Des études manipulées par Monsanto auraient influencé la décision de Santé Canada de renouveler l'homologation des herbicides à base de glyphosate, comme le Roundup, révèle une enquête menée par des groupes de défense de la santé et de l'environnement. Ottawa a rouvert le dossier.

Le scandale des Monsanto Papers rebondit au Canada. Des documents dévoilés l'an dernier dans le cadre d'une poursuite judiciaire aux États-Unis ont révélé que la multinationale avait fait signer par des chercheurs indépendants des études scientifiques rédigées par ses propres employés pour minimiser les risques liés au glyphosate, l'ingrédient actif de son produit phare, l'herbicide Roundup.

On y apprend également que la multinationale étatsunienne, rachetée depuis par l'allemande Bayer, était au courant depuis 1999 du potentiel cancérigène et mutagène du glyphosate et qu'elle avait bénéficié de connivences au sein de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA).

Or, une enquête menée par plusieurs groupes canadiens de défense de la santé et de l'environnement révèle que certaines de ces études auraient été utilisées par l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada lors de la réévaluation de l'homologation du glyphosate, qui a finalement été renouvelée pour 15 ans, en avril 2017.

« Il y a eu un vice majeur dans le processus », s'alarme le directeur général d'Équiterre, Sidney Ribaux, en entrevue avec La Presse.

« Ça vient confirmer ce qu'on soupçonne depuis longtemps : des études scientifiques frauduleuses sont utilisées pour approuver des pesticides au Canada. »

- Sidney Ribaux, d'Équiterre

Alors que le Centre international de recherche sur le cancer, qui relève de l'Organisation mondiale de la santé, avait déclaré en 2015 que le glyphosate était un « cancérigène probable » qui contribue à la formation de lymphomes non hodgkiniens, la décision de Santé Canada « cite des études dont on sait maintenant qu'elles ont été manipulées par Monsanto pour dire que cette crainte n'est peut-être pas si justifiée », s'indigne l'écologiste.

Cette découverte n'est que « la pointe de l'iceberg », anticipe Sidney Ribaux, car l'enquête à laquelle son organisation participe, avec notamment l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, la Fondation David Suzuki et Environmental Defence, n'est pas terminée.

« On est encore en train de passer à travers les études, les Monsanto Papers, et d'essayer de voir les liens avec le processus canadien », dit-il.

RETRAIT IMMÉDIAT DEMANDÉ

À la lumière de ce qu'ils disent avoir découvert jusqu'à maintenant, ces groupes réclament le retrait immédiat de l'homologation du glyphosate au Canada ainsi qu'une enquête sur la décision de renouveler cette homologation, menée par une commission publique et indépendante.

Une pétition reprenant ces demandes est également lancée aujourd'hui.

« On n'a jamais demandé ça au niveau fédéral », indique Sidney Ribaux, ajoutant que « la demande est exceptionnelle [parce que] la situation est exceptionnelle ».

La ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, n'a pas voulu accorder d'entrevue à La Presse, mais son attaché de presse, Thierry Bélair, a déclaré que « ces informations sont troublantes et c'est la raison pour laquelle des scientifiques de Santé Canada mènent actuellement une nouvelle analyse des centaines d'études sur le sujet ».

Cette contre-vérification serait en cours depuis un peu plus d'un an, mais n'a pas fait l'objet d'une annonce d'Ottawa.

Au terme de l'exercice, qui devrait être terminé dans quelques semaines, Santé Canada pourrait décider de révoquer l'homologation du glyphosate, de maintenir sa décision de la renouveler, de reprendre le processus d'évaluation ou même d'ordonner une étude indépendante, indique-t-on à Ottawa.

Les révélations de l'enquête soulèvent « des inquiétudes sur l'ensemble des pesticides et des produits toxiques » homologués au Canada, considère Sidney Ribaux, qui rappelle que « cette même agence est arrivée à la conclusion que les néonicotinoïdes sont dangereux pour les abeilles, qu'ils devraient être interdits, mais suggère d'attendre cinq à sept ans pour les interdire ».

« Le processus réglementaire des pesticides au Canada ne permet pas, en fin de compte, de réellement protéger la santé des Canadiens et de l'environnement, parce qu'il est conçu pour servir les entreprises. »

- Sidney Ribaux, d'Équiterre

« Lorsqu'on est un chercheur indépendant, on a une voix beaucoup moins importante aux yeux de Santé Canada qu'une entreprise qui a un produit à vendre », s'indigne- t-il, estimant qu'il y a une proximité « malsaine » entre le régulateur et les entreprises et que le système canadien d'homologation doit être revu.

AGRICULTEURS ET PAYSAGISTES EN DANGER

Bien qu'on retrouve du glyphosate dans plus du tiers des produits à base de céréales et près de la moitié des produits à base de légumineuses, de l'aveu même de Santé Canada, ce sont les agriculteurs et les paysagistes qui sont le plus exposés aux dangers de cet herbicide.

« C'est clair, comme avec la plupart des pesticides, le risque est premièrement auprès des gens qui doivent manipuler le produit », affirme Sidney Ribaux.

La Cour supérieure de Californie a provoqué une onde de choc en août dernier en condamnant l'entreprise Monsanto à verser 289 millions de dollars US à Dewayne Johnson, un jardinier de 46 ans atteint d'un cancer incurable, une somme ensuite réduite à 78 millions de dollars.

Le tribunal a conclu que l'herbicide Roundup et sa version professionnelle RangerPro avaient considérablement contribué au développement du lymphome non hodgkinien de ce père de trois enfants, et que Monsanto avait agi avec malveillance.

Près de 9000 plaintes du genre sont à l'étude par différents tribunaux, aux États-Unis.

« On se demande vraiment s'il y a quelqu'un qui se préoccupe de l'impact sur la santé et l'environnement de ces produits-là », lâche Sidney Ribaux.

DU GLYPHOSATE DANS VOTRE ASSIETTE

Des traces de glyphosate sont présentes dans de nombreux aliments courants, notamment ceux « consommés par les enfants », révèle une étude réalisée par Équiterre et Environmental Defence, dévoilée il y a quelques jours. Des analyses indépendantes réalisées par les laboratoires Anresco ont permis de déceler des traces de ce pesticide dans 80 % des produits testés, dont des céréales Cheerios, des pâtes Catelli, du houmous Fontaine Santé et Sabra, des craquelins Ritz, du macaroni au fromage Kraft Dinner et des bagels aux graines de sésame Tim Hortons. Les niveaux décelés sont tous inférieurs aux limites fixées par Santé Canada, mais les deux organisations rappellent que nous consommons parfois plusieurs de ces aliments par jour et que « l'exposition au glyphosate et aux risques qui y sont associés est cumulative ». Elles remettent aussi en doute la validité des limites de Santé Canada à la lumière des découvertes entourant le processus d'homologation du glyphosate.