13-Novembre : "Deux heures et demi de notre vie dans un non-sens absolu"

David a 28 ans et Stéphane la petite cinquantaine. Les deux amis, rescapés du Bataclan, se voient très régulièrement. ©Radio France - Béatrice Dugué
David a 28 ans et Stéphane la petite cinquantaine. Les deux amis, rescapés du Bataclan, se voient très régulièrement. ©Radio France - Béatrice Dugué
David a 28 ans et Stéphane la petite cinquantaine. Les deux amis, rescapés du Bataclan, se voient très régulièrement. ©Radio France - Béatrice Dugué
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Le 13 novembre en France reste marqué à jamais par les attentats djihadistes les plus meurtriers commis sur le sol français. Rencontre avec deux rescapés de la tuerie du Bataclan. Avec une dizaine d'autres personnes, David Fritz Goeppinger et Stéphane Toutlouyan ont été otages des deux derniers terroristes abattus.

David et Stéphane ne se connaissaient pas il y a trois ans. Le lien en béton qui les unit aujourd'hui, naît au début de la prise d'otages. Les terroristes les positionnent derrière les fenêtres dans un couloir du premier étage. David prend la main de Stéphane. Et il dit juste "Ça va aller".

"Moi c'est ce qui m'a aidé aussi c’est d'être supporté par cette personne qui a l'âge de mes filles, raconte Stéphane. Je sais pas comment il savait que ça allait aller, mais ça a été. On a passé l'un à coté de l'autre 2h30, on se devait aussi de pas flancher les uns pour les autres alors que la situation aurait pu dégénérer vu la nervosité des deux terroristes qui étaient avec nous et au final on a tenu sans savoir qu'elle allait être l'échéance mais au moins je pense qu'on est restés plutôt dignes dans cette épreuve."

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"On peut parler d'un maillon. On a tous fait front par des actions, explique David. C'est presque drôle par exemple Sébastien lui dit carrément 'est-ce que je peux mettre ma veste parce que j'ai froid'. Moi qui donne la main à Stéphane. Je me souviens quand on rentré dans le couloir, je vois Marie et Arnaud qui se disent 'je t'aime'. Des femmes et des hommes qui ont eu des réactions d'humains au milieu de ce théâtre terrible et des deux terroristes qui étaient complètement déconnectés." Lien d'humanité et de bienveillance qui aide à se reconstruire.

"C'est difficile à entendre mais on essaie d'aller mieux"

Les survivants du huis-clos s'épaulent en ce 13 novembre, inconfortable certainement pour longtemps.

"Si on positionne cette question sur la date d'aujourd'hui, le 13 novembre, ça ne va pas, reconnait David. C’est de de l'anxiété, de l'agitation un peu. Mais j'ai tendance à dire que ça va, c'est une occasion de faire la fête, rigoler et créer des souvenirs qui sont indélébiles. Stéphane, comme moi et les autres personnes présentes dans le couloir, on va mieux. On essaie même entre nous de passer à autre chose. C'est difficile à entendre mais on essaie d'aller mieux, aller à des concerts, boires des coups, faire des projets, créer des choses, être en vie en fait."

Vivre c'est aujourd'hui être photographe pour David. Stéphane, lui a repris son travail dans l'informatique assez vite. D'autres otages progressent à des rythmes différents. Tous vite déstabilisés par les autres drames du monde.

"À chaque fois que je suis informé - et avec les réseaux sociaux ça va quand même assez vite - qu'il se passe quelque chose, tout de suite je suis inquiet, je suis vigilant et j'ai besoin de savoir de quoi il retourne avoue Stéphane. Même si on a pu retourner pour certains dans le métro, dans les salles de concert, dans des aéroports etc."

"Un peu comme un nuage sombre. On est quand même continuellement replongés assez facilement dans l’hyper-vigilance." ajoute David

"Je porte plainte contre qui ?"

Une fragilité des sens et une absence de sens toujours après cette soirée atroce. Le "pourquoi" restera sans réponse pour les deux hommes.

"Personne n'espère avoir une réponse. On a vécu 2h30 de notre vie dans un contexte de non-sens absolu." dit Stéphane. Pour David "Nous avons eu la "chance" - je mets des guillemets énormes - de passer les 2h30 avec les auteurs de l'attaque. Ça ne nous a pas permis de comprendre davantage leurs motivations et encore moins de comprendre comment ils ont pu en arriver à dériver autant... C'est terrible."

"Le premier officier de police judiciaire que j'ai vu, m'a demandé si je voulais porter plainte. Mais je porte plainte contre qui en fait ? Qui est le responsable ? Est-ce que c'est l'État islamique ? Est-ce que c'est l'État français ? La justice réussira à dire pourquoi ? Non, la justice sera là pour acter les actes terroristes. Mais aller au-delà, je ne sais pas. On n'a pas eu de chance malheureusement. On n'a pas eu de chance d'avoir été là-bas. Et en même temps on a été quand même particulièrement chanceux par rapport à ceux qui sont restés au Bataclan. On se le dit au moins une fois par jour."

David et Stéphane ont aujourd'hui une énorme pensée pour les proches des victimes de ces attentats. "On fêtera aussi la vie pour eux" dit joliment David.

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