de séparation

Avant même la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle et cet accord entre l'Église et l'Etat grec, des avancées ont eu lieu dès 2001.  A cette époque, un amendement adopté par le Parlement avait mis fin à une pratique alors répandue : la construction de chapelle sur des terrains privés permettant d'exonérer d'impôts les "cellules de recueillement" attenantes... Des "cellules" prenant la forme de maisons luxueusement aménagées, bien loin d'un quelconque ascétisme religieux. 

En 2008, les cours de religion, n'ayant trait qu'à l'orthodoxie et jusqu'alors obligatoires, deviennent facultatifs.

Pour autant, l'imbrication entre Église et Etat étant profondément ancrée dans la société grecque, de nombreux symboles religieux ne sont pas près de disparaître : la croix qui surmonte le drapeau national, les icônes religieuses présentes dans les tribunaux, hôpitaux, prisons et autres édifices publics.

Cet accord intermédiaire apparaît néanmoins comme un pas indispensable en vue d'une séparation plus formelle encore entre l'Église et l'Etat.

Le statut de l'Église grecque au cœur de la révision constitutionnelle

Cet accord historique en 15 points, favorablement accueilli par la presse, s’est fait dans le cadre de la révision constitutionnelle engagée par Alexis Tsipras. 

L'annonce gouvernementale intervient trois mois et demi après la sortie du pays de la stricte tutelle de ses créanciers, UE et FMI, à la fin du troisième programme d'ajustement de son économie en août, et à moins d'un an des élections législatives, prévues pour septembre prochain.

La question du statut de l'Église grecque est au cœur du débat actuel sur la révision constitutionnelle, qui s'ouvrira prochainement au Parlement avec en ligne de mire l'article 3, qui stipule que l'orthodoxie est la religion "dominante", un principe contesté par de nombreuses ONG des droits de l'homme. La religion orthodoxe est la seule autorisée à faire du prosélytisme.

Sur ce sujet, Alexis Tsipras, dont le parti suggère l'introduction du principe de "neutralité de la religion", a assuré par avance l'archevêque que "les changements relatifs à cet article viseront "à améliorer le rôle distinct de l'Église en renforçant son autonomie et reconnaissant sa contribution à la naissance et la formation de l'identité de l'Etat grec".