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Espionner Facebook et Instagram pour traquer les fraudeurs des impôts ? Ces pays qui le font déjà
Le ministre Gérald Darmanin veut faire se pencher ses services sur les profils Facebook ou Instagram des contribuables.
IP3 PRESS/MAXPPP

Espionner Facebook et Instagram pour traquer les fraudeurs des impôts ? Ces pays qui le font déjà

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Le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé ce dimanche 11 novembre dans l'émission "Capital", sur M6, une expérimentation visant à surveiller Facebook, Instagram et autres réseaux sociaux afin de détecter ceux qui trichent avec leurs impôts. Un procédé qui existe déjà dans les pays anglo-saxons.

Certains vont à l'avenir devoir y réfléchir à deux fois avant de poser avec une Rolls-Royce sur la Riviera italienne ou devant une splendide villa à Malibu... A partir du 1er janvier 2019, votre profil Facebook pourrait en effet devenir une arme pour le fisc français. Invité ce dimanche 11 novembre de l'émission Capital diffusée sur M6, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin a annoncé la mise en place l'an prochain d'une expérimentation visant à surveiller les comptes des contribuables sur Facebook, Instagram et Twitter. Objectif : traquer d'éventuels signes extérieurs de richesse qui contrediraient le montant déclaré de leurs revenus aux services des impôts.

Traquer la fraude fiscale sur les réseaux sociaux, le processus n'est pas inédit : il est utilisé au Royaume-Uni, au Canada ou encore aux Etats-Unis. En 2013, une Américaine du nom de Rashia Wilson, venant de Tampa en Floride, a ainsi été condamnée pour fraude fiscale après... s'en être vantée sur Facebook : "Je suis Rashia, la reine de la fraude fiscale. Je suis une millionnaire non-enregistrée. Donc si vous pensez que m'accuser sera facile, ce ne sera pas le cas. Je vous le promets. Je ne suis pas stupide", avait-elle écrit, posant avec des billets à la main, un sac Vuitton ou encore une Audi d'une valeur de 90.000 dollars. Rattrapée par le fisc américain, la jeune femme a été condamnée à 21 ans de prison (dont 210 mois pour escroquerie et 24 pour vol d'identité aggravé) et à un dédommagement de plus de 3 millions de dollars.

"Toute information pertinente et accessible au public concernant les facteurs de risque spécifiques peut être consultée"

Le pays des Gafa n'est pas le seul à scruter les réseaux sociaux à la recherche de potentiels fraudeurs. En 2017, une enquête de Radio Canada révélait ainsi que le fisc canadien passe au peigne fin les pages Facebook, les compte Twitter et l'ensemble de l'activité publique sur les réseaux sociaux des contribuables que l'agence suspecte de fraude fiscale. "Pour les contribuables identifiés comme présentant un risque élevé, toute information pertinente et accessible au public concernant les facteurs de risque spécifiques peut être consultée dans le cadre de notre processus de collecte des faits, expliquait son porte-parole David Walters. Si nous surveillons des individus à haut risque et très riches qui effectuent des opérations bancaires à l'étranger, nous examinerons toutes les informations publiques pour prendre des mesures de conformité".

Les fraudeurs des impôts rappelés à l'ordre

Même musique au Royaume-Uni. En 2018, le fisc britannique a en effet admis un secret de polichinelle : il prête une attention toute particulière aux activités des citoyens sur Internet. Sur le site du département concerné, Her Majesty's Revenue and Customs, responsable de la collecte des taxes, le gouvernement indique "observer, surveiller, enregistrer et conserver les données Internet" accessibles à tous, y compris les blogs et les sites de réseaux sociaux quand aucun paramètre de confidentialité n'a été appliqué. Ces données sont ensuite croisées à d'autres sources, ensuite analysées par un logiciel informatique appelé "Connect", qui se charge de détecter la moindre anomalie. Les fraudeurs - ou distraits - reçoivent alors un message de rappel des autorités britanniques les priant de corriger leurs déclarations de revenus, voire carrément un audit. Un système gagnant-gagnant, plaident les autorités : détectée en amont, la fraude fiscale serait moindre, tout comme les pénalités qui lui sont imputées.

Aux Etats-Unis, l'affaire est moins officielle. Depuis de nombreuses années, le fisc américain reconnaît utiliser le "croisement de données" numériques pour traquer la fraude fiscale, ce qui lui a permis par exemple de récupérer près de 200 millions de dollars en 2012. Sans que l'administration précise jamais comment elle s'y prend... Or, des documents obtenus en 2010 par The Electronic Foundation, association de défense des libertés sur Internet, montrent que le fisc américain utilise bien les réseaux sociaux pour étoffer ses enquêtes. Facebook, Twitter, Google Groups, Instagram et même eBay : il ratisse large. Pour gérer cet amas colossal de données, le gouvernement aurait recours à des logiciels surpuissants, aussi appelés "araignées", qui permettent de mettre en relation l'ensemble des informations collectées.

"Lorsque les Canadiens publient quelque chose sur Facebook (...) ils ne savent pas qu'ils le partagent avec un fonctionnaire du gouvernement"

Si leur efficacité paraît prouvée, l'emploi de ces logiciels de croisement de données par les Etats pose de grosses questions sur la préservation de la vie privée. Il y a d'abord les risques inhérents à tout serveur brassant d'énormes quantités de données personnelles : que ces dernières tombent entre de mauvaises mains, ou soient utilisées à d'autres fins. En 2017, deux professeures de la Washington State University s'alarmaient ainsi de l'amas de données collecté par le fisc américain, dans une étude intitulée : "L’utilisation de l'analyse de la Big Data par le fisc : une solution efficace, ou la fin de la vie privée telle que nous la connaissons ?".

Délation généralisée via Facebook, Twitter et Instagram ?

"Lorsque les Canadiens publient quelque chose sur Facebook, ils croient le partager avec leurs amis... Ils ne savent pas qu'ils le partagent avec un fonctionnaire du gouvernement à Ottawa", a également relevé David Christopher, porte-parole de l'association Open Media, auprès de Radio Canada. Les paramètres de Facebook étant complexes, il est très difficile pour ses utilisateurs de savoir ce qu'ils souhaitent ou non rendre public, soutient l'association. Les Etats, en voulant lutter contre la fraude fiscale, profiteraient donc du manque de connaissances numériques de leurs contribuables.

Admettons cependant que, dans un Etat démocratique et fonctionnel, les données en question soient protégées et que chaque agent, comme l'assure un document du fisc américain rendu public, respecte scrupuleusement les consignes de préservation de la vie privée des contribuables. Reste un problème à anticiper : ces enquêtes digitales ne sont déjà plus l'apanage des Etats. En décembre 2015, les ingénieurs de l'entreprise Intuit, spécialisée dans le calcul de la feuille d'impôt pour les particuliers, a ainsi déposé le brevet d'un logiciel capable de détecter les déclarations fiscales frauduleuses et d'en informer les autorités si des anomalies sont constatées. Et plusieurs autres société privées s'emploient déjà à automatiser le filtrage des comptes Facebook, Twitter et Instagram afin de détecter une éventuelle fraude fiscale. De la surveillance numérique généralisée à la délation généralisée, c'est encore un autre pas...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne