Sur les traces d'un futur vaccin contre le virus Ebola

Sur les traces d'un futur vaccin contre le virus Ebola
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Par Julian GOMEZStéphanie Lafourcatère
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Peut-on envisager un avenir sans Ebola ? Futuris se penche sur un projet de recherche européen qui vise à élaborer un vaccin pour enrayer la propagation de la maladie. Il prend la forme d'études en Europe, mais aussi d'essais cliniques en Sierra Leone, un pays touché par une épidémie de 2013 à 2016.

**Peut-on envisager un avenir sans Ebola ? Futuris se penche sur un projet de recherche européen qui vise à élaborer un vaccin destiné à enrayer la propagation de la maladie. Il prend la forme d'études en Europe, mais aussi d'essais cliniques en Sierra Leone, un pays touché par une épidémie de 2013 à 2016. **

Notre reporter Julián López Gómez s'est rendu dans la région de Kambia en Sierra Leone qui a constitué l'épicentre de la plus grave crise d'Ebola recensée dans le monde. De décembre 2013 à mai 2016, en Sierra Leone et dans les pays ouest-africains voisins du Libéria et de la Guinée-Conakry, la maladie a fait au moins 11.300 morts et infecté 28.000 personnes.

"Cette crise sanitaire sans précédent a déclenché un effort de recherche qui l'est tout autant pour mieux lutter contre cette maladie mortelle et en particulier, développer un vaccin sûr et efficace : une démarche qui d'après les chercheurs travaillant dans des centres de soins comme celui installé à Kambia, donne de premiers résultats," précise notre journaliste.

Sur place, Julián López Gómez rencontre une jeune femme infectée en 2014 : Emma Bangura avait alors 23 ans et faisait des études de gestion à Freetown, la capitale du pays. Ce virus mortel transmis par les fluides corporels touchait déjà son entourage et puis, un jour, c'est elle qui a été atteinte d'une forte fièvre, de diarrhée, vomissements et douleurs.

"La maladie était en train de m'attaquer"

"Le père de mon amie était en train de mourir, je leur ai rendu visite, je suis restée sur place pendant trois jours," raconte-t-elle. "Son père est mort, ils l'ont enterré, après, je suis rentrée chez moi et là, j'ai commencé à avoir de la fièvre," poursuit la jeune femme.

"J'étais tellement désespérée à ce moment-là," confie-t-elle, _"la maladie était en train de m'attaquer, j'avais peur parce qu'on disait : 'Quand on emmène quelqu'un au centre de soins, il ne revient jamais' : alors, j'ai commencé à m'enfermer dans la pièce." _Emma est restée cloîtrée chez elle pendant six jours, puis on l'a emmenée dans un centre médical du secteur. Finalement, elle a gagné la bataille contre Ebola, non sans avoir un prix à payer : la jeune femme a dû arrêter ses études et aujourd'hui, elle reste chez elle faute d'emploi.

"Ebola, c'est une réalité !" lance-t-elle. "Quand on dit qu'Ebola est une invention... Non ! Ebola, c'est réel, un virus réel, je connais les effets d'Ebola dans ce pays, j'ai vu tous ces gens qu'Ebola a détruits !" s'indigne-t-elle.

La région où vit Emma a été lourdement touchée par l'épidémie : des villages entiers ont été placés en quarantaine et l'économie locale s'est effondrée.

Essai clinique

Pour répondre à la situation, des scientifiques européens mènent sur place leur projet de recherche qui vise à développer un nouveau régime de vaccins pour enrayer la propagation de la maladie. L'essai clinique qui est en cours au Sierra Leone a concerné plus de mille volontaires sains : adultes et enfants âgés de 1 à 17 ans.

Ce jour-là, un garçon de deux ans est emmené par sa mère pour recevoir une injection. Les infirmières sont là pour rassurer enfants et parents.

"Les parents nous posent souvent cette question : 'Si mon enfant se fait vacciner, ça veut dire qu'il n'attrapera pas le virus Ebola ?" indique Isha Kanawah, infirmière qui travaille sur l'essai EBOVAC Salone (Université de la Sierra Leone). _"On leur répond _que c'est un essai de vaccin et qu'on ne sait pas encore s'il empêchera leur enfant d'être contaminé, c'est une étude," dit-elle.

Tous les volontaires bénéficient d'un suivi médical minutieux avant et après les injections. Systématiquement, les médecins les informent, eux et leurs proches, sur la maladie.

"Ebola est l'une des nombreuses fièvres hémorragiques et une maladie multisystémique," précise Michael Morlai Kamara, médecin impliqué dans l'essai clinique EBOVAC-Salone. "Elle peut toucher quasiment n'importe quel organe de votre corps : vos yeux, vos oreilles, vos vaisseaux sanguins, votre peau, le système reproducteur, presque tout," dit-il.

Résultats encourageants

D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux de mortalité de la maladie est compris entre 50 et 90%. De nombreux soignants aujourd'hui impliqués dans cet essai clinique étaient en première ligne lors de l'épidémie.

"C'est vraiment une expérience horrible de voir un collègue pris en charge en tant que victime d'Ebola et de le voir mourir quelques jours plus tard," fait remarquer Michael Morlai Kamara, "et puis quand vous devez le désinfecter et placer son corps dans le sac mortuaire..."

"En très peu de temps, on a perdu onze médecins à peu près et le pays compte moins de 200 médecins," renchérit sa collègue Agnes Bangura, médecin sur l'essai. "Personne n'était à l'abri et c'est ce qui m'a poussé à m'investir dans cet essai : c'est le fait de travailler sur un vaccin qui va permettre d'éviter que telles choses se produisent à nouveau," indique-t-elle.

Et la nouvelle formule de vaccin qui est à l'étude ici donne des résultats encourageants d'après les médecins. "On constate que le vaccin est sûr et les participants sont effectivement en train de produire des anticorps dans leur sang pour combattre le virus, donc c'est très prometteur," affirme Agnes Bangura.

Les échantillons de sang prélevés sur les volontaires sont ensuite analysés dans des laboratoires implantés à proximité. Des structures qui n'existaient pas avant l'épidémie d'Ebola et qu'il a fallu créer de toutes pièces. La région n'étant pas raccordée au réseau électrique national, les chercheurs ont dû se tourner vers des générateurs pour alimenter les équipements sophistiqués utilisés sur place.

"Ce qui nous préoccupe, c'est la sécurité du volontaire : savoir si le vaccin est sûr pour pouvoir être donné au sujet," assure Ken Awuondo, scientifique biomédical de la London School of hygiene and tropical medicine, institution partenaire du projet. "Deuxièmement, on regarde son efficacité : si le vaccin a une efficacité qui permet de prévenir le développement de la maladie et troisièmement, on s'intéresse à l'immunogénicité : le vaccin peut-il stimuler ou susciter une réaction du système immunitaire de sorte que le corps puisse combattre la maladie, les virus et en particulier, dans notre cas, le virus Ebola ?" déclare-t-il.

"La protection immunitaire apporté par le vaccin doit être extrêmement élevée"

C'est aux Pays-Bas que le régime de vaccin en cours d'essai au Sierra Leone est développé et ses résultats, surveillés de près.

La méthode nécessite l'injection de deux vaccins différents. D'après les scientifiques, cette stratégie pourrait permettre de fournir une immunisation plus efficace et plus durable contre une famille de virus particulièrement dangereux.

"Quand vous êtes infecté, le virus se reproduit très rapidement, vous avez des millions et des millions de virus dans votre sang et cela entraîne une très forte mortalité : ce qui implique aussi que la protection immunitaire apportée par le vaccin doit être extrêmement élevée pour être capable de faire face à tant de virus," souligne Johan van Hoof, directeur général de Janssen Vaccines & Prevention, B.V., l'un des partenaires du projet, avant d'ajouter : "Ebola n'a pas disparu et il reviendra encore et encore."

En parallèle de la recherche en laboratoire, l'implication des communautés locales est un élément clé pour mener à bien des essais cliniques longs et complexes comme celui-ci.

"Ceux qui travaillent sur le terrain donnent des explications sur le produit, les procédures d'étude, ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons... Cela aide les volontaires à comprendre l'objectif et l'essai se déroule dans de meilleures conditions," explique Macaya Douoguih, directrice du développement clinique et des affaires médicales chez Janssen Vaccines.

Initiative pour les médicaments innovants

Même si les recherches doivent encore se poursuivre, l'équipe estime déjà que son nouveau régime de vaccin a le potentiel pour réussir.

"Nos essais cliniques ont abouti à des données très prometteuses, le vaccin induit des réponses immunitaires fortes et pérennes, nous en sommes ravis," indique Kerstin Luhn, responsable d'équipe développement de molécules chez Janssen Vaccines. "En nous appuyant sur cet ensemble de données, nous planifions à présent les étapes à venir en vue de l'homologation : c'est l'un de nos objectifs à court terme," fait-elle savoir.

Ce vaste effort de recherche est mené dans le cadre de l'Initiative pour les médicaments innovants (Innovative Medicines Initiative, IMI), le plus grand partenariat public-privé au monde dans le domaine des sciences de la vie.

Son budget actuel de 3,2 milliards d'euros est financé à la fois, par la Commission européenne et par l'industrie pharmaceutique européenne. Son principe : partager les connaissances pour développer la prochaine génération de vaccins, médicaments et traitements contre une myriade de maladies dont Ebola.

"La communauté internationale a été très, très inquiète de savoir comment cette épidémie d'Ebola allait évoluer : personne ne pouvait dire ce qui allait se passer," précise Pierre Meulien, directeur exécutif d'IMI. "À cet égard, nous avons été capables de mobiliser à la fois, les industriels et le secteur public et nous avons élaboré très, très rapidement, l'ensemble du programme Ebola qui comprend non seulement les vaccins, mais aussi les diagnostics, etc." se félicite-t-il.

Un nouvel espoir

Ceux qui ont enduré Ebola dans leur chair restent marqués par cette expérience. C'est le cas de Kadiatu L. Bangura : cette directrice d'école a été contaminée au tout début de l'épidémie. 

"J'ai été en quarantaine pendant deux semaines, on était onze dans la salle de confinement, j'étais la onzième," se souvient-elle. "J'y suis restée un certain temps et il y a eu huit morts, on n'est que trois à avoir survécu," dit-elle.

Aujourd'hui, elle délivre souvent des conseils de prévention à ses élèves et à ses proches. "Je connais les symptômes et ce qu'on ne doit pas faire : il ne faut pas jouer avec des gens malades, manger de la viande, en particulier du gibier," énumère Kadiatu. "Il ne faut pas partager les affaires d'une personne malade : par exemple boire dans une tasse que cette personne a déjà utilisée," renchérit-elle.

Les recherches sur ce régime de vaccin sont appelées à se poursuivre, notamment sous la forme d'essais cliniques de plus grande ampleur, en conservant le même objectif : donner un nouvel espoir à ceux qui vivent dans des zones à risque.

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