Féminisme

L'Allemagne fête discrètement les cent ans du suffrage féminin

Le 12 novembre 1918, les Allemandes obtenaient, bien avant les Françaises, le droit de vote et d'être élues. Une avancée venue couronner plusieurs décennies de combat pour le suffrage des femmes, où l'Allemagne s'est trouvée aux avant-postes de l'internationale féministe.
par Johanna Luyssen, correspondante à Berlin
publié le 12 novembre 2018 à 19h50

«Aujourd’hui, plus personne ne rit lorsqu’une petite fille dit qu’elle veut devenir ministre ou chancelière quand elle sera grande.»

L'auteure de cette phrase sait de quoi elle parle : il s'agit d'Angela Merkel, première femme à accéder à la Chancellerie allemande. Lundi midi, lors de la commémoration du centenaire du droit de vote des femmes en Allemagne, la dirigeante sur le départ – non seulement c'est son dernier mandat en tant que chancelière, mais elle s'apprête également à quitter son fauteuil de cheffe de la CDU – était particulièrement en verve, insistant sur l'importance de la parité, et ce dans tous les domaines. «Les quotas étaient importants, a déclaré Angela Merkel (elle semble donc avoir changé d'avis sur le sujet), mais l'objectif doit être la parité partout. En politique, en économie, dans l'administration, mais aussi dans la science et la culture.»

[Pa­ri­tät, die]
👉(bildungssprachlich) Gleichsetzung, -stellung, [zahlenmäßige] Gleichheit.

Das fordert Bundeskanzlerin Angela Merkel beim Festakt 100 Jahre #Frauenwahlrecht 👇

(Defintion: Duden) pic.twitter.com/XsmukcVTIK

Ainsi, ce 12 novembre, l'Allemagne célébrait assez discrètement les cent ans du suffrage féminin. Bien sûr, une cérémonie officielle était organisée au musée historique de Berlin, sous la tutelle du ministère de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse (oui, tout cela à la fois), dirigé par la social-démocrate Franziska Giffey. Mais l'événement ne fait pas les gros titres de la presse – d'autant qu'en milieu de journée, le très peu féministe ministre de l'Intérieur Horst Seehofer a officialisé son départ prochain de la présidence de la CSU.

«Balayé d’une phrase»

Pourtant, le pays est engagé dans un grand cycle mémoriel, novembre 2018 marquant entre autres le centenaire de la révolution allemande et la proclamation de la République. Des dates que les Allemands sont d’ailleurs bien plus enclins à célébrer que le 11 novembre.

A lire aussi En Allemagne, le 11 novembre, une date taboue

C'est dans le sillage de la proclamation de la République de Weimar que le suffrage féminin est introduit en Allemagne. Mais cent ans plus tard, le sujet semble mis de côté, écarté du grand cortège mémoriel. «Dans les grands moments de commémoration historique, le droit de vote féminin est souvent balayé d'une phrase – et encore, quand il est évoqué. Et c'est ainsi que l'histoire dite "générale" continue d'être racontée sans les femmes», observe l'historienne Kerstin Wolff, directrice de recherches aux Archives du mouvement féministe allemand à Cassel (Hesse). Pourtant, dit-elle, «la période entre 1890 et 1914 marque l'apogée du mouvement des femmes en Allemagne».

«On a tendance à raconter l'histoire d'une révolution masculine qui aurait abouti au suffrage féminin, ajoute l'historienne Hedwig Richter, de l'Institut pour la recherche sociale de Hambourg. Or cette vision ne correspond pas à la réalité. Au tout début du XXe siècle, le mouvement féministe était très important en Allemagne. Ce droit de vote des femmes est donc l'aboutissement d'un long processus politique. Et pourtant, aujourd'hui, les Allemands connaissent mal les noms des grandes figures féministes de l'époque.» 

«Histoire transnationale»

Qui connaît en effet Hedwig Dohm, Elisabeth Selbert, Marie Juchacz, Helene Lange ou Helene Weber ? Cette dernière était pourtant l’une des quatre «mères de la Constitution allemande», puisqu’elle a participé à l’élaboration de la Loi fondamentale de 1949. En vérité, le seul nom à résonner aujourd’hui est celui de Clara Zetkin – cette journaliste socialiste milita dès 1910 pour l’instauration d’une journée internationale des femmes, qui deviendra le fameux 8 mars.

A lire aussi Le 8 mars, une légende et un symbole

Car, estime Hedwig Richter, «le mouvement pour le suffrage des femmes en Allemagne s'inscrit bel et bien dans le cadre d'un mouvement féministe international. Le problème est qu'on a souvent tendance à parler de l'histoire de la démocratie comme d'une histoire nationale, alors que ce n'est pas le cas. Il s'agit d'une histoire transnationale.»

Ainsi, en Allemagne, les femmes ont pu voter et être élues dès janvier 1919. Le premier scrutin vit arriver au pouvoir près de 9% de députées. Un chiffre encourageant. Mais pour dépasser le palier des 10%, il faudra ensuite attendre… les années 80. La barre des 20% sera franchie dans les années 2000, et la barre des 30% dans les années 2010 – atteignant 36,8% en 2013.

Aujourd’hui, le pourcentage de femmes au Bundestag est de 30,75%. Il est donc largement inférieur à celui des dernières élections, en 2013 – l’arrivée de l’AfD, parti d’extrême droite qui ne brille pas par son féminisme, ayant nettement fait baisser la moyenne…

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus