11 novembre 1918 : quand l'homosexualité était qualifiée de « vice allemand »

Publié le

Il y a un siècle aujourd'hui, la France et l'Allemagne mettaient fin à l'une des guerres les sanglantes de l'Histoire. Dans le grand récit national, des survivants sont revenus en héros et d'autres ont été oubliés : les femmes, les victimes du colonialisme et les personnes LGBT+.

vice allelmand
Photo d'archive

Ils sont dans tous les villages, ces monuments aux morts, montés de palmes et d’ex-voto. La Nation rend tous les ans hommage à ces centaines de milliers de noms tombés pour la France et affublés du sobriquet « poilus ». Et pourtant. De nombreuses réalités ne figurent pas au tableau d’honneur.

Dans l’histoire du XXème siècle, les historiens et historiennes s’accordent pour dire que les guerres dessinent les contours des genres plus que n’importe quoi d’autre. Dans Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), les spécialistes Luc Capdevila, François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman sont revenues sur le bouleversement de la guerre 14-18 dans les rapports entre hommes et femmes. 

Alors que grand nombre d’hommes et de garçons, trouillards ou courageux, étaient obligés de faire montre de virilité sur le front, les femmes, elles, devaient occuper les postes d’ouvrières, tenir les fermes, gagner de quoi faire chauffer la marmite, dans une ampleur encore jamais vue.

Bien qu’en 1914 les femmes n’avaient pas le droit de porter des armes, les historiens et historiennes rapportent que beaucoup d’entre elles, engagées volontaires, regrettaient de ne pas prendre part au combat, quand d’autres payaient un plus lourd tribu à leur courage, parce qu’elle étaient femmes (l’espionne Mata Hari, par exemple).

Bien que l’on se soit efforcé de le cacher, la participation des femmes aux opérations militaires, en qualité de secrétaires ou de soignantes a été tout aussi déterminante à façonner notre réalité. Pas un hasard si cette période coïncide avec la mode dite de « la garçonne ».

Performance du genre, oubli des colonisés et homophobie

Beaucoup d’autres personnes ont été oubliées des livres d’histoire et des registres de compte du ministère de la Défense. En premier lieu : les victimes du colonialisme. L’historien américain Richard S. Fogarty a consacré une grande étude aux 700 000 soldats qui ont combattus pour la France et qui n’ont que trop tard été reconnus. Dans l’ossuaire de Douaumont, qui a recueilli les restes de 50 000 soldats mors à Verdun, les prénoms sur les murs symbolisent la masse inconnue. Ce ne sont que des prénoms français, comme le rapporte Mediapart dans une enquête très fouillée. 

Parmi les nombreuses victimes oubliées de la Grande Guerre, les homosexuels qui se sont attirés les foudres d’une société et d’une armée homophobe. Robert d’Humières est un exemple parmi tant d’autres. Ce jeune ami de Marcel Proust a inspiré le personnage de Saint Loup dans À la recherche du temps perdu. Déployé chez les zouaves avec l’armée britannique, il avait préféré mourir au combat quand la relation qu’il entretenait avec un autre soldat avait été découverte et que le Conseil de guerre allait se réunir pour décider de son sort. L’historien Christian Gury, dans L’Honneur retrouvé d’un officier homosexuel en 1915 a raconté son destin (le livre est un peu daté).

Tirailleurs Sénégalais sur le front, en 1915

« La débauche allemande est un des faits qui répugne le plus aux Français »

Bien que dans les hautes sphères intellectuelles, Marcel Proust, André Gide ou Colette pouvaient presque se vivre « out », le commun des mortels risquaient gros à vivre son homosexualité ou sa bisexualité à l’époque : on prétextait souvent à leurs arrestations le motif « outrage à la pudeur » ou le diagnostic freudien « d’hystérique ».

Alors qu’avaient été distribuées nombre de cartes postales montrant les activités théâtrales des prisonniers français dans les camps allemands, avec des personnes travesties, le camp des vainqueurs (la France et ses alliés, donc) a terminé de classer l’homosexualité du côté des vaincus.

Dans une lettre d’octobre 1927 adressée au Président du conseil des ministres Aristide Briand, le haut-commissaire interallié défendait la vertu française en ces termes : «  Le vice contre nature est très répandu en Allemagne, maintenant comme avant la guerre. C’est un fait de notoriété publique, et ce vice est même qualifié de vice allemand. Si des établissements (maisons de prostitutions masculines, ndlr) de ce genre existent en Allemagne, ce sont des établissements purement allemands. Non seulement les troupes d’occupation les ignorent et entendent les ignorer, mais la débauche allemande est un des faits qui répugne le plus aux Français et qui contribue à maintenir un fossé moral entre les populations des deux pays. »

Dans le camp de prisonniers de Salzwedelen (1914-1915) – Soldats français et russes / DR

  • expat

    L’homosexualité en 1918 était considérée par toutes les nations contre-nature. On ne peut pas réécrite l’histoire du début du siècle dernier, mais nous pouvons toujours une nouvelle histoire remplie d’espérance pour ce nouveau début de siècle, celui de 2018.